Chapitre 29 - Jeudi 9 avril

3 minutes de lecture

Les maillots de bain

J’ai laissé couler l’eau cette nuit. J’ai mal dormi. Encore une mauvaise idée. Je me suis levé à trois reprises pour regarder le niveau et ce n’est qu’à trois heures que j’ai coupé. J’aurais pu faire ça ce matin, mais je voulais que tout soit prêt pour Miss Pangolin. Il est trois heures, c’est prêt.

Alors forcément, ce matin je n’ai pas vraiment l’allure du maître-nageur. Plutôt celle du vestiaire de la piscine municipale. Le café a un goût de chlore. Heureusement, Éva a le sourire. Je ne me suis pas levé pour rien. Elle avale rapidement son petit déjeuner et me parle d’aller faire trempette. L’eau est à dix-sept degrés. Je n’ai pas fait plus de huit cents kilomètres pour me baigner dans la Manche. Laissons travailler le soleil, on verra ça plus tard. En plus, il faut traiter l’eau, c’est une excellente raison pour temporiser un maximum.

- D’accord, mais cet après-midi on pourra y aller ?

- Oui, TU pourras y aller.

- Par contre, je ne sais pas si maman a pris un maillot de bain.

Mince j’ai pensé à la mère, mais pas à la fille.

- On va regarder si tu veux.

Effectivement pas de maillot dans les placards. Coup dur. Éva déprime.

Me voici parti à la recherche d’une tenue de bain pour une petite fille de dix ans. Il reste encore quelques vêtements d’été astucieusement éparpillés un peu partout dans la maison. Vestige de nos progénitures, ou pire, de notre enfance. Vintage garanti.

Je fouille dans les placards du rez-de-chaussée : rien. Dans les placards du haut : re-rien.

Il reste le grenier : des malles et des cartons. Éva m’éclaire avec une petite lampe torche. Elle semble très sceptique sur le goût vestimentaire de la famille. J’essaye de lui dire que la mode est un éternel recommencement, cependant dans ses yeux, je vois bien que nous ne sommes pas encore revenus au point zéro. J’extirpe alors un maillot de bain ravissant pour une petite fille de six ans. La matière semble très élastique, mais visiblement pas assez. Éva soupire.

Roulement de tambour, main dans le chapeau. Et voilà. Du dix ans, peut-être douze. Rose, fuchsia, avec des fleurs, jaunes, vertes et moches.

- Je ne crois pas que je vais me baigner, me dit-elle tout de go.

- Ouais, c’est sûr. En même temps, il n’y aura pas beaucoup de monde pour t’admirer. Promis, je ne me moquerai pas.

Elle rigole, mais pas suffisamment pour être convaincue.

- Ou alors j’essaye de me trouver un maillot encore plus moche que le tien. Je suis sûr qu’il y en a. J’en ai vu qui m’ont piqué les yeux.

- D’accord. Mais c’est moi qui choisis.

Nous repartons dans notre quête du maillot le plus hideux en remontant sur trois générations. Le choix est difficile, il y a beaucoup d’ex aequo. La conclusion est la suivante, la mode ce n’est pas du tout un éternel recommencement. Je me suis trompé. C’est juste de l’obsolescence programmée élevée au rang d’art.

Sur le lit sont alignés un bermuda et deux slips. Le bermuda est un patchwork de stickers des années quatre-vingt-dix. La couleur, il n’y en a pas ou disons qu’elles y sont toutes. Une boucherie.

Sur le premier slip, nous sommes sur des notes florales avec une accroche boisée de bon aloi. C’est l’Amazonie. Un truc à choper la typhoïde avant même de se baigner. Il faudra tripler les doses de chlore.

Le dernier. Sobre. Une seule couleur, mais riche de ses nuances. Jaune. Jaune marbré. Un peu comme une dalle de lino dans une maison de retraite. Une très vieille maison de retraite. « Less is more », c’est mon préféré.

Mais une promesse est une promesse et Éva n’a pas les mêmes goûts que moi, elle se dirige sans hésitation sur le slip amérindien. C’est assurément signe du retour du moustique tigre et du chikungunya dans la région. La Covid ne nous suffisait pas. L’idée de proposer l’un des deux autres à Robin amuse beaucoup Éva, cependant j’imagine que sa réponse ne vaudra même pas un haussement d’épaules.

Seize heures. Chacun sort de son vestiaire, nous sommes les rois du monde.

- Éva, ton maillot est affreux.

- Le tien est pire.

- Je ne trouve pas. Il colle bien avec la végétation. On fait une photo ?

- Jamais de la vie.

Éva monte sur l’échelle brinquebalante et marque la pose.

- Elle est froide, me dit-elle hésitante.

Si un enfant dit qu’elle est froide, ça signifie qu’elle est gelée. Vingt et un degrés, c’est glacial.

- Je te l’avais dit. Il n’est pas trop tard pour renoncer.

Plouf me répond-elle. Après, elle bouge, elle nage sinon elle meurt. Moi je garde sa serviette bien au sec et je prends ça très au sérieux.

Troisième jour sans Nora. Jusqu’ici tout va bien.

Annotations

Vous aimez lire Gabriel Benavente ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0