Je voudrais t'immortaliser pour ne jamais t'oublier

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Je me dépêche de faire mes courses pour pouvoir préparer l'apéritif dînatoire de ce soir. Je n'ai jamais aimé particulièrement faire les magasins mais c'est encore plus difficile depuis l'incident. Je suis entourée de masques effrayants, sans regard. Et pourtant je vois bien lorsque les visages se tournent vers moi. Ma mère appelle pour prendre des nouvelles alors que je sors de la boutique. Je sais pertinemment que papa écoute d'une oreille attentive, prêt à bondir à la moindre occasion. Il a toujours été comme çà : à s'inquiéter davantage pour les autres que pour lui. Ma meilleure amie dit que je tiens de mon père pour çà. Je leur dis que je prépare une fête pour mes voisins, sans préciser que se sont tous des garçons. Ils en feraient toute une histoire sinon. Ma mère dit qu'ils essaieront de passer dés que papa aura moins de travail dans son entreprise. Je réponds que ce n'est pas urgent puisque je ne risque pas de changer d'adresse pour un moment.

Le temps que je rentre, il est déjà midi passé. Je range tous mes achats et grignote quelques restes. Ensuite, je commence à réaliser les plats les plus longs, en espérant ne pas me tromper. J'ai mis la chaîne de musique puisque je déteste le silence. Le manque de bruit me donne l'impression d'être perdue dans le néant. Une fois que j'en ai terminé avec la nourriture, je me rends dans le petit jardin derrière la maison. Le temps est plutôt agréable alors autant en profiter. Je prends un verre de limonade citronnée et m'installe sur le fauteuil que j'ai acheté après mon arrivée. J'ai également disposé une table et des chaises pour profiter de l'extérieur. C'est la première fois que j'ai un tel espace chez moi. Je ferme les yeux un instant pour me reposer des ces dures journées qui se sont enchaînées. Aussitôt, je repense à la fierté que j'ai ressenti lorsque j'ai vu que ma première histoire était appréciée du public. À l'époque, je me suis inspirée de mon enfance. J'ai eu une jeunesse plutôt facile. Je m'entendais bien avec mes petits camarades. J'avais même beaucoup d'amis. J'aimais faire des dessins pleins de couleurs et raconter des histoires qui font peurs aux autres. Je crois que c'est en grandissant que les choses changent. Lorsque l'on s'apperçoit que nos amis ne le sont pas vraiment. Que l'on s'aperçoit que certains d'entre eux se servent de nous et qu'ils ne sont pas comme on les imaginaient. Probablement aussi que la distance a raison d'un bon nombre d'amitiés. Ainsi, nous perdons des personnes avec qui nous avions partagé beaucoup de beaux souvenirs au fil des années, que nous remplaçons par de nouvelles connaissances. Je me plonge dans ses années d'insouciance, perdant peu à peu connaissance avec la réalité. Tout me paraissait si simple à cette époque. C'est sans doute pour cela que j'ai voulu écrire des livres pour enfants. Pour rester un pied dans ce temps où je me sentais bien plus vivante qu'aujourd'hui.

Je me rappelle du petit garçon qui m'a inspiré ma première histoire : celle du papillon argenté. Il était arrivé dans notre école en milieu d'année. Même s'il avait un visage agréable et lumineux, il ne souriait pas. Avec ma petite bande, on s'est demandé ce qui lui était arrivé. À vrai dire, je m'inquiétais pour lui. Il était toujours seul et ne jouait pas avec nous. Un jour, je me suis avancée vers lui. J'avais la sensation de lui faire peur. Il m'a raconté que dans son ancienne école, ses camarades se moquaient de lui parce qu'il 'était plus petit qu'eux. Ils l'embêtaient sans arrêt et le faisaient tomber. J'étais furieuse. Pourquoi faire du mal à une petite bouille pareille ? Je l'ai donc pris sous mon aile. Je lui ai dit qu'il avait tout le temps de grandir et devenir le plus beau des papillons. Je ne me souviens plus exactement pourquoi il me faisait penser à une chenille sur le point de se transformer. Ni pourquoi j'avais envie de le protéger. Ma première histoire m'est donc venue à l'esprit lorsque je me suis remémorée cette période de ma vie. Ce petit garçon dont je ne me souviens plus du nom mais dont les traits du visage me semblent inscrits définitivement dans ma mémoire m'a marqué pour une raison que j'ignore.

