Chapitre 6 - Mardi 17 mars

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Théâtre

Premier jour de confinement total, et il y a déjà un parfum de prison qui flotte dans la maison. Sans matons, ni barreaux, mais un boulet au pied qu’il nous faut traîner toute la journée. Elle et moi avons écopé de la double peine : séparation et confinement. Ça frise le vaudeville, il ne manque plus qu’un amant dans le placard et des rires dans la salle. Ils n’ont pas pu venir, tous les théâtres sont fermés. Alors on s’entraîne, on répète inlassablement les mêmes répliques inutiles. Le jeu passe principalement par le silence et les regards fuyants. En vérité, ça n’a rien d’un théâtre de boulevard. L’auteur qui a écrit cette pièce doit être muet, les dialogues ne sont pas son fort. Il n’a que du vice et de la perversion au bout de ses doigts ce connard. Ça nous donne une chance de recevoir le Molière de La Vie de Merde. 

Reste à savoir qui des deux l’obtiendra. 

Des scènes en commun, il n’y en a pas beaucoup. Mais pour le peu qu’on les joue, elle se donne à fond. Ça pue la haine, le dégoût et le mépris jusque dans les coursives du théâtre. 

Ça vous colle à la peau, vous enveloppe de crasse jusqu’à vous effacer tout simplement. La costumière s’est donné du mal pour sublimer mon costume de fantôme que j’ai porté si longtemps. Je ne sais toujours pas de quel crime elle m’a affublé, à part celui d’aimer. 

Il y a bien quelques scènes plus légères, elles sont l’apanage des enfants. Un foot avec Hugo, un sourire de ma fille ou un bon mot de Clément. Ces moments sont rares, il faut les savourer jusqu’à la dernière gorgée. Fermer les yeux, et les sublimer, les graver sur le mur du confinement. Les temps sont durs. 

Et puis c’est vrai, il y a ces moments d’espoir incroyablement beaux, cette lucarne nichée tout en haut et remplie de bleu. Nora en est la cause, ne l’abîmez pas. 

Elle m’écrit quelques mots. S’excuse pour hier de s’être trop livrée, de m’avoir partagé son fardeau si lourd à porter. Elle a honte. Bien sûr qu’il ne faut pas, bien sûr qu’elle va guérir. 

J’ai adoré chaque seconde de cette longue conversation numérique. Elle est ma plus belle histoire au milieu de ce chaos. Je lui dis. Elle me répond qu’elle est sans voix. Un peu comme l’auteur de cette pièce, mais la sienne fait plus de bruit que la haine.

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