Si l'histoire ne convient pas, il suffit de fermer le livre

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Chaque matin, j'ai un rituel auquel j'attache beaucoup d'importance. Je fais de la marche rapide afin de motiver pour le reste de la journée. Comme je travaille depuis chez moi la majeure partie du temps, j'essaie de garder un rythme de vie sein. Aujourd'hui, je suis en retard sur le planning que je m'étais fixée. Je n'ai pas bien dormi, ressassant des mauvais souvenirs. J'essaie de passer à autre chose, de ne rester que sur du positif mais il semblerait que mes blessures soient encore trop fraîches. À l'image des plaies encore suintantes que je voudrais recoudre sans tenir compte du risque d'infection. Je devrais prendre le temps de bien soigner mes cicatrices avant de vouloir les cacher. Pour autant, je ne veux plus rien avoir avec ce passé composé de troubles. Je dois fermer le livre sur cette mauvaise histoire.

J'attache mes cheveux auburn en une queue de cheval assez souple, avant d'appliquer ma crème sur le visage. Je me sens un plus éveillée à présent que je me suis rincée la figure. Avant de quitter la maison, je prends un verre d'eau ainsi que mes écouteurs sur la table du salon. Dehors, une légère re brise de vent souffle dans mon cou. La voiture qui vient chercher les garçons tous les matins est déjà partie. Ou alors, elle n'est pas venue du tout. J'ai remarqué qu'elle faisait des va-et-vient chaque jour aux mêmes horaires. Un vrai balet minutieusement répété. Je n'arrive pas à déterminer le genre d'activités qu'ils ont, mais ils ont l'air plutôt occupés. Dans un sens, cela m'arrange. Je ne suis pas distraite par leur présence. Je descends cend la rue en suivant le rythme de la musique et en faisant bien attention à prononcer chacun de mes pas. Les quelques voitures qui passent ainsi que les habitants n'attirent pas mon attention. Il n'y a qu'en marchant que je parviens à me vider l'esprit. Je fais une boucle de plusieurs kilométres avant de revenir sur mes pas. L'immense maison blanche fait toujours de l'ombre à ma petite résidence. Arrivée à hauteur de la barriére qui protége la maison de mes voisins, je la revois. Garée juste devant chez moi, avec ses vitres teintées, elle est en attente de quelque chose. Cela fait plusieurs jours que je la vois stationner toute la journée, juste sous ma fenêtre. Je ressens une angoisse incontrôlable m'aggriper fermement. Comment a-t-il pu me retrouver aussi vite ? Personne ne sait où je suis, pas même un seul de mes collègues. Personne non plus n'est venu encore me rendre visite. Pourtant je reconnaîtrais cette voiture parmi des centaines d'autres.

La colère prend le dessus. Ne va-t-il pas me laisser tranquille ? Je ne pourrais pas supporter cette situation à nouveau. S'il pense m'intimider de la sorte, il se met le doigt dans l'oeil. J'ai été bien trop prévenante. Il ne va pas gâcher ma vie une seconde fois. Furieuse, je traverse la rue, prête à en découdre. Je sens une force inestimable prendre possession de mon corps. Sans ménagement, je frappe contre la vitre qui vibre sous la puissance de mes coups.

-Tu n'as pas bientôt fini de m'importuner, espèce de lâche. Tu n'as rien d'autre à faire de ta journée ?

Ma voix est plus agressive que je ne le voudrais. C'est comme-ci la pression que j'avais accumulé durant ces longs mois venait de jaillir d'un tuyau jusqu'alors bouché. Je frappe sans hésiter, sans même m'arrêter. Je ne ressens aucune douleur physique, simplement une souffrance psychique sur le point de se libérer. Je ne prête pas attention au véhicule qui entre dans la cours de la tribu. Mon cerveau est obstrué par cette voiture stationnée. Cet idiot va même faire semblant de m'ignorer ? Je donne un coup de la main bien plus fort, espérant lui faire peur. La vitre finit par se baisser légérement.

-Je ne fais que mon travail...

-Tu te fiches de moi ? Quel métier consiste à épier les gens dans leur intimité ?

-Mademoiselle, je suis journaliste.

- Tu n'as pas honte ? Je sais qui tu es alors maintenant sort de cette maudite voiture et fais face tes responsabilités pour une fois. Je te préviens, je ne suis pas d'humeur à écouter tes plaisanteries.