Le son d'une guitare me sort de mes rêveries. Le soleil m'éblouit si bien que j'ai du mal à savoir si je suis bien revenue dans le monde réel. Dans la cour de la villa, un homme est assis au bord de la piscine et joue de son instrument. Quelque chose de magnétique se dégage de cette silhouette si bien que je m'approche de la barrière. Ou alors est-ce la musique qu'il interpréte qui m'attire autant? Le garçon est concentré sur son interprétation et ne me voit pas. J'en profite pour l'écouter attentivement. Je le trouve impressionnant. Moi qui n'est jamais été douée en musique, je suis admirative de son aisance. On dirait qu'il s'agit d'un jeu d'enfant pour lui. Vêtu d'un tee-shirt rose clair et d'un jean noir à trous, il tient son instrument fermement dans ses mains. Je pourrais rester à l'entendre chantonner accompagné de sa guitare durant des heures. Je m'appuie sur les barrières donnant l'impression d'avoir peur de tomber dans un puits sans fin. Je suis enveloppée d'une drôle de sensation. Mon corps réagit comme si il voulait absolument se rapprocher de lui. Décidément, mes voisins sont particuliers.

Soudain gênée par la façon dont j'épie ce garçon, telle une groupie assoiffée, je me détourne furtivement. Le rouge me monte aux joues. Je suis une voisine affreuse. Je ne devrais pas être ainsi à le regarder sans sa permission. Je vais retourner m'occuper de mes préparatifs avant d'être encore plus ridicule. Même si la sérénade était jolie, il ne voulait probablement que quelqu'un d'autre l'entende. Sinon, il n'aurait pas pris la peine de jouer à l'arrière de la maison. Et puis pourquoi je regarde mes voisins avec insistance à chaque fois ? Certes, leur masque est différent des autres. Cela ne me donne pas pour autant le droit de les dévisager ainsi. Ils doivent être mal à l'aise avec moi. Au départ, je voulais simplement avoir un bon voisinage. Ne pas être totalement seule dans ce nouvel environnement. Maintenant, j'essaie déséspérement de comprendre pourquoi je ne vois pas ce fameux masque blanc sans yeux remplacer leurs visages. Pourquoi ces sept hommes que je ne connais pas ont-ils des masques différents ? Je veux tellement connaître le fin mot de l'histoire que j'en deviens mal polie. Je m'apprête à regagner l'intérieur en essayant de me convaincre de ne plus agir de la sorte, lorsque je sens une main se poser sur la mienne. Je sursaute tel un prisonnier pris sur le fait de son évasion.

- Bonjour, voisine. Tu joues les espionnes ?

- Non. Je dormais simplement et j'ai entendu de la musique alors je suis venue voir d'où ça venait.

- Je t'ai réveillé ? Désolé.

- C'est plutôt agréable comme réveil. Tu joues bien.

- Merci. Les autres m'ont dit que tu avais un problème avec les visages... Tu sais à qui tu parles ?

- Oui, Nabi.

- Bonne réponse. Comment as-tu deviné ?

- Compliqué à dire... J'en déduis par ta taille, ta façon de parler, tes vêtements et ta préstance.

- Ma préstance ? Intéressant.

Il me fait un clin d'oeil. Son sourire a quelque chose de victorieux. Je ne sais pas pourquoi je me sens encore plus petite que je ne le suis. Si je pouvais me cacher dans un trou de souris, je le ferais sans hésiter. Malheureusement, je ne suis pas encore assez ridicule. Pourquoi est-ce qu'il a fallut que je dise ça ? Je ne peux pas m'arrêter à des choses beaucoup plus basiques ? Sérieusement, je suis bonne à gifler. En même temps, ce n'est pas comme-si j'avais menti. Ou bien amplifiée la réalité. Il semble prendre tout l'espace qui lui ait offert, sans hésitation. Il a des airs d'acteurs, sûr de lui et prêt à faire tomber n'importe qui sous son charme. Je me demande si son visage reflète ce même état d'esprit. Je soupire. Je fais réellement une fixette sur leurs visages. Je ne sais pas pourquoi j'ai autant envie de découvrir ce qu'ils dévoilent. Depuis que je ne les vois plus, je m'en suis totalement désintéressée. Il a fallut que je les rencontre pour à nouveau désirer les voir. Je ressens un danger iménant et un besoin oppressant de m'en éloigner.

