Chapitre 77 – Mercredi 27 mai

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Boulogne

Hugo a dormi seul dans sa chambre. Je ne sais pas s’il a traversé cette nuit avec des trous, des ornières et des cailloux sur son petit chemin. On ne peut jamais savoir tous les dedans et les arrières boutiques des gens, pas plus le quidam que ses propres enfants. On imagine les malheurs des gens plus petits ou plus grands qu’ils ne sont vraiment selon la façon dont on prend les jumelles. Et dans mes yeux de loupe, je devine qu’il en a un peu du chagrin, qu’il reste quelques coulées de nuit sur ses paupières endormies. A-t-il rêvé de celle qui l’a porté si longtemps depuis ces derniers mois, a-t-il touché la peine qu’elle a laissée derrière elle ? Il n’est pas bien réveillé et ça, je peux le voir sans trop d’efforts. Il s’allonge sur le canapé, s’emmitoufle dans le plaid et allume la télévision. Un dessin animé met fin à ses rêveries hoquetantes.

Vue de la cuisine, la maison du voisin n’est plus qu’un tas de ruines fumantes. Il n’y a plus de verticales, et le regard s’allonge au-delà du trottoir pour découvrir d’autres murs, plus gros et plus laids encore. Il n’y a rien d’agréable au spectacle maintenant que tout est à terre, du vacarme et de la poussière rouge comme une bordée d’injures. La pelleteuse couine et semble me faire un signe de la main. Je préfère ignorer son salut fraternel, j’ai encore besoin des murs de la maison. Je regagne le salon, un Actimel à la main et le dépose sur la table basse.

- Hugo, tu voudras faire du vélo cet après-midi ?

- Oui si tu veux.

- Il va faire beau, j’organise ça.

- On peut appeler Quentin ?

J’ai une autre idée en tête que d’inviter son copain. J’appelle Nora, c’est peut- être le moment de faire connaissance avec Éva. Je raccroche cinq minutes après, le rendez-vous est pris.

- On ira faire du vélo avec une amie, elle a une fille de ton âge. Ça te va ?

- C’est qui ?

- Tu verras.

- Il ne peut pas Quentin ?

- Une prochaine fois.

Ça lui plaît moyennement cette histoire, mais la télévision l’empêche d’aller plus loin dans sa réflexion. Je quitte le salon pour entamer ma chasse aux linges sales éparpillés dans toutes les pièces de la maison. Pour la serpillière, ça attendra demain.

Vers quinze heures, je glisse le vélo dans le coffre de la voiture, trois quarts d’heure après je sonne au bas de l’immeuble. Nora nous accueille.

- Bonjour, Hugo.

- Je te présente Nora.

- On s’est déjà vu à l’anniversaire de ton papa, mais je ne suis pas certaine que tu te souviennes de moi, lui dit Nora.

- Bonjour, répond-il timidement.

- Entrez.

Nous la suivons dans le salon. Hugo s’assoit tout penaud sur le canapé. Nora revient accompagnée d’Éva.

- Bonjour, ma belle, tu vas bien.

- Bonjour, Gabriel.

- Je te présente Hugo, mon fils.

Les deux se renvoient un bonjour un peu mou. Il faudra quelque temps avant de briser la glace. Robin sort de sa chambre, il nous fait un coucou poli, mais ne semble pas disposé à faire un tour avec nous. Je coince Nora dans l’entrebâillement de la porte de la cuisine et lui glisse un baiser dans le cou, elle me répond par un sourire de printemps. Nous partons tous les quatre au Bois de Boulogne en voiture. À l’arrière, c’est assez silencieux, puis Éva lance la discussion.

- Comment il va l’oiseau ?

- Tu le connais, lui demande Hugo ?

- Bien sûr, c’est moi qui l’ai trouvé.

- Je croyais que c’était papa.

- Tu ne lui as pas dit Gabriel ?

Nora se tourne vers moi avec un large rictus. Le message est clair : il ne faut jamais mentir à ses enfants, maintenant débrouille-toi avec ça.

- Oui, pardon Éva, tu as raison. Tu sais Hugo, c’est elle qui me l’a donné pour qu’on le soigne.

- Et comment il va alors ? s’impatiente Éva.

- Il a bien grossi, il a tout le temps faim. Il marche et il essaye de voler.

- Tu lui donnes à manger ?

- Oui, des fois.

Et les voici partis sur des considérations animalières. Je savais bien que ce piaf nous serait un jour redevable. Je baisse le niveau de la radio pour mieux les écouter rire à l’arrière de la voiture.

Les vélos sont sortis et les enfants équipés de leur casque. Ils enfourchent leur monture et s’élancent sur les petits sentiers. La cheville de Nora est moins douloureuse, mais ne lui permet pas encore de marcher longtemps, nous nous arrêtons au premier banc. Les enfants viennent et repartent inlassablement comme un manège.

- Ils ont l’air de bien s’entendre, me dit-elle rassurée.

- Oui je crois. Il n’y a pas de raison que ça se passe autrement.

- Ça va toi ?

- Oui, ça va. C’est juste étrange, mais ça va passer, on s’habitue à tout. Je ne sais pas comment tu fais toute seule.

- C’est dur, il faut faire avec.

- Je sais que tu vas me prendre pour un fou, mais je suis bien obligé de te le demander. Tu veux vivre avec moi ?

- Ça fait longtemps que j’attendais cette question, et pour être honnête avec toi, je la redoutais un peu. Je n’ai pas envie de te blesser, tu es trop fragile.

- Tu y réponds.

- En quelque sorte. Tu me fais peur, tu vas trop vite.

- Sans doute.

- Je te le redis, je ne veux pas être celle qui remplace.

- Je sais. Pardon. Profitons du...

- Présent, me coupe-t-elle, habituée par cette phrase que je lui ai servie si souvent.

- J’irai chercher ta voiture vendredi. Je dépose les enfants en fin de matinée et je partirai dans la foulée avec Stéphane.

- Parfait. Tu peux passer le week-end avec nous si tu veux.

- Si tu veux de moi.

- Je veux tout le temps de toi.

- Je te dirai. Je ne sais pas si je rentre vendredi soir ou samedi.

- Tu ne vas pas faire un aller-retour dans la journée ?

- Je ne sais pas encore. Une nuit avec toi ou avec Stéphane, il faut peser le pour et le contre.

En attendant, je pèse le pour dans mes bras à la mousse légère. Ses cheveux noirs s’y enroulent comme une liane sous la canopée de Boulogne. L’écorce de sa peau vaut bien la sève qui s’y dépose. Ils peuvent en faire des tours de vélo avant que je me lasse, d’ailleurs ce sont les enfants qui posent pied-à-terre avant nous.

Je dépose les Miss au bas de l’immeuble, baiser volé et furtif, puis nous rentrons à la maison entre mecs. On n’est pas bien là ?

J’essaye de discuter avec Hugo pour connaître ses impressions. Il n’est pas très loquace, le vélo l’a fatigué, mon coureur s’endort dès les premiers mètres sur le périphérique.

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