2.4

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Un incident me fait découvrir un aspect nouveau de sa personnalité. Je l’avais découvert accueillant, chaleureux. Je me suis rendu compte que ce n’était pas son attitude habituelle. Quand nous arrivions dans un centre pour charger le matériel des jours suivants, il était froid, distant avec ses collègues. Disons plutôt réservé. Son physique attirait la sympathie, peut-être trop. Quand un geste ou un mot de camaraderie, de sollicitude, d’intérêt apparaissait, il l’ignorait. Je voyais son interlocuteur se figer alors, peiné de cette distance. Avec les hôteliers, les serveurs, il était parfois à la limite de la politesse. Ce dualisme entre son aspect enfantin, jovial et son attitude autoritaire était troublant. Un matin, le matériel n’était pas disponible. Nous aurions dû être prévenus, c’est vrai. C’était au moins une journée de perdue. Son correspondant avait beau nous expliquer les démarches menées pour essayer de corriger la situation, qu’il avait essayé de nous joindre, Pierri était entré dans une colère froide, à la limite de l’insulte. Je ne suis pas sûr que son collègue n’avait pas un grade hiérarchique plus élevé que lui.

Je n’arrivais pas à accepter ces personnalités différentes, tellement il était souriant, protecteur vis-à-vis de moi. Je sentais que sa conduite à mon égard était unique. Pourquoi ? Cette question m’angoissait légèrement. Je n’étais pas n’importe qui pour lui, c’était évident. Mais qui étais-je ?

Il continue ses nombreuses interrogations sur l’homosexualité, les jours suivants. Il veut savoir comment on drague, si cela se fait dans des lieux spéciaux, comment on sait qu’un autre homme est aussi un homo… Tout y passe, mais jamais l’acte sexuel entre hommes n’est abordé. En revanche, il me questionne longuement sur Doron et mes sentiments envers lui. Il se demande si l’amour entre deux hommes peut ressembler à celui entre une femme et un homme. Je suis obligé de me dévoiler, de raconter mes difficultés avec les sentiments d’amour, comment ils ont évolué.

Quand il conclut « Finalement, votre amour est beaucoup plus fort que ce que j’éprouve pour Clarisse ! », c’est à mon tour de le faire parler. Je découvre alors un individu totalement différent de celui que j’ai devant moi. Je m’attendais à avoir un mec adulé, des amis en quantité. En fait, me dit-il, il a des camarades, des copains, des bons camarades, des grands copains, mais il n’a jamais eu vraiment un ami. Pareil avec Clarisse : c’est une fille adorable, jolie, intelligente et tout, mais il manque le grand amour ! Vivre sa vie avec elle sera un plaisir, avoir des enfants un bonheur, mais il manque la folie de l’absolu.

Quand Arnaud lui avait parlé de moi, Pierri s’était demandé ce qui s’était passé réellement entre nous, tellement il avait parlé de moi avec chaleur. Il baisse la tête. J’ai tellement envie de le prendre dans mes bras, de lui dire que le grand amour est là, entre nous deux, pour nous deux. Mais est-ce vrai ? J’ai déjà vécu ces élans, avec Arnaud notamment.

Arnaud, ce fut mon grand, très grand ami en terminal. C’est vrai, j’en étais tombé amoureux. Le problème, c’est qu’il est un pur hétéro. Je ne l’ai pas dragué, car on se connaissait trop. Je lui ai dit mon orientation, mon attirance, extrême, mon admiration, mes envies. Il aurait pu jouer le dégouté, le farouche, le choqué. J’étais prêt à tout lui donner, mon amour, ma vie, tout. Il a tout accepté, sans un mot, prenant ma défense, s’affichant ostensiblement avec moi, alors que ma réputation d’amateur de garçons se répandait. Je ne me suis livré comme ça qu’avec lui, puis Doron. Enfin, partiellement, car l’essentiel…

J’ai eu un moment d’hésitation, car dans les derniers mois, je m’étais aussi ouvert à Manon, un peu à Alex, mais pour me rapprocher de lui. Avec ce diable de Pierri, j’étais en train à nouveau de céder. Avec l’âge, je devenais amoureux ! Il était temps que je me marie !

En sortant de cette rêverie, je tombais sur les yeux noisette, attentifs et admiratifs. Qui était ce garnement si attachant ?

