Chapitre 40 - Lundi 20 avril

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Fugue

On se couche avec la pluie, on se réveille avec la pluie. Nous avons dormi, collés l’un contre l’autre, rêves moites et passions humides. Nous nous levons tous les deux, un peu grelottants. Le passage par l’extérieur pour regagner le rez-de-chaussée n’est pas très agréable. Je monte la chaudière avant même le premier café, c’est dire s’il fait froid. Les gestes sont lents et calculés. J’allume la radio pour faire conversation. Nora boit en silence. En attendant un peu de vie, je masse ses épaules endolories et parfois un peu plus dans l’échancrure de son tee-shirt. Elle ne dit rien, elle repose juste sa tête en arrière contre moi et respire lentement en fermant les yeux. Je crois qu’on est bien.

Éva interrompt la séquence et vient se caler dans les bras de sa mère. Elle aussi a froid. J’ai un peu la flemme de monter lui chercher un gilet à l’étage, je lui donne un pull trop grand pour elle, elle s’en amuse. Ça paye d’être fainéant.

Avec cet automne qui revient, on en oublierait presque que c’est la fin du week-end et des vacances. Nora repart au bureau et Éva à l’école. Chacune sa pièce, la première dans la cuisine, la seconde dans le salon. Au bout d’une demi-heure, nous échangeons. La 4G fait des siennes et passe mieux à l’arrière de la maison. Elles se croisent dans le couloir avec leur cartable et leur doudou. Moi je fais la navette, tantôt serveur, tantôt instituteur.

- Un café et l’addition ? Parfait Madame !

- Ta mère m’a donné un billet de dix euros, je lui ai rendu sept euros cinquante. Combien coûte un café ?

- Même pas vrai. En plus, c’est pas dans ma leçon.

Je garde la monnaie et prépare à manger. La cuisine c’est mieux que les maths, Éva me donne un coup de main.

- À table !

Nous passons dans le salon et Nora envoie sa fille chercher Robin à l’étage. Elle traîne les pieds et redescend deux minutes plus tard.

- Il n’est pas dans sa chambre.

- Tu as regardé dans la salle de bain ? lui demande sa mère.

- Il n’est pas là-haut.

Nous montons à l’étage. On en fait vite le tour. Personne. Il s’est envolé. Nora est coincée entre colère et inquiétude. Prisonnière. Pas bon, mon amour. Pas bon.

Les filles vont dans le jardin. Le prénom retentit, mais l’écho ne répond pas. Je reste dans la maison, j’ouvre les portes, même le placard du petit- déjeuner. Ça n’a aucun sens, personne ne se cache dans une boîte de céréales. C’est trop petit.

La panique se lit sur le visage de Nora. On pourrait s’y brûler les mains. Téléphone. Messagerie. Et si, et si... Les yeux hagards, elle regarde autour d’elle.

Positivons. Il ne s’est pas affranchi de son portable. Ça sonne, mais pas ici.

Notre GI a déserté. Mieux vaut se carapater en douce que finir, misérable, sur un champ de mines. Pluie ou pas pluie, il s’est barré, un point c’est tout. On est bon pour se mouiller.

À elles le village et les collines, à moi la plage et la route côtière. À la chasse aux œufs, je me doute bien que je vais gagner. On n'est jamais très original quand on fugue. La mer appelle le spleen, quel que soit l’âge. Robin n’a jamais mis un pied en dehors de la maison et du jardin, cependant il sait très bien où est la mer. Il suit la pente.

Bingo !

Il est assis et semble m’attendre. Du moins, c’est l’impression que j’ai en posant mes fesses à côté de lui. Étonnamment, il ne m’envoie pas chier. Pas plus de phrases commençant par « t’es pas mon père ». Non. Rien.

On se tait un petit moment. Je cherche un truc à dire, est-ce bien utile ? C’est lui qui brise le silence. Il me regarde de ses yeux noirs et mouillés et me dit :

- J’espère pour toi qu’elle t’aime, mais je ne suis pas sûr.

C’est l’Amicale des Fantômes cette plage. Je n’y comprends rien. Pour mémoire, c’est moi qui étais censé lui parler et le réconforter. Le vieux con expliquant la vie au jeune con. Raté. J’en reste coi. Visiblement, il n’attend aucune réponse de ma part. Ça tombe bien.

Voici que Monsieur se lève sans même bouger les épaules et file plonger dans un immense bol salé.

On est chez les dingos. C’est quoi cette manie qu’a cette famille de toujours finir à la baille ? Hors de question que je le suive ! De toute manière ça ne dure pas. Juste le temps de hurler « Putain, elle est froide » et il sort de l’eau. Un peu plus mouillé au retour, mais pas tellement plus, vu la pluie qui redouble. Robin avait peut-être prévu son coup. Il enlève pantalon et tee- shirt et se sèche dans une serviette sortie de son sac. Moi je n’aurais pas fait ça dans cet ordre. L’aventure, c’est l’aventure.

J’envoie un message à Nora pour l’avertir que je suis avec Robin et nous rentrons. Sans vraiment se parler, sans silence non plus. Il prend une direction inconnue. Il ne connaît pas le chemin le plus court pour rentrer à la maison. Je nous évite deux kilomètres de marche inutile et l’invite à me suivre. Il accepte bien volontiers.

En arrivant, Nora nous attend au seuil de la porte. Ses yeux toujours prisonniers. Robin s’arrête à son niveau. Il l’embrasse, elle l’enlace, il monte se sécher. Fin de l’histoire.

Ah si, elle s’excuse et nous rentrons.

Étrangement, cette petite baignade a fait du bien à tout le monde et nous passons une très bonne soirée. Nora a vaguement évoqué le sujet avec moi pendant l’apéritif, sans m’en demander plus sur notre conversation. Autant dire que j’ai fait « cahouette ». Je suis juste le type qui a sauvé « le soldat Ryan ». Modeste et humble, ma médaille ce sont ses lèvres.

Robin joue avec sa sœur, il n’y a plus de 4G à l’étage à cause de la pluie. On se regarde furtivement. Je ne sais pas qui sauve l’autre.

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