Chapitre 28 (1/2)

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Au cœur de la basse-ville, le beffroi sonnait depuis une vingtaine de minutes. Un peu partout, de nombreuses maisonnées s’étaient éveillées dans la précipitation et celle demeurant à la taverne du Renard Boiteux ne faisait pas exception.

— Dépêchez-vous de vous habiller !

A l’intérieur, Luberth Ilbarn s’agitait entre les différentes chambres de ses enfants, alerté par la situation hors de sa demeure.

— Emma, va aider ton frère ! lança-t-il à sa fille aînée juste avant d’entamer sa descente au rez-de-chaussée, en direction de la pièce principale de la taverne.

Il comptait se diriger vers la cuisine puis vers la cave pour récupérer le sac avec les provisions d’urgence, que Morga lui avait toujours conseillé d’avoir, et le sac avec leurs économies. Mais à peine eut-il fait quelques pas dans la pièce qu’il fut interrompu dans sa course par des coups sur la porte principale.

—Messire Ilbarn ! Ouvrez, c’est urgent !

La voix lui était inconnue mais se rappelant le dernier message de sa fille, dans lequel elle promettait de le tenir au courant de l’avancée de sa situation, le tavernier se précipita à la porte. Il l’ouvrit à l’aide de la clé qui pendait non-loin sur une poutre et fit face au même homme qui lui avait apporté les mots récents de Morga. Il ne s’était plus souvenu de sa voix mais la tenue, une tunique bleu foncé, entourée d’une ceinture large et épaisse brodée d’étoiles, lui était familière. Le Sage d’une trentaine d’année, à la peau pâle et aux longs cheveux blonds, se présentait à lui couvert d’une large capeline à capuche en cuir marron.

Au loin, et avant qu’aucun n’aient pu dire quoi que ce soit, l’on entendit un hurlement.

— Au feu ! Au feu ! Il y a le feu dans le quartier nord !

Luberth ne dit rien mais la peur était bien là, dans son cœur et dans son regard. Le pire était en train d’advenir. Il devait absolument mener ses enfants hors de la ville.

— Que se passe-t-il à la fin ? C’est quoi ces incendies ? parvint-il à demander, avec tout le calme qu’il lui restait.

Le Sage, du nom d’Oldaric, réfléchit quelques instants quant à la manière d’expliquer la chose. L’incendie n’était malheureusement pas l’événement le plus terrible à venir de la nuit. Mais devait-il pour autant lui dire toute la vérité ? Il choisit de rester simple et concis ; le message entre ses mains suffirait.

— La ville et ses habitants courent un grave danger. Je ne peux rien vous dire de plus. Comme précédemment, l’on m’a confié ceci pour vous.

Il sortit un papier plié d’une petite pochette accrochée à une fine ceinture de cuir et le tendit au tavernier qui ne perdit pas de temps pour s’en saisir et l’ouvrir. Luberth reconnut bien vite l’écriture de sa fille, qui avait l’air là d’être précipitée.


Papa, prend la famille et quitte immédiatement la ville. Des cultistes sont à l’origine des incendies et ils préparent quelque chose de plus terrible encore. Rends-toi chez oncle Orber et attend de mes nouvelles. Je vais bien et m’apprête à quitter la ville avec les autres. Vous pouvez faire confiance à la personne qui vous remettra ce mot. Elle vous guidera hors de la ville en toute sécurité. Ne perds pas de temps. Je vous aime.

Morga


— Par les Trois ! Les choses sont si graves ?

— Je le crains.

A l’extérieur, les hurlements s’intensifièrent et de plus en plus de personne commençaient à sortir de leur maison.

— Rentrez, vite, dit alors le tavernier en s’écartant du passage.

Ils ne devaient pas perdre de temps et sortir de la Nouvelle-Essenie au plus vite.

Le Sage se déplaça à grandes enjambées jusqu’au cœur de la pièce, le son de ses bottes presque étrangement imperceptible sur le plancher. Derrière lui, le maître des lieux refermait prestement la porte tandis que ses six enfants descendaient un par un des étages supérieurs. Hugo, Emma, Thomas, Blanche, Alfred et Séverin, âgés de 21 à 14 ans, étaient prêts à partir ; il ne leur restait plus qu’à prendre leurs affaires, qu’ils avaient réunies dans le couloir du premier étage.

— Tout va bien papa ?

— Qui est cet homme ?

— Les gens hurlent dehors. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Les trois cadets, eux, ne dirent rien mais ils étaient tout aussi inquiet.

