Chapitre 28 (2/2)

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Les Ilbarn arrivèrent enfin au sommet d’une des quelques collines qui surplombait la cité à l’ouest, avec à leur droite l’océan de Pranamante et à leur gauche la forêt de Lugram. C’est avec des yeux ébahis et au cœur des lamentations des autres survivants qu’ils observaient le drame qui se jouait.

Dans la capitale, les premiers foyers s’étaient déclarés dans la basse-ville et les bas-fonds. Il ne faisait aucun doute que les deux grandes parties, qui constituaient les deux tiers de la ville, seraient les plus ravagées par les flammes qui apparaissaient davantage aux habitants comme n’ayant rien de naturel. De nombreux morts étaient déjà à déplorer, intoxiqués par les fumées ou ensevelis sous les gravats des bâtiments effondrées. La porte nord, menant aux faubourgs d’Aramon, ne tarderait pas à être inaccessible ; deux maisons s’étaient déjà écroulées et leurs gravats bloquaient maintenant la rue principale. Autour, d’autres bâtisses montraient à leur tour des signes d’instabilités.

Pour le moment, la haute-ville se trouvait épargnée, à l’exception de quelques bâtiments proches de la basse qui commençaient à prendre feu. Dans cette cité de pierre, de nombreux nobles avaient tentés de fuir, certains en compagnie de leurs gens, mais très vite, face à la menace des flammes, et celle des morts à venir, beaucoup avaient pris le chemin du Sanctuaire des Trois, espérant que les Dieux et leurs serviteurs leurs apporteraient la protection tant espérée.

Dans les quais, l’explosion s’étaient faite près de quartiers de repos tuant de nombreux travailleurs. La moitié du port était déjà détruit et bon nombre de bateaux, encore amarrés, sombraient en morceaux dans les eaux sombres. Pour les secours, il devint vite impossible d’y accéder afin de récupérer cette si précieuse eau, indispensable à la fin de leurs malheurs.

Plus à l’est, les bas-fonds souffraient tout autant, si ce n’est plus, tant par les destructions occasionnées que par les nombreux morts, bien plus nombreux qu’ailleurs dans la cité. L’état de ce quartier fait de bric et de broc convenait, hélas, parfaitement à la propagation efficace des flammes, ce qui expliquait son état de combustion plus avancé que celui de la basse-ville.

Dans l’ensemble de la capitale, toujours plus de voies finissaient bloquées et forçaient les habitants à prendre des détours et chemins plus longs et dangereux sans espoir véritable d’une sortie certaine. Cette réalité embarrassait aussi l’aide, qui ne pouvait se rendre dans les zones plus sinistrées.

Hors de ses murs d’enceinte, et accolés à ceux-ci, les quelques faubourgs apparaissaient plus calmes et épargnés, ce qui n’empêchait nullement les habitants de fuir eux-aussi la zone et prendre ainsi une distance qu’ils jugeaient suffisamment sûre. Quelques personnes essayaient malgré tout de venir en aide aux êtres paniqués qui sortaient de ces remparts qu’ils avaient toujours cru protecteurs.

Plus haut dans le ciel, la météo n’aidait nullement à tempérer le désastre. La pluie ne pointerait pas le bout de son nez de sitôt et le vent, lui, revenait en force, attisant les flammes déjà puissantes et portant les braises, qui virevoltaient dans l’air telles des lucioles, vers d’autres secteurs pour le moment encore épargnés. La brise transportait également avec elle les odeurs de bois calciné, de cendre et de chair brûlée, qui se mêlaient en un ballet horriblement harmonieux, vers les secteurs les moins touchés et aux alentours proches de la capitale.

Au centre de la basse-ville, la cloche du beffroi avait cessé de résonner, plongeant les lieux dans une autre mélopée, composée des hurlements des habitants et des bâtiments qui se fracassent au sol. Les gardes s’en étaient allés faire face à un autre mal, plus sinistre que l’incendie, et encore inconnu de la majorité de la populace.

Dans les quais et les bas-fonds, une autre menace, bien plus vicieuse, commençait en effet à pointer le bout de son nez. Les habitants, non seulement bloqués par les flammes et la fumée, devaient désormais faire face aux squelettes qui sortaient en nombre important des entrées, connues ou inconnues, des souterrains. Les squelettes avaient entamé leur sortie par plusieurs points de la cité : le cimetière Saint-Valentoix et la cave des frères Laurentius dans la haute-ville, le passage des contrebandiers sur les quais, un vieil entrepôt et l’entrée des égouts dans la basse-ville pour finir par une autre entrée des égouts dans les bas-fonds.

