Chapitre 27 (2/2)

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— Sire Altra ! Debout ! Ordre du commandant, cria Justinien en cognant du poing sur la porte.

De l’autre côté, Sérion, qui avait lui aussi peiné à trouver un sommeil profond, ne tarda pas à s’éveiller.

— C’est déjà l’heure ? Je fais au plus vite, Justinien.

— Je vais réveiller Dame Mortis.

— Faîtes, faîtes, mon ami.

Le légionnaire partit donc en quête de la porte suivante, qui n’était qu’à quelques pas de la première de ce couloir. Il y procéda de la même manière que précédemment.

— Dame Mortis !

Mais personne ne lui répondit.

— Dame Mortis ?

Il ouvrit alors la porte sachant que la femme qui occupait cette pièce aimait particulièrement la moindre minute de sommeil qu’elle pouvait obtenir. A l’intérieur, il poussa un hoquet de surprise ; seuls le vide et le silence l’attendaient.

Sérion, percevant ce trouble dans la voix du légionnaire, le rejoint vite. Cette réaction n’avait rien de normal.

— Que se passe-t-il ?

Justinien le regarda d’un air plein de surprise, d’incompréhension et d’un certain effroi.

— La Dame… Elle n’est plus dans sa chambre et… Il faut prévenir le commandant.

Il courut alors en direction des escaliers, n’attendant nullement une quelconque réponse de Sérion qui se dirigeait, lui, dans la direction opposée, la chambre de sa collègue et amie. Une fois à l’intérieur, c’était comme si personne n’avait occupé cette pièce. Pas la moindre trace de ses affaires hormis une simple lettre posée sur son lit fait. Sérion s’en saisit délicatement.


Pour papa et William


Il n’arrivait pas à comprendre. Pourquoi n’était-elle plus là ? Son mystérieux départ avait-il un lien avec les récentes révélations ? Et comment avait-il fait pour ne pas voir d’éventuels signes précurseurs à cet acte ? Il soupira longuement. La lettre dans sa main tremblotante aurait certainement la réponse.

— Garance…

L’elfe se retourna et quitta la pièce, déterminé à conduire cette missive au plus vite entre les mains de son destinataire qui apparut finalement sur le palier, venant à sa rencontre, en compagnie d’Ishaa et de Justinien.

— Où est-elle ?

Même si l’expression de son visage n’en montrait rien, Sérion percevait la panique dans ses yeux et le ton de sa voix. Il tâcha d’essayer de montrer plus de calme.

— Je n’en sais rien, mon Seigneur… Mais…elle a laissé ceci à votre attention.

Il lui tendit la lettre et, alors que Victor s’en saisissait, William et Walther firent à leur tour leur entrée dans le couloir. Tout comme d’autres membres de la maisonnée, ils s’étaient habillés à la hâte. William s’occupait de son fils pendant que sa femme se préparait lorsqu’il entendit les éclats de voix de Justinien. Walther venait, lui, tout juste de s’éveiller.

— Qu’est-ce qu’il se passe à la fin ? demanda l’ainé des Mortis.

— Garance a disparu, lui répondit tout simplement Sérion.

— Quoi ?!

Walther ne dit rien, le visage aussi fermé qu’à son habitude, et partit immédiatement constater par lui-même l’absence de la fille de son meilleur ami. William s’approcha de son père, le regard et la voix quelques peu perdus.

— Père… Où est-elle ?

— Je n’en sais rien, fils, mais…nous allons vite le savoir, finit Victor tout en lui montrant la lettre que Garance avait laissé.

Le commandant attendit qu’il soit à ses côtés pour briser le sceau de cire rouge qui portait l’empreinte de la chevalière de Garance, le blason des Mortis accompagné de leur devise : « Entendez nos voix dans les Ténèbres ».

Pendant qu’il dépliait le parchemin, le reste des personnes présentes commença à former un petit demi-cercle autour de lui. C’est aussi à ce moment-là que Morga ouvrit la porte de sa chambre, le visage encore embrumé par le sommeil. Elle ne dit rien, constatant la tension autour d’elle, et attendit la future lecture de son supérieur.

Victor parcourut en silence les premières lignes du courrier puis, après une profonde inspiration, revint au début et lu à voix haute le texte qu’il contenait.


Papa, William,

Si vous lisez cette lettre, c’est que je suis déjà loin. Je sais que mon absence et mes actes pourront vous paraître incompréhensibles mais, pour moi, il ne peut en être autrement.

Papa, je sais qu’en partant, tu cherches à mettre ce pan de l’histoire familiale, si important pour nous, dans sa place légitime qu’est le passé. Tu souhaites avancer sereinement dans l’avenir, pour nous. Et je sais que William te suivra sans te questionner plus que nécessaire, malgré tes récentes révélations et les zones d’ombre qui demeurent, parce qu’il s’agit pour vous de protéger et d’aimer ce qu’il reste, ceux qui vivent encore. Je comprends et accepte votre point de vue. Mais, pour moi, je ne le peux. Je n’y arrive pas. Si je ne fais rien, le poids de ces souvenirs et de cet inconnu me hantera jusqu’à la fin. Et toi et William savez mieux que quiconque à quel point j’ai en horreur ce genre de regrets et de doutes.

