Chapitre 41 - Mardi 21 avril

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Aquarium

Le temps gris a fait comme nous, il a fui le nord pour chercher exil ici. Considérations météorologiques de piètre importance allez-vous penser, mais pas sans conséquence. L’hippopotame aux joues flasques tourne le dos à Éva, tout comme la plage. Elle commence à trouver le temps long. Elle colle les jambes de sa mère comme la cire épilatoire. La 4G fait encore des siennes et Robin repart de plus belle dans ses haussements d’épaules.

Un tour s’impose pour acheter la paix sociale. Tout s’achète. Presque. Parfois. Enfin ce matin oui, et tant pis si la Morale et la Dignité Humaine en prennent un coup. Tout comme le compte en banque.

Le Carrefour aux lettres de néon nous appelle. Vegas, on arrive ! Côté machine à sous, c’est vite fait. Une pièce dans le caddie.

À l’intérieur, ça sent le poisson, et du pas vivant. On dirait que la marée a jeté ses pieds infectes. Pourtant ici, la lune ne bosse pas beaucoup, cinquante centimètres devant, cinquante centimètres derrière. À moins que ce ne soit la fosse septique. Les croupiers aux vestes rouges n’ont pas l’air de s’en plaindre.

On commence par Robin. Le rayon jeux vidéo est à l’entrée. Il ne minaude pas et s’empare directement de la boîte. À croire qu’il est déjà venu. Peut- être hier, mais j'en doute.

Le coffret est bleu Playstation, l’illustration apocalyptique et le logo « interdit aux moins de dix-huit ans » bien visible. C’est parfait.

On passe à Mademoiselle. Rayon jouets. Dans ses yeux, il y a tout ce que Prévert n’a pu mettre dans ses poèmes. Et même si le garçon était prolixe, ça en fait des choses dans de si petites pupilles. Elle, elle minaude sévère. Elle hésite. Elle réfléchit. Longtemps, très longtemps. Je ne sais pas s’ils font nocturne, mais on a déjà oublié l’odeur de la merde maritime. On s’habitue. On laisse Robin avec sa sœur et on se disperse. Nora part au rayon boucherie et évite le linéaire poisson malgré tout, par instinct de survie. Moi je pars dans les vignobles et évite l’étalage rosé, par expérience. À notre retour, Éva n’a pas changé de place, son frère non plus sauf qu’il a deux boîtes de gâteaux et un gros paquet de M&M’s dans les mains. Éva regarde sa mère avec une liste de dix jouets sur son visage. On procède par élimination. Je repars chercher du charbon de bois et des gâteaux d’apéritif. À mon retour, c’est gagné. Il y a trois paquets de plus dans le caddie. Deux boîtes roses et un aquarium. Un aquarium ? Mais les poissons sont tous morts ici ! Elle me regarde comme si je n’avais rien compris, c’est pourtant évident.

- Mais c’est pas pour les poissons, c’est pour les fourmis.

Miss Pangolin a toujours le dernier mot. Je suis bon pour trouver une plaque pour recouvrir le pseudo-vivarium.

Près des caisses, j’attrape un minable bouquet pour « bellissima amore mio». Ils ne sont pas fleuristes, je ne suis pas Italien, mais Nora apprécie.

Dans l’après-midi, les devoirs sont vite bâclés et les boîtes déjà ouvertes. Éva part à la chasse aux bestiaux avec un magnifique vernis rose aux doigts. La faune appréciera. Elle a disposé au fond de l’aquarium une bonne couche de terre, bien confortable. Quelques morceaux de bois, des cailloux-rochers et un léger feuillage agrémentent ce jardin d’Éden. Les fourmis capricieuses finissent par accepter l’invitation. À quarante, on commence à s’amuser, mais ça manque de groove. Pour l’orchestre, nous avons trois cloportes, une araignée et un machin sans nom. Il manque la chanteuse. Elle peut courir pour que je lui attrape une cigale. Personne n’a jamais réussi à choper la Diva et c’est très bien comme ça, elle déteste les boîtes de nuit. Le seul truc que je peux lui ramener, c’est un lézard. Ok, ça chante très peu, mais quelle allure ! J’y passe bien vingt minutes, réconforté par les « Hourra ! » de la foule. Sa pauvre robe est un peu déchirée, il lui manque la queue. Éva s’en accommode et regarde le spectacle pendant de longues minutes. On peut toujours faire mieux et je la laisse finir son casting dans le jardin humide.

Mon éléphant nous contemple sereinement du coin de l’œil, l’autre est accaparé par l’écran de verre. Parfois, elle prend la pause, étire ses bras, bâille, s’excuse. Un café, un texto, quelques bulles, un mail, une caresse, un appel, un baiser. J’aime le télétravail. La sortie du bureau est vers dix-neuf heures. À dix-neuf heures et une minute, elle est dans la cuisine. C’est tout pareil, mais sans texto, mail et appel. Moi je commence ma journée de travail. J’en ai presque oublié la phrase de Robin, sur la plage. « J’espère pour toi qu’elle t’aime, mais je ne suis pas sûr ». Je m’abstiens de ma connerie du jour. Lui poser la question, c’est prendre le risque de casser la cuisine.

À vingt-trois heures, la cuisine est toujours là, et nous montons dans la chambre à l’épreuve des balles et des « je t’aime ».

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