Chapitre 5 - Lundi 16 mars

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Marcher dans le sable

Il est sept heures tapantes et je fume une cigarette sur les marches du perron. J’entends les oiseaux. Le lundi, jamais ne chantent les oiseaux, la ville les recouvre entièrement. La fin du monde est un dimanche. Il y a bien quelques voitures qui passent, mais elles ne sont pas de taille pour faire taire les piafs sur l’érable du jardin. Je ne suis pas ornithologue, je rentre.

Tout le monde se lève selon l’ordre établi, ça n’a pas changé.

Elle, puis Hugo et enfin, Clément et Manon.

Elle est redevenue celle qu’elle était avant, c’est normal on est en pleine crise, dehors comme dedans. Le mépris a repris ses habitudes sur le canapé d’angle. Un bonjour étouffé et des yeux qui ne quittent pas l’écran de l’iPad. Elle télé-travaille à l’extermination des bonbons acidulés, et j’emprunte le chemin habituel vers ma chambre.

Le confinement est mon royaume depuis tant de mois que je n’y prête plus attention. Je l’ai transformé en refuge et ça me va.

Pour les autres, c’est tout nouveau il va leur falloir un peu de temps pour s’y habituer.

Hugo est dans le salon avec son meilleur ami dans les mains. Ils jouent depuis au moins deux heures. Je m’en agace, lui redis pour la troisième fois d’aller s’habiller et de se brosser les dents. Un peu trop vertement apparemment. Elle sort de son mépris et me dit d’arrêter de l’engueuler en m’engueulant. C’est cocasse, mais ça passe. Elle se radoucit un peu, nous nous isolons dans la cuisine. Oui, il va falloir s’organiser ; oui, il va falloir s’occuper d’Hugo ; oui, il faut trouver une organisation, oui, oui, oui. Fin de la réunion.

Pas tout à fait. J’ai aussi un point à aborder, un mémo sorti de ma poche. Si on pouvait chasser le mépris qui a repris place dans cette maison depuis quelques jours, ce serait plus facile pour tout le monde. Il a sûrement plein de trucs à raconter dehors avec son copain le virus mais il n’a aucune utilité ici. Elle me sourit, je lui souris. Elle ne m’aime plus, je l’aime encore, peut- être, je ne sais plus vraiment. Cette fois c’est sûr on peut sortir de la cuisine.

Hugo est sympa, il a profité de cet intermède pour aller se brosser les dents.

Un peu plus tard dans la matinée, nous entamons tous les deux une partie de jeu de dés. Les enfants hyper connectés ne savent pas jouer seuls sans leur console. C’est très chronophage et il vaut mieux aimer les dés. J’ai du temps et je gagne alors ça roule.

Ça roule si bien que je pense à aller faire le plein d’essence. Le confinement total est pour bientôt et cette idée de fuite est toujours dans ma tête. Évidemment, je ne suis pas le seul à avoir cette envie et la station-service fera un bon chiffre aujourd’hui. À l’intérieur il y a beaucoup de monde pour payer. Visiblement, la notion de distance de sécurité est quelque chose qui leur semble complètement abstrait à ces couillons. Je temporise pour éviter ce bouillon de culture et profite d’une belle fenêtre de tir pour payer fissa sans personne à l’intérieur. Je suis un paiement sans contact à moi tout seul.

Le reste de l’après-midi ressemble un peu aux vacances à la mer. Je navigue entre ma chambre et le salon. L’atmosphère est plus légère. Je vais à la plage avec Hugo pour jouer au basket et ce soir je joue au tarot avec les enfants avant de prendre l’apéro. Il ne manque que le mistral, le soleil et les cigales. Détails.

Pour le dîner nous avons invité le Président à notre table. Le confinement est annoncé et la guerre est déclarée. Sans surprise, mais quand même surréaliste. La vie emprunte souvent un étrange chemin, cependant c’est la première fois que je vois autant de monde sur cette route. Ça en fait de la poussière.

Et puis arrive le soir. Il est consacré entièrement et uniquement à Nora. Merci WhatsApp.

Elle me demande si je pars. Je lui dis oui mais pas seul. Avec elle ou rien. Je vois qu’elle hésite. Si elle dit oui j’ai une nuit pour convaincre les enfants de partir avec moi.

Le grand tourbillon. Elle n’en peut plus d’être enfermée, déjà, si tôt. Elle voudrait bien, c’est évident, mais... mais... Pas de box, peu de connexion... Voilà à quoi ça tient le Grand Saut.

Notre vie suspendue à un câble. Il n’existe pas, nous resterons connectés virtuellement, le virus a gagné la première manche. Elle vacille, elle est effrayée à l’idée d’être enfermée. Elle se livre par petite touche, me raconte un petit bout de son histoire. Je ne peux rien écrire, rien raconter. C’est son roman, pas le mien.

Mais elle me touche, me bouleverse et me rend plus fort. L’amour est à portée de clics et ce soir j’ai l’âme d’un médecin. Je ne peux rien contre ce virus à la con, mais je peux soigner mon éléphant et aimer à nouveau. Ce n’est pas rien.

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