— Des choses graves, répondit simplement leur père.

Il se dirigeait vers un gros vaisselier installé non-loin de l’entrée.

— Hugo, aide-moi à barricader la porte !

— Permettez, intervint Odalric avant que l’aîné n’ai eu le temps de répondre.

Il tendit son bras gauche et, d’une série de deux courts mouvements, plaça une barrière à l’endroit de la porte. Voilà qui permettrait de ne pas gaspiller inutilement un temps précieux.

— Nous devons partir au plus tôt ou il sera trop tard.

— Trop tard pour quoi ? Papa ?

— Tiens. (Luberth s’avança puis donna à son fils le papier qu’il avait gardé en main.) Voici un mot de votre sœur.

Hugo s’en saisit et le lu aux autres qui masquèrent de moins en moins leurs inquiétudes.

— Des cultistes ? Ceux qui servent les méchants dieux ?

Odalric sourit faiblement, trouvant l’innocence de cette question touchante. Les choses étaient malheureusement plus compliquées.

— En quelque sorte, jeune homme, répondit-il en se tournant vers Alfred, l’un des plus jeunes de la fratrie. Peu importe qui ils servent, ils sont dangereux et doivent être neutralisés. Mais pour cela, je dois d’abord m’acquitter de ma première tâche et vous escorter hors de la capitale.

— Donc plus vite on part et plus vite vous pourrez protéger la ville.

Odalric hocha la tête.

— On va chercher nos affaires. On vous ralentira pas, promis.

Et ainsi, le groupe s’élança vers l’étage d’un commun accord.

— Ne perdez pas de temps ! (Le tavernier se tourna le Sage.) Je vais chercher nos derniers sacs et je reviens.

Luberth partit sans attendre la réponse de leur escorte. En moins de dix minutes, tout le monde se trouva réuni dans la grande salle et enfin prêt à partir.

— Je suppose que vous avez une autre sortie. A l’arrière ?

— Oui, dans la cave. Elle donne sur une rue pas très passante mais on peut accéder rapidement au quartier ouest.

Sachant le quartier nord déjà en flammes, il ne proposa pas cette possibilité.

— Bien, je vais vous mener jusqu’à la sortie ouest. Vous serez en sécurité une fois hors de la ville.

Dans la pénombre, le mage invoqua plusieurs petites lueurs pâles que la plus jeune fille de Luberth ne put s’empêcher de comparer à des étoiles. Eclairant la pièce bien mieux qu’une torche, Odalric les disposa au-dessus d’eux en une étrange canopée.

— Venez, la cave est par ici.

Le petit groupe se dirigea vers un escalier en bois non loin de celui menant à l’étage et descendant directement dans la cave. Il traversa sans un mot cette froide pièce à l’air sec avant d’atteindre une trappe verrouillée de l’intérieur. La petite clé en fer pendait sur une poutre proche. Juste avant de s’écarter pour laisser au tavernier la possibilité d’ouvrir le passage, Odalric s’adressa une dernière fois à l’ensemble du groupe.

— Je vais passer devant. Ne vous éloignez pas et faites exactement ce que je vous dis.

Le Sage s’écarta enfin et laissa à Luberth le soin de déverrouiller le cadenas et ouvrir la trappe en douceur. Odalric et le tavernier sortirent ensuite tout deux les premiers puis, voyant l’absence de danger immédiat, indiquèrent aux autres de gravir les quelques marches en pierre pour les rejoindre. Au-dessus d’eux, les lueurs n’avaient pas changé de place. En réalité, il s’agissait bien plus que d’un simple éclairage ; si nécessaire, chacune de ces petites boules d’énergie pouvait impacter efficacement le moindre danger que le groupe viendrait à croiser, offrant un certain minimum de protection.

Clé et cadenas en mains, Luberth observa l’arrière de sa demeure et sentit une vague de tristesse l’emplir à l’idée de l’abandonner. Sa vie tout entière depuis sa naissance avait eu pour scène ce lieu si cher à son cœur et à ceux des habitants de ce quartier. C’était peut-être la dernière fois qu’il posait les yeux sur ces murs. Cependant, malgré la situation tragique dans laquelle ils se trouvaient, l’espoir se refusait à mourir complètement.

— M’sieur l’mage… Si vous voulez bien m’aider… lui dit-il en montrant le cadenas.

— Compte-tenu de la situation, votre établissement pourrait ne pas survivre.

— S’il vous plaît… S’il y a une chance, une seule que…

Odalric soupira.