Ces êtres d’os n’étaient ni plus ni moins que les restes des très nombreux habitants des zones supérieures de l’ancienne Agrisa, qui ne purent fuir le désastre d’il y a six siècles, accompagnés des morts des catacombes qui gisaient là depuis bien plus longtemps encore. Certains d’entre eux s’étaient par ailleurs reconstitués à partir d’ossements éparts donnant à quelques-uns des morts-vivants des silhouettes parfois grotesques. Ils venaient en ces lieux porter la même mort qui les constituaient, équipés de tout ce qui pouvait faire office d’arme, de l’antique épée au morceau de fer rouillé.

A ce groupe se joignaient également les cadavres à moitié décomposé du dépotoir des Noirelames ainsi que ceux, plus récents, des ouvriers dont Nirnante avait ordonné la « libération ». Il était complété en toute fin par les quelques spectres récents du quatrième qui ne s’embarrassèrent pas des mêmes détours que leurs comparses plus tangibles prenaient. Ce complément s’apprêtait d’ailleurs à sortir par le passage menant aux bas-fonds.

Naturellement, la source de tous ces malheurs se terrait encore dans les ombres épaisses des souterrains ou dans celles crées par les flammes. Inconnus des habitants et des protecteurs des lieux, les raisons de la propagation d’un tel chaos se trouvaient chez la cinquantaine de zélotes de Zinnar, dispersés à la surface aux différents endroits qu’ils avaient jugés stratégiques et bien décidés à s’assurer de l’application de la « condamnation » de leur maître jusqu’au bout. Ils avaient formé plusieurs groupes dont la majorité avaient eu la charge d’allumer les différents foyers de part et d’autre de la capitale. Le reste se devait de guider le flot des morts à la surface.

Les zélotes agissaient autant qu’ils le pouvaient en ce sens avec la directive de le faire sans avoir été vu. Le mystère quant aux origines de ce désastre devait demeurer le plus longtemps possible de sorte de conforter au maximum les soupçons envers la Légion. Et si par malheur, un habitant ou un soldat venait à les voir agir de la sorte, ils avaient pour directive de l’éliminer. « Pas de témoins » avait-dit Nirnante.

Des deux leaders du groupe, seule Ciaran était pour le moment présente à la surface, s’assurant de la bonne marche de cette phase de leur plan, tapie dans les dernières ombres de la capitale. De son côté, Vildis, accompagné de la lanterne fantôme, les rejoindrait bientôt, une fois les souterrains vidés de l’entièreté de ses morts, anciens comme récents.

Seize mages constituaient les effectifs officieux des Grandes archives dans la capitale. Ils avaient formé trois groupes, composé de quatre personnes, pour chacun des grands secteurs de la cité : les bas-fonds, la basse-ville et la haute-ville. Maintenant séparés, ils arpentaient les rues désolées en binômes comme il le pouvait. Se préoccupant avant tout des cultistes, qu’un duo avait croisé sans pouvoir empêcher leurs actes, ils laissaient la charge des incendies et des morts-vivants aux soldats de la capitale.

Les Veilleurs, petit à petit épaulés par le reste des gardes de la cité, comprenaient, plus le temps passant, que les incendies ne pourraient être stoppés rapidement, même avec l’appui des quelques mages de la capitale. Maugran Berort et ses lieutenants faisaient de leur mieux pour reprendre le contrôle de la situation mais sans l’appui rapide des soldats de la garde royale et du connétable, la situation allait finir par très vite empirer.

C’est en de telles circonstances que la présence de Victor et de ses gens aurait été rassurante. Il ne put s’empêcher, l’espace d’un instant, de maudire la décision de son roi. Quelques-uns de ses hommes les avaient d’ailleurs accusés d’être derrière ces actes ; Maugran les avait repris rapidement, rappelant l’assignement à demeure qui était le leur depuis la fin de la semaine passée.

Le capitaine ne savait ce que l’avenir leur réservait ; c’était comme si les portes de l’Umbra s’étaient ouvertes pour déchainer ses ombres sur les innocents. Juste avant de donner ses derniers ordres, il adressa une prière aux Trois, les suppliants de les guider sains et saufs à-travers cette longue nuit.

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