Si je quitte cette ville avec vous comme initialement convenu, c’est comme si j’abandonnais maman une seconde fois, comme si on me l’arrachait une seconde fois. Je ne peux l’accepter. Jamais.

Papa, lorsque je t’ai dit que je n’étais pas en colère et ne t’en voulait pas pour tes mensonges, c’était la vérité. Je le pensais sincèrement et le pense toujours.

J’espère simplement qu’à la toute fin de cette histoire, vous saurez trouver la force de me pardonner. Et si vous ne le pouvez pas… J’accepterai votre décision, quelle qu’elle soit.

Je vous retrouverai bientôt, riche, je l’espère, de nombreuses réponses. Seulement là, pourrais-je définitivement tourner la page sur cet important chapitre de ma vie. Je vous en fais la promesse.


Je vous aime,


Garance


Victor prononça ce dernier mot, le prénom de sa cadette, d’une voix tremblante, les yeux rouges. A cet instant, il se moquait bien des réponses à ses questions à lui ; tout ce qu’il voulait, c’était sa fille à ses côtés. William s’éloigna de lui, faisant quelques pas vers le fond du couloir, la respiration lente, les yeux tout aussi rouges et tentant tant bien que mal de maîtriser le flot d’émotions qui jaillissait en lui. Il revint vers son père.

— Pourquoi elle ne nous a rien dit.

Victor garda le silence. Ils connaissaient déjà tous les deux la réponse. Parce que c’était comme ça, parce qu’elle avait toujours agit ainsi, à porter seule ce genre de fardeau. Elle aurait certainement expliqué qu’elle ne voulait encombrer personne avec, que c’était son combat et qu’elle ne voulait pas que qui ce soit s’inquiète à cause de ça. Et elle l’aurait formulé tout en souriant, gardant cette part meurtrie de son cœur loin de l’étreinte des gens qui l’aime.

Victor replia doucement la lettre avant de la ranger précieusement dans l’une des poches intérieures de son manteau. Autour de lui, un sentiment global mêlé d’une forme de compréhension de son acte et de tristesse se fit sentir.

Ishaa ne connaissait Garance qu’à-travers les lettres que Kaerolyn lui avait jadis écrit. Maintes fois sa collègue avait-elle exprimé la fierté qu’elle éprouvait pour ses enfants ; en particulier pour l’intérêt que Garance avait porté, et portait toujours, dans son savoir sur l’Inconnu et l’une des écoles de magie ancestrale des Mortis. Elle sourit avec tristesse. Que penserait donc Kaerolyn de cette situation ?

Walther, lui, avait toujours vu Garance comme une nièce, voire comme la fille qu’il n’a jamais eue et aurait aimé avoir en d’autres circonstances, et ce, malgré les instants particulièrement difficiles dans sa jeune vie d’adulte. Cette fâcheuse évolution l’attristait grandement mais il reconnaissait malgré tout là Garance dans cette affaire. Il en tira un sourire amer accompagné d’une détermination aussi forte que celle qui animait Victor.

Sérion et Justinien partageaient le sentiment d’Ishaa et de Walther. Cette manière d’être correspondait à Garance. Ils savaient également le lien particulier qu’elle avait entretenu avec sa mère, les terribles circonstances de son décès et la souffrance qui en avait découlé.

Morga était la seule à ne pas avoir connu Garance depuis sa plus tendre enfance, à ne pas l’avoir vu traverser péniblement toutes les années qui suivirent la perte de cette être tant aimé. Elle pensait que cette blessure avait guérit. Du moins, c’était là l’impression qu’elle avait eue. Même si elle partageait avec elle une part de sa douleur, elle avait quelques difficultés à comprendre sa lettre. Une part d’elle-même se sentait quelque peu blessée ; elle lui donnait l’impression que sa famille et ses amis ne comptaient pas pour elle, pas suffisamment pour l’empêcher de partir ainsi. Un acte que son esprit ne put s’empêcher de qualifier d’égoïste.

Ce long instant de silence passé, le commandant se tourna vers Ishaa et Walther, son désir de descendre dans les souterrains plus vif que jamais et désormais pour une tout autre raison.

— Préparez-vous. Nous descendons la chercher. (Il commença à se diriger vers l’escalier.) Cela fait seulement une heure qu’elle est partie. Elle ne doit pas avoir beaucoup d’avance.

William le suivit.

— Je vous accompagne.

— Non ! (Le commandant se tourna vers son fils.) Toi…toi, tu as une famille à protéger. Et si malheur vient à arriver… Suis notre plan et guide-les hors du royaume en toute sécurité.

— Hors de question ! Je…

— C’est un ordre !

Le père s’approcha de son fils et posa ses mains sur ses épaules.

— S’il-te-plaît, mon garçon… S’il-te-plaît. Je ne supporterais pas de perdre mes deux enfants.

Quelques secondes de silence passèrent jusqu’à ce que William ne prenne son père dans une ferme embrassade.

— Je les conduirait hors de la ville.

— Merci… Merci.

Les deux hommes se séparèrent et Victor, accompagné de son second et de la Neavathary, entama le chemin qui le mènerait jusqu’à l’étage du dessous. William observa le trio s’éloigner dans la pénombre des escaliers.

— Par pitié… Ramenez-la nous.

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