Le toit

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Elle dort en cours. Encore et toujours. La même routine de s’installer sur sa chaise et de fermer les yeux. Ce n’est ni de la paresse, ni la fatigue.
Au fond, elle n’en peut plus. Et personne ne comprends, personne ne voit. Ou alors personne ne veut voir.

Sauf lui.

Professeur Blau, enseignant de français. Lui, il veut voir, ne l’a jamais réveillé une seule fois. Mais il l’observe sombrer, front contre la table, les paupières lourdes de douleur et le dos arrondi par le poid les années.

La plupart des élèves l’ignorent, cette fille bizarre qui dort... Certains rient et chuchotent mais se taisent rapidement pour éviter les punitions. Mais à la fin de l’heure, comme souvent, Blau restes. Il feint corriger des copies, comme s’il l’avait oublié alors qu’au fond, il ne voit qu’elle. Elle ne le voit pas remonter ses manches, nettoyer ses nombreuses cicatrices. Elle s’en fiche un peu aussi. Elle dort, se fiche de tout. Les semaines passent, silencieusement, glissant dans sa tête. Elle n’a plus la notion du temps.

Mais aujourd’hui, elle ne peut pas dormir. Plus maintenant. Alors elle fixe sa page blanche de cahier. Mais son regard se perd plus loin, par delà la douleur. Elle lève la main, comme un robot. Sa voix est vide d’émotion, ses yeux perdus dans son monde.

  • Toilette.

Il sait, au fond de lui, il sait. Mais il hoche la tête. Alors elle se lève, quitte la salle, ses pas lents et comptés. Elle marche, longe les toilettes. Les couloirs sont longs, déserts. Elle grimpe chaque étage comme si elle n’était qu’une marionette que l’on guide. Elle connaît le chemin mais ne pensait jamais s’en servir.

Le toit, avec sa vieille porte mal fermée, un endroit isolé, sans jamais personne. L’air est froid mais elle ne frissone pas. Elle avance. Un pas puis deux... Près du rebord, elle soupire. Pas de lettre. Pas de mot. Juste… le silence. Elle ne veut pas qu’on sache. Juste que ça s’arrête. Pas pour être vue. Pas pour qu’on la regrette. Juste parce qu’elle n’en peut plus.


Et puis elle entend. La porte, les pas. Elle fixe l’horizon, souhaitant déja qu’il s’en aille. Mais il s’approche, doucement, comme s’il pouvait comprendre la gravité du moment.

Sa voix est posé mais rauque d’inquiétude.

  • Tu voulais pas qu’on te suive. Je t’ai vue partir. Et j’ai su.

Elle se tait, car elle n’a rien de mieux à dire. Elle n’a plus de mots à utiliser.

  • Je vais pas faire celui qui comprends tout. Je ne sais rien en vrai.

Le vent lui pique les yeux. Ou bien est-ce les larmes qu’elle retient ?

  • Tes bras. C’est moi qui nettoie. J’ai rien dit parce qu’au fond, je sais pas si j’ai le droit d’en parler. Mais je refuse de ne rien faire.

Ses mains se serrent, ses jointures blanchissent. Il n’a pas le droit de dire ça. Il n’a pas le droit de s’inquiéter. Son regard se perd dans le vide. Il continue.

  • Je te demande pas de parler. Ni de m’expliquer. Je te demande juste de pas sauter aujourd’hui.

Le silence est lourd. Il poursuit :

  • Je dis pas que ça va aller. Je suis pas sûr que moi ça va. Mais si t’as une once de force, reste là. Même assise . Même en silence.

Il semble cacher son désespoir mais échoue.

  • Parce que je sais pas pourquoi… mais j’ai pas envie que tu partes. Pas toi.

Il souffle, se tait et, doucement, s’assoit derrière elle, contre le mur. Il n’a rien, ne regarde pas, ne bouge pas. Mais il est là.

Et elle respire encore.

Elle regarde le vide. Elle que si elle veut sauter, il ne l’en empêchera pas. Mais il veut que qu’elle y réfléchisse. Elle le regarde. Il ne la regarde pas. Comme s’il attendait, comme par pudeur. Son regard tourne à nouveau vers le vide, si attirant. Elle respire. Son cœur bat. Peut-être. Elle ne sait plus à force. Elle fouille dans sa poche et sort sa lame de rasoir. Elle la laisse tomber et regarde sombrer ce qui faisait d’elle qui elle est. Qui elle était. Elle ne tremble pas, ne pleure pas. Blau s’est relevé, attend. Elle parle, sa voix plus calme :

  • Voilà. Je suis morte.

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