Chapitre 45 - Samedi 25 avril

4 minutes de lecture

De sucre et de résine

Nous avons bien dormi dans ce lit de docteurs et c’est le soleil de neuf heures qui a cogné aux volets. Ça bâille, ça s’étire, ça traîne de la plume pour gratter quelques minutes supplémentaires. Tout est coton ce matin et c’est tant mieux, nous n’avons rien d’autre à faire qu’être samedi. Mes chaussons, eux, ils sont dimanche. Impossible de remettre la main dessus. Alors à chaque fois c’est le même rituel, le passage par le jardin est entrecoupé de aïe, ouille, aïe, ouille. Saloperie de cailloux.

J’ai peut-être oublié de fermer à clé la porte de l’entrée du rez-de-chaussée, elle est entrouverte. Je ne suis pas parano, vraiment pas, mais mieux vaut être prudent. J’ai la carrure de Don Quichotte, pas sa bravoure. Je cherche une arme. Une pomme de pin. Pitoyable.

Logiquement, il faudrait entrer en gueulant de toutes ses forces, un boucan de tous les Dieux pour surprendre l’ennemi et le faire déguerpir à toute berzingue. Et on fait toujours précisément l’inverse. Qu’est-ce qu’on s’imagine ? Qu’on va trouver un gaillard en train de dormir sur le canapé ? On va lui tapoter légèrement sur l’épaule ?

- Hé, il faut y aller maintenant. C’est l’heure.

Étrange.

Bref, j’ouvre lentement la porte qui ne se gêne pas pour grincer. J’avance à pas de loup dans le couloir, un coup d’œil à droite vers la cuisine, rien. Le salon ne semble pas avoir reçu de visite impromptue, l’ordinateur est toujours sur la table. Je continue mon inspection un peu plus détendu. J’ai même l’audace d’allumer dans le couloir, et j’inspecte les chambres rapidement. Fausse alerte.

Je jette mon arme dans le jardin et retourne dans la cuisine.

- MIAOU !!!!

Je fais un bond de trois mètres. Putain de chat ! Il a presque eu aussi peur que moi, il se carapate en deux secondes. Je suis seul, je garde donc ma dignité d’Homme malgré mon cœur parti avec le chat et mes doigts pleins de résine. Un réveil en douceur.

Les filles descendent quelques minutes plus tard. Je leur relate amusé mes aventures matinales. Nora sourit, Éva aurait bien voulu caresser le chat. Pas moi, les poils, ça colle à la résine.

Ensuite, on se prépare un smoothie en musique. Chacun découpe des fruits et y’a plus qu’à.

C’est bon, revitalisant et un rien écœurant. J’ai eu la main un peu lourde sur le lait d’amande.

Nous partons tous les trois faire une balade en ville. Vous connaissez le chemin, inutile de décrire la route. C’est toujours à trente minutes de marche. Nous sortons de la boulangerie avec cinq baguettes et une Tropézienne. J’ai survécu au smoothie, je survivrai à ses grains de diamants sucrés et à sa crème fouettée, jaune comme un poussin dodu.

Nous continuons notre route sur la promenade du bord de mer. Nous croisons quelques humains, plus ou moins masqués, plus ou moins souriants. Je regarde avec envie les terrasses de café. Personne. Je suis triste comme un curé sans fidèles. Allez juste une bière, une petite, une chopine, un galopin. Même un panach. Merde !

Côté plage, c’est idem. Ils ont sorti les barricades et affiché les arrêtés municipaux. Pauvres paroissiens ! Il paraît que le glacier s’est pendu, que sa femme s’est barrée. Tout a fondu, quel dommage.

Éva regarde la mer et les bateaux de loin. Nora profite du soleil et ferme les yeux. Je profite de leur vue et du pain encore chaud. À notre retour, il ne reste que quatre baguettes. J’ai soif.

Cette après-midi, la Tropézienne nous a définitivement achevés. Chacun médite dans son transat philosophique. Je pianote sur mon smartphone, le doigt facebooke lentement.

Hier, j’étais presque mort dans un monde presque vivant, aujourd’hui c’est l’inverse. J’avoue le regarder avec une certaine bienveillance. Les gens de peu remplacent les photos de chat. Étrangement, il y a beaucoup moins de citations à la con, toutes ces phrases censées vous guérir à leur simple lecture. Le virus a remplacé les philosophes, et c’est beaucoup plus drôle. Ça chante, ça cuisine, ça déconne, ça parodie à tout va. La France quoi ! Même la pauvre Sibeth Ndiaye me paraît sympathique tant elle en prend plein la gueule.

Et puis il y a la banane de Jean-Louis. Ah la banane de Jean-Louis. On pourrait en faire un livre de ce sourire. Ce type n’est pas humain ou alors c’est juste un gamin qui vieillit. Il ne voit que de la poésie là où son regard se pose, il vient au monde chaque matin. Ce n’est pas de la candeur ou de la naïveté. Non. Juste un immense sourire. Une bouche avec soixante-cinq dents.

Il est dix-huit heures et je me plante devant le Live hebdomadaire d’Aubert. Nora me quitte pour la cuisine avec son aide de camp. Elles reviennent pimpantes avec un plateau chantant. Inutile de casser les verres, ils sont très beaux. La vie est belle.

Bienveillant je vous dis.

Annotations

Vous aimez lire Gabriel Benavente ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0