Chapitre 25

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La nuit était tombée depuis plusieurs heures, recouvrant la capitale d’un épais voile d’ombre que seule la lumière des torches des Veilleurs parvenait à percer. Sans qu’ils le sachent, d’autres maraudeurs nocturnes faisaient eux-aussi les cent-pas entre les maisons, au cœur des ombres les plus opaques. Ils partageaient une même volonté, protéger ce qui pouvait l’être.

Dans les bas-fonds, deux de ces protecteurs, deux grandes et élégantes dames elfiques, avançaient dans une des allées secondaires, non-loin du Sanctuaire de Lillua. La plus grande des deux, Nakita, s’arrêta brusquement. Elle tendit sa main droite.

— L’air se rafraîchit et le vent s’est tut.

Elle ramena sa main près de son cœur, une expression morose sur le visage.

— Ishaa Naev.

L’autre dame, qui s’était arrêtée depuis, tourna son regard vers elle.

— Si drame venait à advenir… Nous ne sommes pas assez pour couvrir l’ensemble de la cité.

A quelques pas, Ishaa soupira avant de se retourner, prête à reprendre leur route.

— Nous serons assez. Il le faudra.

Il n’était qu’une dizaine, elles-deux inclues.

— Viens, Nakita, et rejoignons Aurore. Nous ne pouvons rien faire de plus pour ces gens.

Au fond d’elle-même, la sylvestre le savait et, pourtant, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une profonde tristesse à cette pensée. Elle reprit néanmoins son chemin aux côtés de sa dame, sans véritablement savoir où cette nuit les mèneraient réellement.

*****

Dans des ténèbres plus obscures encore, une réunion, d’un autre type, prenait elle-aussi place. Dans une large salle de pierre, au cœur des catacombes, Nirnante se tenait au milieu d’un groupe dont les membres se distinguaient facilement. D’un côté, les partisans de Zinnar, vêtus de leurs habits pâles de cérémonie et d’une épaisse capeline à capuche. De l’autre, les hommes de Calderon, fidèles à la Maison Nimra, dont la simplicité apparente de leurs vêtements ne suffisait pas à cacher pleinement la noblesse de leur rang. Chaque parti était ainsi représenté par deux personnes. Les gens de Calderon avaient pris quelques mètres de distance avec les zélotes. Leur tolérance n’était pas sans limites.

Nirnante souriait, ravi qu’il était de pouvoir enfin commencer à entamer la partie la plus importante de leurs plans.

— Tous les chefs de groupe sont présents ? Merveilleux. Dans ce cas, écoutez-moi bien, car je ne me répèterais pas.

L’expression de son visage changea, prenant une note beaucoup plus sombre, qui effaça son sourire.

— Le dernier verrou sera bientôt ouvert. Afin d’assurer notre descente, nos…amis à la surface devront être suffisamment occupés pour ne pas se soucier immédiatement de nous. En même temps, une partie de notre groupe devra rester ici, afin de protéger les arrières de nos maîtres respectifs.

Nirnante se tourna vers le groupe de Calderon.

— Ce rôle vous incombera. Quant à vous autres, Vildis et Ciaran, vous aurez la lourde charge de notre diversion.

Il prononça ce dernier mot avec un ton si sombre que les lieutenants de Calderon, deux humains du nom de Vorn et Orian, en frissonnèrent d’un certain dégoût. Quelles horreurs s’apprêtaient-ils à libérer sur ces pauvres gens ? Et comment leur maître pouvait-il continuer de tolérer cela ? Seulement, ils étaient allés si loin à ses côtés, qu’ils ne savaient s’ils pourraient véritablement laver leur âme de leurs crimes. Mais si c’était là le prix à payer pour laver l’honneur de leur Maison, alors qu’il en soit ainsi. Ils suivraient Calderon jusqu’aux tréfonds de l’Umbra s’il le fallait. Ils ne partagèrent rien de leurs pensées avec Nirnante, se contentant d’acquiescer leur rôle d’un geste de la tête. Ils quittèrent rapidement les lieux, ne souhaitant plus se tenir en leur compagnie.

Le trio de zélote les observa s’éloigner sans rien dire. Une fois les hommes hors de son champ de vision, Nirnante se tourna vers l’un de ses deux subordonnés.

— Ciaran, concernant nos ouvriers. Assure-toi de leur libération. Rejoins Vildis une fois cela fait.

— Oui, Nirnante.

Elle s’inclina et quitta la pièce. En même temps, le chef des zélotes intima Vildis à l’accompagner jusqu’au fond de la pièce d’un geste de la main. Derrière eux, dans un recoin de la pièce demeuré à l’abris des regards, il sortit de l’ombre une boîte d’un bois épais très simplement ouvragé. Il la posa sur un bloc de pierre couché et l’ouvrit. Il en extrait une lanterne couverte d’un tissu lui aussi très épais mais qui n’empêchait nullement une sombre lueur violette de le traverser.

Nirnante la tendit à Vildis qui s’en saisit presque religieusement, comme s’il avait entre les mains une précieuse relique.

— Prends-en grand soin.

Dans moins d’une heure, tous pourraient enfin avancer dans la direction voulue.

