La solitude est la plus dure face aux épreuves
Il m'a fallut plusieurs jours avant de retrouver la mémoire. Pour que je me souvienne de ce qui m'avait conduit à l'hôpital. De la raison pour laquelle je ne parvenais plus à discerner les visages. Peut-être aurait-il mieux valu qu'elle ne revienne jamais. Que ces scènes marquantes restent plongées dans l'oubli pour l'éternité. Si ne pas savoir est souvent difficile à accepter, il est des fois où il est encore plus difficile de supporter la vérité. Je ne saurais dire ce qui est le mieux. Simplement, lorsque l'on se rend compte de certaines choses, tout un univers peut s'écrouler. Toutes nos certitudes peuvent s'envoler comme une simple fumée qui disparaît de la cheminée. Enfin, tout peut soudainement nous paraître comme une image éronnée qui ne voudrait pas s'effacer. Lorsque la personne que l'on croit le mieux connaître au monde se révèle tout à fait différente, le temps que l'on a passé avec elle semble être tout aussi altéré. Comme si tout ce qu'on avait vécu au fil des années n'était qu'un tas de souvenirs éphémères. Que quelqu'un d'autre avait vécu notre vie à notre place durant tout ce temps et que l'on était relégué à la place de simple spectacteur.
Souvent, je me demande encore comment une personne peut être aussi divisée. Deux parties d'elle-même, totalement distinctes, s'associent ou se cachent pour laisser apparaître un homme parfaitement opposé. Suk était quelqu'un de souriant et de plutôt respecteux. Il était le genre de personne à éviter les conflits, à faire des compromis. Durant tout le temps qu'on a été ensemble, il s'arrangeait pour adapter son emploi du temps au mien. Il restait à la maison lorsque je travaillais sur un gros projet. Pour lui, j'étais une simple traductrice mais il savait que j'avais besoin de concentration et que je perdais la notion du temps lorsque je commençais à travailler sur une oeuvre.œuvre. C'est pour cela que je le trouvais particulièrement prévoyant à mon égard. Il faisait les repas et s'occuper à ses jeux durant des heures sans jamais se plaindre du fait que je ne m'occupaidm'occupais pas de lui. C'est aussi pour cela que je croyais en notre relation. En réalité, tout ceci cachait une réalité bien moins admirable. Je ne m'étais pas rendue compte qu'il m'avait en fait coincée dans une cage dorée. Comme j'étais à l'aise dans ce quotidien, je n'ai pas réfléchi tant que cela à la situation. Au fait, qu'il ne me laissait jamais seule. Pas même pour faire les courses. Que je devais lui rendre compte de chaque chose que je faisais sans lui. Ou bien au fait qu'il trouvait toujours une excuse pour que je ne vois pas mes amis. Il n'aimait pas non plus que je lui refuse de l'argent. Il pouvait avoir des mots trés durs lorsque j'osais répondre négativement pour l'achat d'un jeu par exemple. Je me disais que c'était peut être moi qui était trop inflexible ou trop économe. Je finissais à chaque fois par me rejeter la faute.
