2.1

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J’en profitais pour appeler Pierre-Henri, l’ingénieur avec lequel je devais partir. Nous avions encore des détails à régler. J’aimais entendre cette voix sympathique et chaleureuse, présageant d’une bonne entente.

Nous avions un mois de retard sur le planning à cause de ce confinement. La question était de savoir si nos installations seraient quand même pertinentes pour cette année. Il s’agit d’installer des stations d’enregistrement pour étudier la résistance des forêts à la sécheresse. Nous en avons cinquante à poser, aux quatre coins de l’Hexagone, selon l’expression. Cette mission est menée bien entendu sous l’égide de l’O.N.F., en liaison avec l’INRAE que je représente. Un intervenant de chaque bord, pendant deux mois. Nous avons préparé par mail et visio. Je ne l’ai jamais vu de visu, mais ce travail s’est déroulé très agréablement. Passez deux mois en cohabitation étroite avec un inconnu pouvait aussi déboucher sur le pire. De mon côté, je pense que je suis assez conciliant, assez indifférent aux contraintes. Je connais aussi les biais cognitifs et la sous-estimation de ses propres défauts !

Nous avons rendez-vous pour partir du siège, à Saint-Mandé. Normalement, le matériel a été acheminé auparavant auprès des antennes locales. Nous commençons donc par une étape de plus de sept heures dans notre tout-terrain, pour rejoindre le premier spot dans les Alpes du Sud, le temps de faire connaissance !

Quand je le vois, j’ai du mal à sortir de mon étonnement. C’est un grand mec, qui fait très jeune. Il a les cheveux blond vénitien, flamboyant, presque roux, une légère barbe dans les mêmes tons, des yeux noisette clair et surtout un sourire à vous faire fondre. Pour la première fois, je vois le soleil, celui qui vous réchauffe et vous donne de l’énergie ! Je n’avais rien remarqué lors des visios, concentré sur notre travail à venir et son organisation. La qualité de l’image était mauvaise, l’éclairage nul, et puis il portait des lunettes au bureau. J’avais juste apprécié sa rigueur et sa réactivité, son côté positif et constructif. Je m’étais dit qu’il devait être ouvert et que notre mission allait bien se dérouler. Mais devant lui, c’est un sentiment inconnu, un éblouissement. Ce garçon est solaire ! N’ayant jamais ressenti de coup de foudre, je ne pouvais mettre un mot sur ce sentiment qui me tétanisait.

Je ne sais combien de temps à durer cette phase de sidération, d’autant qu’il me serrait la main avec les deux siennes, exprimant une chaleur attendrissante. Malheureusement, je sentis une bague à son annulaire et mes yeux tentèrent d’ignorer son alliance. Tout s’écroula aussi vite. J’eus l’impression qu’il n’avait rien remarqué de mon trouble. Peut-être, tout cela n’avait duré qu’une fraction de seconde ? Pourtant, je n’étais plus le même !

— Salut Pierre-Henri !

— Salut, Usem. Mon surnom est Pierri, si tu veux !

— So cute !

Je ne peux pas m’empêcher de lui envoyer une gentillesse pour masquer ma gêne. Je suis encore tourneboulé et intimidé. C’est la première fois que je suis impressionné par un homme. Il éclate de rire. C’est bien parti ! Je me détends.

Il assure le premier quart de conduite. Il cause beaucoup, de lui, de tout. En fait, il a mon âge. Ingénieur des Eaux et forêts, marié depuis un an, issu de bonne famille. C’est vrai qu’il me rappelle beaucoup Thomas et Charlotte. Décidément, ces gosses de riches sont bien plaisants ! Plus que les camarades (même pas des amis) que j’ai gardés de ma cité. Dans cette bande, il y avait des garçons de valeur. Je dis garçons, car les filles fréquentaient leur propre bande, même si elles étaient un sujet important de discussions, et d’embrouilles ! Je n’ai pas lié d’amitiés de jeunesse, d’amitiés scolaires, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que je me suis senti différent très tôt. Être gay parmi eux était simplement impossible. Ne pas pouvoir tout partager empêche la création d’un lien. Pourtant, je me souviens de certains d’entre eux, qui m’étaient précieux. Se taire, faire attention sans cesse, ne pas réagir à leurs propos homophobes m’a éloigné d’eux. Je crois que cela m’a aussi permis de suivre ma propre voie, de ne pas être pris dans ce moule contraignant. Je n’appartenais pas vraiment au groupe. J’ai pu entreprendre des études, autre bizarrerie incompréhensible. J’étais un des leurs sans être parmi eux. Nous nous respections, le reste…