*****

Garance ne dormait plus depuis deux heures. Elle était allongée sous ses couvertures, les yeux fermés et la respiration lente. Elle essayait de se détendre comme elle le pouvait bien que son esprit soit focalisé sur les heures à venir. Au bout d’un certain temps de cette méditation de dernière minute, elle finit par sentir un changement dans la pièce autour d’elle. Une présence, qui lui apparut de plus en plus comme celle de Lua, venait de faire son apparition.

Sachant pertinemment ce qu’il lui voulait, elle ouvrit les yeux et se redressa. Ses sens ne l’avaient pas trompée. Lua se trouvait debout, face à elle, de l’autre côté de son lit. Son visage arborait une expression bien moins joyeuse que les fois passées.

— Il faut que tu partes, maintenant, tant que les choses sont encore calmes.

— Il y a un problème ?

— Il y en aura un si tu ne te dépêches pas.

Sentant l’impatience dans sa voix, Garance se leva prestement et se dirigea vers le coffre où elle avait posé son équipement. Elle le prit et une fois derrière le paravent dans un coin de sa chambre, elle n’eut besoin que de quelques minutes pour s’en vêtir entièrement. Elle usa de cette même rapidité pour la confection de sa tresse et de la couronne qu’elle formerait sur sa tête. Garance s’approcha ensuite de la table au milieu de la pièce. Elle y enfila sa cape, glissa le morceau d’obsidienne dans la poche intérieure de son manteau et accrocha autour de son cou la petite chaîne en argent, qu’elle cacha sous ses vêtements. Elle se saisit ensuite de sa pochette et de ses armes qu’elle sangla fermement à leurs emplacements respectifs.

Presque entièrement équipée, elle voulut compléter le tout avec son sac dans l’armoire mais s’immobilisa juste avant d’en toucher la poignée. Ce vieux meuble grinçait toujours quand on l’ouvrait et la même problématique se présentait avec la porte de sa chambre. Si les autres autours d’elle étaient déjà réveillés alors…

— N’aie crainte de les ouvrir. Tous dorment d’un profond sommeil, autour comme en-dessous.

Garance le regarda, un air légèrement surpris sur le visage. Comment faisait-il pour lire si facilement en elle ? Elle chassa rapidement cette pensée de son esprit. Ce « comment » lui importait peu ; il y avait plus pressant à faire.

Elle ouvrit malgré tout son armoire avec délicatesse, tâchant de limiter au maximum les grincements. Au bout de plusieurs longues secondes, elle put enfin attraper son sac. Elle le posa sur le sol et referma l’armoire avec le même souci que lors de son ouverture. Ne lui restait plus qu’une chose à faire.

Elle s’approcha de son lit et remis les draps à peu près en ordre. Dessus, elle déposa délicatement une lettre qu’elle avait griffonnée à la hâte avant de se coucher. Elle se tint ensuite debout pendant quelques instants, silencieuse, avant de se saisir à nouveau du sac à ses pieds et de s’avancer vers la sortie de la pièce. Avant d’ouvrir la porte, elle se tourna vers Lua qui attendait en silence, égrainant en son for intérieur chaque seconde qui s’écoulait.

— Il n’y a personne dans le couloir. Avance jusqu’aux escaliers.

Il disparut, la laissant seule. Mais elle ressentait toujours sa présence. Elle ouvrit la porte en minimisant comme elle put les grincements et la referma de la même manière. Elle avança ensuite le plus silencieusement du monde surtout lorsqu’elle passa devant la chambre de Morga. Une fois à l’entrée du grand escalier en colimaçon, la voix de Lua résonna à nouveau dans sa tête.

— Tu es libre de descendre jusqu’au sous-sol le plus bas. Ne perds pas de temps.

La mage descendit les marches une à une, redoublant de prudence lorsqu’elle atteignit l’étage du dessous où son père, son frère et sa petite famille dormaient. Elle passa ensuite près du rez-de-chaussée puis de la première cave. Enfin, plus que quelques marches et elle atteindrait le point le plus bas de l’hôtel.

— Personne dans la cave. Va jusqu’au mur et attend.

Aussitôt dans la pièce, Garance s’exécuta sans un mot, sans un bruit. Elle rejoint le point d’entrée des souterrains et attendit en silence. De là où elle se trouvait, elle pouvait aisément sentir la magie du mur illusoire ; elle n’avait qu’à tendre la main, à l’effleurer du bout des doigts, pour qu’elle s’estompe le temps de sa traversé.

— Tu peux avancer.

Elle marcha à travers les pierres factices et avança jusqu’au milieu du couloir où l’attendait Lua. Il lui fit ensuite un signe de la main, la sommant de l’accompagner. Il la mena jusqu’à l’entrée des anciennes galeries des Grandes archives, celles-là même qu’elle avait pris pour rejoindre le quatrième quelques jours plus tôt.

— Vas. Les Sages sont pour le moment occupés autre part mais ne tardes pas. Je te retrouverai plus tard.

— Où vas-tu ?

— Garder un œil sur ceux qui cherchent à me nuire, lui dit-il tout en disparaissant dans les ombres.

Ça y est. La voilà qui se trouvait enfin au point de non-retour. Un seul pas à faire et elle s’engagerait définitivement sur la voie de l’inconnu. Elle serra ses poings puis, fermant les yeux, pris une profonde inspiration. Il n’était pas question de flancher. Elle voulait ses réponses, plonger une dernière fois dans le passé pour avancer plus sereinement dans l’avenir.

Cette résolution en tête, elle s’enfonça seule dans les ténèbres.

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