Chapitre 49 - Mercredi 29 avril

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Jeux de mains

Bien sûr, Caro est revenue à la charge. Je ne savais pas quand, j’imaginais vite, j’avais raison. Le message est simple et direct. 

« Ce serait bien de se voir avant ton départ ». 

Elle est du genre ligne droite. Je laisse le téléphone sur la table et termine de débarrasser le petit-déj. Je l’ai attendue pendant des années alors...

Nora n’a pas besoin de lire ce texto, il lui suffit d’observer mon attitude. Ça fait partie de ses pouvoirs chamaniques. Elle vous transperce en deux secondes. Je lui en parle malgré tout. Ça ressemble à quelque chose comme ça : 

- Invite-la.

- Tu rigoles. 

- Pas du tout. Tu en meurs d’envie. Et j’avoue que rencontrer ton ex m’amuse assez. Je suis certaine d’apprendre plein de choses sur toi. 

- Tu sais déjà tout. 

- Pas vraiment. 

- Et puis c’était il y a plus de trente ans. 

- Justement, je connais le Gabriel d’aujourd’hui. Pas le jeune homme ténébreux. 

Bref, j’ai mon blanc-seing. C’est un jeu dangereux dont personne ne connaît les règles et j’ignore tout des réelles motivations de Nora. J’hésite encore et me laisse la journée pour répondre à Caro. Ça me donne largement le temps de faire une sieste et de repenser à cette histoire. 

Tout a changé dans ma vie le jour où je suis sorti avec elle. Ce 29 novembre 1985 je découvrais l’Amour. Quel choc. L’âge importe peu, à quinze ans je connaissais tout de l’amour. À dix-huit tout de ses saloperies.

Elle était belle, forcément belle. De longs cheveux châtains, des yeux noisette, une allure élégante. Son sourire, sa sensualité... Bref mon archétype. J’avais trouvé mon modèle, je n’en dérogerais plus. J’étais parti pour une vie entière avec elle. J’aurais pu, croyez-moi, sans aucun problème. Chez moi, le bouton On existe, mais pas le Off. Pour éteindre tout ce foutoir, il faut y aller à la masse. Chez elle, ces deux petits boutons étaient joliment accessibles sous son pull en laine. Quelqu’un a appuyé, ce n’était pas moi. 

Fin de l’histoire. Pas tout à fait. Il manque la chute. Elle a duré quatre ans. Il n’y a pas à dire, elle m’a tout appris. La séparation, quel apprentissage ! Le goût de rien, l’acier, la pioche, la terre. Et ce ventre qui vous mange, vous digère. 

Du coup, j’ai lézardé longtemps. Moi qui avais connu l’amour, le Seul, le Vrai, l’Infini, je me disais que ça ne valait pas le coup les demies amours. À l’arrivée, il n’y aurait eu que désillusions, plaisirs sans intérêts et petites histoires. Non vraiment, à quoi bon s’amuser et tourner la page. 

J’ai raté mes vingt ans avec talent. 

J’ai également foiré ma sieste. Je file directement en cuisine prendre un café, il n’est pas trop tard. Dans le salon, c’est encore ma working girl qui tient le premier rôle. Dehors, puisqu’il y a toujours un dehors, Éva remplit son vivarium de chairs fraîches. Je tente une petite apparition dans la chambre de Robin qui m’accueille de bonne grâce. Les devoirs ne sont pas un problème chez lui. Il a dû les exterminer ce matin. Simple supputation, vue l’image affichée sur son écran. On entame une partie de Fifa. Mes joueurs doivent avoir le même âge que moi, pas ceux de Robin. C’est drôle, car en pensant à l’âge, je me dis qu’au sien j’étais sûrement en train de peloter Caro sur une banquette défraîchie dans l’arrière-salle du Café de Paris. Trente centimes le verre de limonade du père Jean. Ah si, quand même, la nostalgie a du bon. Dieu soit loué de m’avoir fait naître sans manettes dans les mains ! Les miennes étaient petites, ses seins l’étaient moins. 

J’ose une question à Robin. La classique. 

- Tu as une copine ?

- Pas vraiment. 

La réponse vaut ce qu’elle vaut, mais elle m’amuse. Question fermée, réponse ouverte. On y met ce qu’on veut bien. Onze à un, score final. Je m’améliore. Robin a suffisamment discuté, il ne m’invite pas pour la revanche. 

Je termine l’après-midi devant une série molle. Au générique de fin, j’envoie un message à Caro. 

« Tu veux venir dîner à la maison samedi soir ? » 

L’épisode suivant vient à peine de commencer.

« Génial, à quelle heure ? »

« 19h30 » 

« Je m’occupe du dessert. À samedi. Je t’embrasse ». 

Ce braquage à la con qui dure des plombes commence vraiment à m’ennuyer. J’éteins la télé et pars en cuisine. 

- Apéro ! 

Dix minutes plus tard, Nora a basculé du côté obscur du Chablis. Elle est vraiment ravissante avec ce grand verre à la main. 

- Elle vient quand ? 

- Samedi soir.

- Salute.

- Salute

On enterre Caro pour le reste de la soirée. Mes mains sont vraiment minuscules.

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