- Désolée je dois y aller. J'ai de la cuisine à faire pour ce soir.

- De la cuisine ? Attends, je viens t'aider.

Il ne me laisse pas terminer qu'il pose sa guitare sur un des fauteuils et fait le tour du jardin. Il a dit ces mots avec une telle passion que je n'ai pas osé refuser. Même si je me demande encore si je ne fais une erreur. Je viens de penser que je devrais m'éloigner d'eux pour m'éviter de ressentir cette envie folle de voir à nouveau des visages. Sans me laisser le temps de réfléchir davantage, Nabi vient frapper à ma porte. Ces garçons sont vraiment étranges. Autant lorsque je suis arrivée, ils semblaient inquiets de ma présence autant maintenant j'ai l'impression de faire partie de leur bande. J'ai dû mal à saisir ce qu'ils pensent de moi. Peut-être ont-ils pitié de moi ? Ils me prennent sans doute pour une déséquilibrée qui a besoin d'aide dans son quotidien. Une personne déséspérement seule qui s'invente une vie pour justifier le manque d'intérêt des autres. Tout en lui ouvrant, je me demande si je n'ai pas une de ces têtes affreuses de poupées tout droit sortie d'un film d'horreur. Mes cheveux sont indisciplinés et chaque fois que je dors, ils deviennent un véritable champ de bataille. Je m'écarte pour le laisser entrer et tente de replacer les mèches rebelles. Jia ferait un scandale si elle était présente. Elle me dirait qu'une jeune femme, célibataire de surcroît, ne peut pas accuillir un homme dans ces conditions. Mon plan de travail est en désordre, si bien que l'on pourrait imaginer qu'un ouragan vient de passer. Je me sens un peu honteuse d'être aussi peu méthodique. Seulement, pour moi, la cuisine est un moment de détente pour lequel je ne réfléchis pas. À vrai dire, habituellement, je ne regarde même pas les recettes. Je fais mes plats au feeling.

Nabi regarde l'étagère sur laquelle est entreposée ma collection de films. J'ai une palette assez large de vidéos que j'ai accumulé tout au long de mes années d'études. En tant qu'adepte du septième art, je suis assez hétéroclite. Il semble fixer le CD d'un film d'animation. Je m'approche et lui tend le disque tout en lui affirmant qu'il peut me l'emprunter sans problème. Je l'ai déjà vu des dizaines de fois. Il me remercie et se tourne vers la cuisine. Il semble perplexe devant l'étendu des dégâts. Je ne sais pas quoi dire à propos de ce véritable chantier. Ses sourcils se froncent légérement mais il me sourit quand même. Encore une fois, je ne sais pas ce qu'il pense. Finalement, il décide de se faire une petite place et commence à cuisiner. Je ne dis rien et le laisse faire ce qu'il a envie. Il ne semble pas non plus adepte des recettes toutes faites. Néanmoins, la manière dont il utilise chaque ustensil ressemble à sa façon de traiter sa guitare. Il y a dans chacun de ces gestes une marque de respect et une dextérité impressionnante. Son aura dégage à nouveau quelque chose de puissant qui reste pour moi une grande énigme.