Si vous saviez la douleur de cette solitude, toute ma jeunesse ! Juste des rencontres, avec des gamins des autres milieux, éloignés du mien, furtifs ou intenses. J’ai pu m’extraire de la cité, mais tout seul. Ce n’est pas mon tempérament ! J’ai besoin d’amour, de contact, de confiance.

Même si j’ai toujours été attiré par les garçons, j’ai eu de belles expériences féminines. Disons que je n’avais pas d’efforts à faire et que je me suis laissé entrainer sans résistance… Là encore, impossible d’établir un lien en profondeur avec ces filles, sachant que ma nature profonde ne permettait pas d’envisager une liaison pérenne.

Il y avait toujours un joli porteur de pénis qui apparaissait alors, me remettant dans mon chemin préféré.

Un seul m’avait sorti de mon isolement affectif. Cela m’avait fait peur. Être aimé et aimer, quand on ne sait pas, c’est troublant et dérangeant. Ai-je le droit ? Pourquoi s’attache-t-il à moi ? Et ma liberté (le mot que je mettais pour m’expliquer mon non-attachement) ?

J’en ai fait voir à Doron ! Il ne le méritait pas. Quand j’ai compris qu’il m’aimait comme j’étais, avec mes tares refoulées, j’ai craqué. C’est un peu pour ça que je suis parti. C’était trop fort et j’ai eu peur de ne plus être moi quand j’étais avec lui.

Cela s’était fait doucement. Nos retrouvailles à l’ActiveX m’avaient enfin fait comprendre que ma vie était avec Doron. Cette ambiance si chaleureuse affectivement, si sexuellement intense, ont fait tomber mes blocages. Doron, mon mec, pour la vie !

Et ce matin, sur le trottoir de Saint-Mandé, cette déferlante qui m’ébranle ! Ce soleil qui me touche du doigt et me soumet entièrement à son adoration infinie.

C’est ce trouble que je vais ruminer durant ce long trajet. Mon monde affectif, si fragile, est bouleversé. Tout est en ruine dans mes sentiments et, en même temps, je suis avec mon sauveur.

Je le regarde à la dérobée. Ses bras sont couverts de ce duvet blond. Il doit avoir l’habitude d’être en chemisette et en plein air, car ses bras comme son visage sont légèrement bronzés, soulignant de petites taches de rousseur. J’imagine son torse couvert de mes baisers, ma bouche descendant sur son ventre, vers sa touffe, brillante, chaude ; arrivant au tabernacle. J’imagine ma main sur ses jambes, remontant vers ses cuisses, caressant ses fesses, mes doigts glissants vers…

— Usem, tu m’écoutes ?

— Oui, oui, excuse-moi, je t’écoute. Tu parlais de ton mariage…

L’histoire de son mariage m’est indifférente : ce ne sera pas le premier avec une bague au doigt à jouir avec moi ! S’il veut bien ! Il doit me reprendre souvent, tellement je suis dans mes souhaits futurs. J’en ai déjà oublié l’ActiveX et mes amis. Du reste, j’ai déjà une érection.

Avec un effort dantesque, je reviens sur Terre, dans cette voiture. Il attaque sur des questions professionnelles et pratiques et je suis obligé de me concentrer, de me détacher de cette pulsion ravageuse.

Je suis tombé amoureux, alors que j’ai déjà un compagnon que j’aime !

C’est vraiment l’embrouille qui change votre vie.

Tu crois que je peux dire que je n’y suis pour rien ?

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