— Très bien. Donnez-moi le cadenas et écartez-vous.

Luberth le lui tendis et le Sage le déposa sur une des marches de la cave avant de refermer la trappe. Ensuite, pendant plusieurs secondes et à la manière d’un marionnettiste, il effectua plusieurs mouvements de la main droite et de ses doigts jusqu’à ce qu’un petit cliquettement soit entendu. La trappe était de nouveau verrouillée.

— Merci, dit simplement Luberth.

Odalric se tourna vers le groupe.

— Bien, allons-y.

Le Sage prit la tête du groupe tandis que Luberth le fermait. Ils s’avançèrent dans les petites rues d’un bon pas, naviguant entre les maisons en direction du sud-ouest. Sur le trajet, ils croisaient de plus en plus de gens qui sortaient de leur demeure et qui prenaient, pour la plupart, la direction des artères principales de la ville. Peut-être se disaient-ils qu’ils évacueraient plus facilement mais avec ce qui était à venir, ou était déjà là, les petites rues se trouvaient être pour le moment les plus sûres aux yeux d’Odalric.

— Ça sent le brûlé…dit Alfred au bout de quelques minutes en se couvrant le nez.

— Papa, regarde ! Le ciel est de plus en plus rouge.

Emma pointait de son doigt la zone vers laquelle ils se dirigeaient.

— Raison de plus pour ne pas perdre de temps. Avancez, lança un peu plus sèchement Odalric.

Des cris furent entendus au loin. Doucement, la panique commençait à se saisir de la cité. Aurait-il le temps de les faire sortir ?

— J’ai peur, papa…

—Ça va aller, mon grand. (Luberth enlaça Séverin, le plus jeune de ses enfants.) Tout ira bien. On va allez chez oncle Orber. On sera en sécurité là-bas.

L’adolescent ne dit rien et hocha simplement de la tête.

Au moment de bifurquer en direction de l’ouest, vers la porte qui les mèneraient vers la sécurité, Luberth se rendit compte qu’un petit groupe les suivaient de quelques mètres. La présence de leur éclairage particulier les impressionnait certainement et, en même temps, la présence d’un mage leur paraissaient peut-être rassurante. Le tavernier n’en dit rien ; Odalric les avaient très certainement déjà remarqués.

Enfin, les rues s’élargirent et l’on put apercevoir au bout de l’une d’elle l’avenue des Prelant qui menait vers la sortie ouest. De l’autre côté, une fumée épaisse s’échappait des bâtiments en flammes. Le groupe déboucha dans l’avenue où des dizaines de personnes, jeunes et âgées, passaient en courant, les bras pour beaucoup chargés d’affaires. Quelques soldats éparpillés autour aidaient ceux le plus en difficulté, comme les personnes âgées et les infirmes, à quitter les lieux.

— Restez près de moi.

Les enfants s’exécutèrent aussitôt, se blottissant presque les uns contre les autres.

— Partez maintenant. Je resterai là jusqu’à ce que vous ayez passé les portes.

— Merci.

Odalric ne dit rien et s’inclina légèrement en guise de réponse.

Entre temps et juste avant que le groupe de Luberth ne parte, celui qui les avait suivis, composé d’un homme, de sa femme et de leurs deux enfants, passèrent devant eux sans rien dire, trop pressés qu’ils étaient de quitter les lieux. L’on pouvait cependant aisément lire dans leur regard toute la gratitude qu’il avait à l’égard de ces gens qui n’avaient pas refusé d’être suivi. Cette famille passée, celle de Luberth ne tarda pas. Le groupe s’engouffra à son tour du mieux qu’il le pouvait dans cette masse qui semblait s’épaissir de minute en minute.

Pendant qu’ils s’éloignaient, Odalric remarqua un soldat non-loin de lui rejoint par un autre au visage marqué par un certain effroi. Malgré la cacophonie alentour, il perçut les grandes lignes de leur conversation :

— Lieutenant ! Lieutenant, c’est horrible ! Les morts… Il y a des morts-vivants près des quais. Ils s’en prennent aux survivants. Les unités en place là-bas demandent de l’aide !

— Par les Divins… (Il se tourna vers les quelques hommes autour de lui.) Avec moi !

Le véritable fléau faisait enfin son apparition.

Cinquante mètres plus loin, les Ilbarn quittèrent l’enceinte de la capitale. Son devoir ici achevé, Odalric se retourna et courut droit dans le cœur de la capitale pour faire face aux sinistres raisons de ce brasier.

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