La porte de la voiture s'ouvre timidement. Je me recule pour laisser cet homme sortir tout en tentant de garder mon calme. Cette fois-ci, il ne va pas s'en sortir aussi facilement. Il ne sait pas ce que c'est qu'une femme en colère. Je suis prête à me battre s'il le faut. Je serre mes poings, enfonçant mes ongles dans la paume de mes mains, le plus fort possible. L'homme sort, hésitant. Seulement, à ma grande surprise, il ne s'agit pas de mon ex. L'individu pourrait avoir l'âge de mon père, le crâne dégarni, il porte un costume bon marché. Il semble également avoir pris le petit-déjeuner dans sa voiture. Des restes de riz sont collés sur sa veste. Décontenancée, je ne parviens plus à trouver mes mots. J'étais persuadée qu'il s'agissait de ce type que j'ai fréquenté et qui ne cessait de me suivre. Je me suis encore mise dans une drôle de situation.

-Qui êtes vous ? C'est Suk qui vous a dit de me suivre, c'est ça ?

-Je ne connais pas de Suk. Comme je vous l'ai déjà dit, je suis journaliste.

-Et qu'est ce qu'un journaliste ferait devant chez moi ? Vous me prenez pour une idiote ? Je vous préviens soit vous partez, soit j'appelle la police.

-Mademoiselle, soyez raisonnable... Il faut bien que je gagne ma vie.

-Alors gagnez la dignement plutôt que de suivre les gens et de leur rendre la vie difficile.

-Mais ce n'est pas vous que...

-Stop ! Je vous l'ai dit, c'est votre derniére chance.

L'homme remonte dans sa voiture et démarre précipitamment. Il n'a pas l'air content. Tant pis pour lui. Un journaliste ? Tu parles. Je suis sûre qu'il s'agit d'un détective engagé par mon ex pour me retrouver. J'espère au moins l'avoir un peu effrayé pour pouvoir enfin dormir sereinement. Je soupire profondément. La pression retombe enfin. Peut-être va-t-il enfin me laisser tranquille à présent ? Si on pouvait connaître en avance l'issue de chaque histoire, probablement que ce serait plus facile. Si j'avais su, avant d'entamer ma relation avec Suk, qu'il s'agissait d'un pervers narcissique, je n'aurai jamais accepté le second rendez-vous.

Lorsque je me retourne, je m'aperçois que les sept garçons qui composent mon voisinage direct me regardent étrangement. J'ai dû passer pour une folle furieuse. Je me sens tout d'un coup honteuse. Qu'est-ce qui m'a pris de crier de la sorte sur cet homme ? Aprés tout, il est vrai qu'il ne faisait que son travail. Ce n'est pas réellement lui le coupable dans cette affaire. Peu importe, il fallait que ça sorte. Je ne peux plus endurer les choses telles qu'elles sont.

En les voyant ainsi, sur le bas de leur porte, je leur trouve un côté surnaturel. Il est si facile de deviner leur lien spirituel que j'ai l'impression de me retrouver face à un clan de créatures nocturnes. Encore une fois, je laisse mon imagination divaguée. Si elle pouvait me surprendre au moment où j'en ai réellement besoin, je lui en serais reconnaissante. Je repense soudain au colis que le facteur a déposé chez moi par erreur. Comment vais-je oser le leur ramener à présent ? J'entends l'un des garçons commenter la scéne à laquelle ils viennent d'assister.

- Et bien... Vaut mieux ne pas la mettre en colére, la petite.

-Je ne suis pas petite, je cris.

Je les entends rire tandis que je rentre me réfugier dans ma nouvelle maison. Pourquoi a-t-il fallu qu'il rentre à ce moment là ? Habituellement, le Van ne les ramène pas avant la fin de journée. Je peste. N'empêche que peut-être que le fait qu'ils aient assisté à la scène n'est pas une si mauvaise chose. Au moins si mon ex tente quelque chose, ils seront au courant et pourront éventuellement intervenir. Quoique je disais la même chose de mes précédents voisins et ils n'ont rien fait hormis de se plaindre auprès de la propriétaire à cause de mes soit-disant nuisances. Il ne faut donc pas trop que je compte là-dessus. Comme dirait Jia : on n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Une fois dans le salon, je jette un oeil sur le carton posé au pied du canapé. Il va vraiment falloir que je leur donne. Ils en ont peut-être besoin. Je n'ai pas la force de sortir maintenant. Je verrais cela demain. Je ne pense pas que ce soit urgent, sinon ils seraient déjà venus le chercher. Je m'affale donc sur le fauteuil, épuisée. Intérieurement, je tente de me remémorer le nom des sept garçons d'à côté, ainsi que les informations que j'ai sur eux. Évidemment, leur visage reste pour moi qu'un masque irréaliste que je ne parviens pas à déchiffrer, ni même à distinguer. Les visages ne sont pour moi qu'un vague souvenir sans trait. Je ferme les yeux de toutes mes forces afin d'essayer de dessiner leurs yeux, leurs bouches, leurs nez mais rien n'y fait. Ils ne sont que des corps sans visages. Je suis de plus en plus frustrée par mon incompétence. Pourquoi ne suis-je pas capable de me débarrasser de ces masques encombrants, obstruants une partie de leur personnalité ?

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