Et puis, le jour où je suis tombée malade avec une forte fièvre, il m'a obligé à travailler en disant que je n'étais pas mourante. Que j'exagérais pour attirer l'attention, que je faisais toujours ça. J'avais l'impression de ne plus être face à l'homme que j'aimais mais face à un tortionnaire. Il restait debout sur le bas de ma porte jusqu'à ce que je me mette à composer et me réveillais lorsque je m'endormais. Finalement, j'ai fini par lui dire qu'il était simplement affreux et qu'il ne m'aimait pas vraiment. Qu'il était avec moi juste pour l'argent que je gagnais, pour pouvoir payer ses jeux débiles. Il s'est mis en colére et m'a hurlé dessus. Il m'a secoué si fort que j'ai eu l'impression de n'être plus qu'une poupée de chiffon. Je me suis évanouie durant de longues minutes et lorsque je me suis réveillée, il était assis à côté de moi. Il pleurait en demandant pardon. Il disait qu'il ne s'était pas rendu compte que j'étais aussi mal. Il m'a même promis de prendre soin de moi. Je l'ai écouté. Après tout l'erreur est humaine. C'est ce que je me disais. Je me suis convaincue que tout cela ne se reproduirait pas. Mais à peine ma fièvre avait-elle retombée qu'il me demanda de me remettre au travail. Nous avions besoin d'argent rapidement. Je ne comprenais pas pourquoi puisque nous n'avions pas de dépenses excessives de prévues. Il me présenta la publicité d'un nouveau jeu vidéo et j'ai réalisé à ce moment-là que rien ne changerait. La réalité me frappa en plein visage. J' étais face à un miroir et je ne pouvais faire autrement que de regarder ce qui se présentait à moi. Et comme devant l'évidence d'un défaut impossible à cacher, je grimmaça.
Après lui avoir demandé de partir tout en lui en lui expliquant que cette relation n'aboutirait à rien, mon enfer débuta progressivement. D'abord pas des messages et des appels incessants, parfois même menaçants. Ensuite par des visites incongrues. Chaque jour, je ressentais une peur vigoureuse de le voir attendre devant la porte de mon appartement. J'avais sans cesse l'impression d'être suivie. Je n'avais jamais l'esprit tranquille. Mes voisins me reprochaient de faire du bruit, lorsque je me disputais avec mon petit ami. J'avais beau leur dire qu'on n'était plus ensemble et qu'il me gênait également, c'était moi la fautive à leurs yeux. Je sortais de moins en moins, m'assurait à plusieurs reprises que la porte était fermée à double tour. Mon sommeil était perturbé. Au moindre bruit extérieur, je sursautais. Et puis un jour, je l'ai retrouvé à l'intérieur de mon appartement. Il avait fait faire secrétement le double de mes clés. Lorsque je l'ai découvert dans mon salon, je me suis retrouvée totalement perdu. Qu'allais-je faire ? Appeler la police aurait sans doute était raisonnable mais j'étais pratiquement certaine que l'on ne prendrait pas au sérieux. Déjà lorsque j'avais voulu signaler son harcélement, il m'avait été répondu que même si je portais plainte, cela ne résoudrait pas le problème. Que de plus, cela prendrait du temps et qu'il n'y avait pas réellement eu d'agression. J'ai donc voulu régler l'affaire moi-même. J'ai peut-être utiliser des mots trop durs à cause de ma crainte. Il y avait aussi probablement de l'agacement. Tout ceci se serait peut-être passé autrement si je ne m'étais pas sentie aussi trahie. J'avais comme l'impression qu'il m'éprisait mes sentiments.
La mémoire est assez étrange. Je me souviens de chaque mot, chaque geste qu'avait employé Suk pour me blesser. Je me rappelle chaque instant difficile qu'il m'a fait passer. Chaque sensation de peur qu'il me procurait sans pour autant être capable de dessiner à nouveau son visage. Seul son masque affreux restait accroché à cette partie de mon cerveau comme pour me convaincre de l'homme qu'il est. Au final, j'ai compris certaines choses durant cette épreuve : par amour, on est capable de croire n'importe quel mensonge. C'est ainsi que des femmes se persuadent que l'homme violent peut changer. Je ne pense pas que l'on puisse changer le fond d'une personne. Tôt ou tard, la véritable personnalité de l'individu fini toujours par refaire surface. Et à ce moment précis oú les masques tombent, il n'est plus temps d'être stupéfait.
Mon corps a souffert de cette épreuve. Mais c'est mon cœur qui a été le plus amoché par l'homme que j'aimais. À présent, je ne sais plus si je suis encore capable de ressentir de tels sentiments. Une amertume épaisse voile désormais mes yeux, m'empêchant de redonner ma confiance à un homme. Et sans confiance, l'amour a-t-il réellement un sens ?
Annotations
Versions