Je repris mon histoire avec Arnaud. Il m’avait dit en retour son amour pour moi, amour, pas amitié. J’étais encore dans ma phase mi-filles, mi-garçons, guidé par le sexe, mettant juste l’habillage sentimental obligé pour me dissimuler. Les mots d’Arnaud m’avaient bouleversé. Je m’étais rendu compte, pour la première fois, que j’avais aussi un cœur. Et que quand il s’agitait, cela devenait bien compliqué. Je ne voulais pas perdre Arnaud, mais il ne voulait pas… J’étais tombé sur un mec exceptionnel, mature, fin. Il m’avait dit vouloir vivre cet amour avec moi, sans sexe. Surtout, il m’avait dit que l’amour pouvait se partager, deux amours côte à côte, sans qu’ils s’amoindrissent, sans exiger l’exclusivité. Comme j’avais paru sceptique, il m’avait dit de regarder une mère avec ses enfants ! J’avais pensé à la mienne et à l’amour qu’elle portait à mon père, immense et constant. C’était tellement évident ! Et tellement effrayant ! Arnaud sortait avec Louise et on voyait bien que leur relation était au-delà d’une amourette. Pour se faire comprendre, il m’avait pris la tête et m’avait embrassé. Sur la bouche. J’avais compris : ce n’était pas la même chose qu’avec un ou une partenaire sexuel. Dans ce baiser passa une chaleur, une profondeur extraordinaire. Quand nous nous étions détachés, il avait passé un doigt sur ma joue pour essuyer une larme. En un instant, mon esprit venait de franchir des années-lumière. Notre relation allait évoluer doucement, avec puissance et éternité, durant ces années de fac. Je serai son témoin à son mariage. Louise était devenue ma sœur. Nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps, mais tout est là, intact, inoxydable.

Je m’étais laissé emporter par mes souvenirs, si doux, si forts, incapable de les amoindrir.

— Tu sais que tu es beau quand tu parles d’Arnaud ?

— Sinon je suis moche ! Dis-le !

Mon tort est de lui décocher un coup de pied sous la table. Je rate et ce sont nos jambes qui se frôlent. Ma réaction est immédiate. Je continue pour cacher mon trouble.

— Désolé ! J’ai raté mon coup de pied !

— Usem, tu ne sembles pas aimer les compliments !

— Oh ! Si ! Mais, franchement, Pierri, venant de toi, ça me trouble !

— Pourquoi ? On se connait depuis quelques jours, mais j’ai l’impression de te connaitre depuis toujours.

— C’est vrai. C’est bizarre ! Mais c’est plutôt bien, non ?

— C’est normal ! Arnaud m’avait tellement parlé de toi que j’avais hâte de te rencontrer. Déjà, quand nous avons préparé, j’ai aimé ta façon de faire, de parler.

— Tu avais un préjugé favorable !

— Oui, c’est vrai. Mais quand je t’ai vu, juste avant que nous partions…

— Pierri, tu…

— J’ai eu comme un coup de foudre ! Voilà ! Je l’ai dit ! Je te l’ai dit !

Il était rouge de confusion. Ses yeux exprimaient soulagement et anxiété. Il était attendrissant.

— Ça te gêne d’éprouver quelque chose pour un mec ? Un pédé en plus ?

— Non, même pas. J’ai seulement peur que tu me prennes pour un gros con collant.

Bien que nous soyons au centre de la salle de restaurant, je lui pris la main et caressais ses doigts.

— Pierri, c’est la plus belle déclaration d’amour qu’on m’a jamais faite ! Tu sais, j’ai eu le même choc quand je t’ai vu. Le coup de foudre a été réciproque. C’est pour ça que nous avons démarré au quart de tour. Il y a quelque chose de fort entre nous.

— C’est plus compliqué, Usem. Tu sais, je suis sorti d’un moule, tout fait, bien comme il faut, sans défaut. Je ne me sens pas moi-même, mais comme un automate, un robot programmé. C’est pour ça que j’ai pris les Eaux et forêts en spécialisation, pour pouvoir fuir dans la nature, être loin de ce monde formaté. Quand Arnaud parlait de toi, j’entendais liberté, joie, ouverture ! Je voulais te connaitre, devenir ton ami pour que tu m’emmènes loin. Ton sourire au premier instant a tout chamboulé. Je ne veux pas m’imposer, juste un peu de chaleur !

Non seulement j’avais aimé ce gamin au premier instant, mais son aveu de faiblesse me le rendait encore plus attirant. Je le tirai par la main.

— Viens !

Je comprenais qu’il s’était fait de moi une image artificielle. Il avait bâti un mec idéal à partir de ce que Arnaud lui avait dit. Il avait tellement envie de ce conte de fées qu’il en était tombé amoureux. Le faire revenir dans le réel était nécessaire. Moi, je n’avais qu’une envie, entrer avec lui dans ce monde merveilleux.

Le problème, tu comprends bien, vient aussi de lui. Je veux dire, je ne suis pas seul en cause…

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