Tout en préparant des Kimbaps, je ne peux m'empêcher de jeter réguliérement un oeil à son visage. Même si je ne le vois pas, je suis comme attirée par lui. Un peu comme si j'essayais de décoder une série de chiffres qui serait la clé d'un coffre-fort. Il semble totalement concentré sur sa cuisine. Je n'ose pas le perturber durant ce moment qui semble important pour lui. Je continue donc à faire mon travail en silence. Même si le manque de son me perturbe. Je m'apprête enfin à dire quelque chose, lorsque mon portable émet une petite sonnerie facilement identifiable. Je regarde le message que San m'envoie. Comme à son habitude, il y a plus d'émojis que de mots. C'est sans doute la raison pour laquelle je suis la seule à pouvoir comprendre réellement ce qu'ils veut dire. Je souris. Apparement il a déjà lu mon oeuvre et trouve qu'il est très intéressant. Il a hâte de venir chez moi pour continuer à travailler dessus, avant de lancer sa parution. Aussitôt, un autre message s'affiche. Il me demande si je vais vraiment mieux maintenant et me demande de l'appeler en cas de souci. Toujours aussi prévénant, monsieur l'éditeur. Après lui avoir répondu, je reprends mon activité principale. C'est à dire faire des Kimbaps tout en regardant mon voisin. Il ne semble même pas avoir été distrait par la sonnerie de mon téléphone. Il est vraiment impressionnant lorsqu'il est concentré sur quelque chose. Je lève à nouveau le nez en direction de son masque. Ma respiration se bloque dans ma poitrine. Une boule de feu semble traverser mon corps à une vitesse impressionnante. Je me sens soudainement étourdie. Je me recule lentement jusqu'à atteindre le frigo, incapable de comprendre ce qui se passe. Son visage pâle, subtilement arrondi, est penché sur le plat qu'il est entrain de confectionner. Je suis capable de voir la couleur de sa peau, la forme de ses joues... Je me demande si je suis encore entrain de rêver debout. Tout ceci n'a aucun sens. Suis-je véritablement sur le point de revoir les visages ? Ou tout cela n'est-il que le fruit de mon imagination. J'ai tellement peur d'être déçue que je n'ose pas concevoir que tout cela est possible. Je voudrais pouvoir le toucher pour savoir si je suis bien encore dans le monde des vivants.

Les cheveux aux reflets roses de Nabi se posent sur son large front me montrant le chemin pour découvrir son regard puissant. Il y a quelque chose de provocant dans ses yeux. Ses lèvres sont plutôt pulpées et foncées. Je ne me sens de plus en plus étourdie. Nabi me regarde, inquiet. Il semble me parler mais je ne comprends pas un mot de ce qu'il dit. Mes oreilles bourdonnent, comme envahies par un nid de frelons. Mes jambes ont de plus en plus de mal à me tenir. Pourtant je ne peux détourner mon regard de ce visage. Je voudrais m'approcher, m'assurer que tout cela n'est pas simplement le fruit de mon imagination. Mon voisin s'approche de moi et me rattrape avant que je ne m'écroule.

Je pose mes mains sur ses joues rondes, déstabilisée par cette nouvelle découverte. J'ai l'impression d'être plongée au cœur d'un conte que j'aurais pu écrire. Mon cœur bat férocement dans ma poitrine. Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça tout d'un coup. Je ne parviens pas à lâcher son visage de mes mains malgré le regard perçant que Nabi me lance.

- Qu'est ce que vous faites ?

Je reconnais aussitôt la voix de Park. Pourtant, je suis comme paralysée devant cette révélation que je viens d'avoir. J'ai le sentiment que je suis réellement entrain de vivre un tournant de ma vie. Nabi se dégage rapidement de mon étreinte mais avec une douceur qui me surprend. Il semble ne pas vouloir me blesser. Comme prise sur le fait, je me retourne nerveusement vers mon nouvel invité. Je n'ai pourtant rien fait de mal. La silhouette élégante de Park me fait à présent face. Il semble avoir envahi et pris possession de l'espace juste en entrant dans la pièce.

À côté de lui, se tient Chin. Son aura est toujours aussi lumineux. Je fixe à nouveau ses yeux pétillants, sa bouche légèrement rosée et son long visage pâle. Chaque trait du contour de sa figure semble avoir été dessiné pour illustrer l'ardeur. Je m'approche de lui en mode automate. Mes mains se cramponnent à sa figure comme si elle seule pouvait me sauver. Les yeux de Chin manquent sa surprise tandis que ses joues rougissent légèrement. Le plus surpris pourtant n'est nulle d'autre que Park. Il semble assister à une scène surréaliste. Mes jambes ont de plus en plus de mal à me tenir debout.

- Et moi ? Je n'ai pas le droit à un câlin ?

- Asseyez là. Elle va finir par tomber comme une mouche.

Je reconnais la voix plus rauque de Kim. Je suis encore étourdie par ces visions que je trouve particulièrement belles. Je peux enfin voir des visages. Les premières figures depuis deux ans. J'ai encore du mal à réaliser ce que je suis entrain de vivre.

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