La falaise

2 minutes de lecture

Pointe Saint Mathieu, Finistère, juillet 1993. Loreleï, 16 ans.

Au bord de la falaise, le vertige la saisit. Les vagues se fracassaient en contrebas, mugissement du vent et de l'océan. Un appel.

Comme ce serait bon de tout oublier.

Avant… Avant, elle courait avec lui sur les sentiers. Il se cachait dans la lande. Surgissait, la faisait tournoyer.

Puis ils prenaient le thé chez grand-mère Katell.

« C’est sec, mamie. »

« C’est normal, c’est breton. »

Il lui jetait alors un regard complice. Leur jeu allait commencer.

Papa. Un mot qu’elle pouvait toujours penser. Mais qu’elle ne dirait plus.

À l’église, devant le cercueil, ses jambes l'avaient lâchées. Le prêtre ne cessait de sourire. Loreleï aurait voulu lui arracher ce rictus indécent à coup de hache. Vivian l'avait soulevée, ses grandes mains sous ses aisselles, avec cette douceur qu'il gardait pour elle. Ingrid n'avait rien dit. Juste un signe de tête vers la sortie. Emmène ma fille. La mère de Loreleï abdiquait déjà.

Loreleï avait quitté Vivian quelques mois auparavant. Ce n'était pas la première fois qu'elle partait. Alors, il attendait.

Chez Loreleï, il l’avait portée jusqu’à sa chambre. L’avait couchée.

Il resta près d’elle en silence.

Elle le brisa :

— Vivian… Viens sur moi.

Elle ne tendit même pas les bras vers lui. Trop vide. Il s’allongea à côté d’elle.

— Non. Viens sur moi. Pèse de tout ton poids.

— Je vais te faire mal.

— Je m’en fous.

Il se laissa aller contre elle. Elle se sentait si petite sous lui.

— Arrête de te retenir. Appuie sur moi.

— Je vais t’étouffer.

Elle le regarda, les yeux durs, muette.

Il pesa. Son souffle attentif contre son oreille.

La respiration de Loreleï se calma.

— Vivian...

Depuis quand n’avait-elle pas murmuré son prénom ainsi ? Elle se souvenait comme cela l’excitait. Malgré le poids, son bassin bougea contre lui.

— Vivian. Je veux.

— Arrête. Tu ne sais pas. Tu ne sais plus.

— Vivian. Je veux.

Elle l’embrassa. Tira ses cheveux. Il ne pouvait résister à son chant. Jamais.

Quand ils bougèrent en rythme, la pulsation familière devint violente. Elle menaçait de la dissoudre.

— Appuie avec ta main. Là.

Elle lui désigna le creux entre sa poitrine et son cou. Il gémit :

— Loreleï… Non…

— Appuie. Sinon. Je vais disparaître.

Il appuya, de plus en plus fort.

Les semaines suivantes, sa mère resta couchée. Elle finit par se relever, le regard toujours ailleurs. Elle ne voyait pas la présence dévorante de Vivian.

C’était ça être adulte ? Ne plus avoir de parents devant soi ?

Elle se détourna du bord de la falaise. Rejoignit les autres.

Être adulte, peut-être, c'était ça : décider de vivre. Malgré tout.

Annotations

Vous aimez lire En attendant la pluie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0