Sous la pluie, un arc-en-ciel
Comme la veille à l'heure habituelle du petit-déjeuner, le facteur me confie un carton adressé au voisin. Je lui demande pourquoi il ne les déposent pas directement là-bas. Il hausse les épaules tout en parlant d'accord avec l'ancien propriétaire. II n'a jamais mis les pieds dans l'autre maison et ne tient pas particulièrement à le faire. D'après les rumeurs, la personne qui habite là-bas n'est pas saine d'esprit. Ils seraient plusieurs dans le même corps. Je ne peux m'empêcher rire tout en prenant le colis. Plutôt bavard, il me confie l'histoire d'un homme extrêmement riche devenu solitaire après avoir assister au meurtre de sa famille : ses parents et sa sœur cadette. L'homme à l'uniforme met tout son cœur à raconter son histoire lugubre. Il me souhaite bon courage avant de disparaître dans l'allée. Les gens ont vite fait d'inventer des ragots auxquels ils rajoutent sans arrêt des détails sordides.
Après avoir terminé mon repas, je décide de rendre visite à mon mystérieux voisin. Celui qui possède sept personnalités distinctes. Toutes avec un masque différent. Contrairement à un certain nombre de personnes que j'ai pu rencontrer, le revêtement de leur visage ne me paraît pas effrayant. Il est même plutôt, voire amusant. Avant de sortir, je passe dans la salle de bain pour me coiffer. Une fois que je leur aurais remis les paquets, je pourrais faire mon sport. Ensuite, j'ai pas mal de travail à faire. En outre, finir de déballer mes affaires. Il faut également que je termine mon projet professionnel. Je suis comme qui dirait dans une impasse.
Devant la grille, j'ai à nouveau cette impression d'être une espionne en territoire ennemi. J'ai souvent cette sensation de danger depuis ma mésaventure avec mon ancien petit ami. Je ne suis plus la même qu'avant. Ma sœur de cœur affirme que quelque chose en moi s'est brisée. Je pense qu'elle a raison. À l'interphone, une voix rauque me demande d'entrer. Je ne me suis même pas encore présentée. Ils doivent avoir une caméra afin de surveiller leur entrée. L'intonation et la texture des mots est éloignée celle qui m'a interrogé la première fois, si bien que je sais déjà qu'il ne s'agit pas de Kim. La barrière s'ouvre automatiquement, dans un son qui lui est propre.
Une fois sur le parvi, un homme de taille moyenne portant une tenue décontractée m'ouvre la porte. J'en déduis à son style que ce n'est ni Park, qui semble préférer les pantalons plus serrés, ni Jung Wan au vu des couleurs portées par ce membre de la tribu. Je suis un peu perdue face aux possibilités qu'il me reste. Je fais donc une supposition qui me semble vraisemblable.
- Bonjour, Chin.
-Mauvaise réponse, voisine. Réessaye.
- Nabi ?
- Tu es vraiment pas douée. Ce n'est pourtant pas compliqué. À croire que pour toi, on a tous la même tête.
-Désolée ... Je viens juste vous remettre les colis. Apparemment, il est question d'un accord avec l'ancien propriétaire ?
-C'est vrai. Je suppose que tu vas reprendre l'activité ? Enfin, donne que je te libère.
- Merci.
J'ai l'impression que Yon ne s'exprime qu'en rimes. Ce qui me surprends le plus avec ces garçons, ce sont leurs marques. Habituellement, les visages m'apparaissent sous la forme d'un revêtement blanc, dépourvu de bouche et de pupilles. Tandis que le leur est argenté avec de magnifiques yeux bleus et une bouche discrète, dessinant un sourire subtil. Je ne saurais dire pourquoi leur visage m'apparaît différemment, mais c'est assez déstabilisant. Tandis que je m'apprête à partir, Yon m'arrête. Il semble nerveux et se tortille les doigts dans tous les sens.
- Je peux encore abuser de ton temps ?
-Quelque chose ne va pas ?
- Et bien...
- Yon, qu'est-ce que tu fais ?, intervient Kim.
- Il faut quelqu'un pour s'occuper de Chin. C'est le premier à jouer les mères poule quand quelqu'un ne va pas bien et elle a l'air plutôt clean.
- Chin est malade ?
- Oui. Et on ne peut pas annuler l'événement. On signalera aux organisateurs les raisons de son absence. Mais on ne peut pas te demander de t'occuper de lui. On ne se connaît pas.
- Il faut s'entraider entre voisins. Je viendrai lui apporter des médicaments et à manger en fin de matinée pour qu'il puisse se reposer.
- Tu ne comprends pas...
- Il faut qu'il prenne des forces pour se remettre plus vite.
- Tu sais te montrer autoritaire, voisine. Tu es un vrai mystère et tu semble douée pour la cuisine. On te laissera le portail ouvert, ne fait rien de travers.
Je hoche la tête. Cet homme est amusant en ffin de compte. J'aime sa manière de parler en sonorités. Cela lui permet de se démarquer davantage. Cette fois-ci, je retourne chez moi. J'entends les garçons discuter à voix basse. Apparemment, ils ne sont pas d'accord. Je ne vais pas les manger tout de même. Ce serait plutôt à moi d'avoir peur. J'ai beau réfléchir, je ne comprends pas pourquoi leur masque est différent. Je ne les connais pas. Et ils ne semblent pas différents des autres. De plus, pourquoi est-ce que je ressens ce besoin de m'approcher d'eux ? De voir ce dessin différent s'immiscer dans mon monde de visages blancs. Peut-être parce que justement leur aspect est moins effrayant. Étrange mais agréable à regarder.
Depuis l'incident, c'est la première fois que je vois autre chose que des visages blancs sans yeux et sans bouche. Non, en réalité c'est la seconde fois. Le masque de mon ancien petit ami est encore plus effrayant que ces têtes pâles. Je ne préfère pas me le remémorer. Et j'espère même ne jamais le revoir. La trahison dont j'ai été victime me laisse un goût amère. On pense naïvement connaître une personne avec qui on passe le plus clair de son temps, et un jour celle-ci nous dévoile son vrai visage. L'homme que l'on pensait gentil et attentionné se révèle être un personnage narcissique et malsain. Seulement, une fois que l'on découvre la vérité, il est trop tard. On se retrouve blessé, meurtrie. C'est pour cela que je ne voulais pas avoir quoique ce soit avec un autre homme. Pour ne plus jamais ressentir pareil douleur. Pourtant me voici avec sept voisins qui attisent ma curiosité, chassant toute ma détermination. Je vais devoir faire attention à garder mes distances. Je n'ai pas besoin de complications supplémentaires dans mon existence déjà ardue. Pourquoi -a-t-il fallu que je me propose pour jouer les gardes malades ?
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