Les liens humains sont subtils
Mon poignet me fait mal. J'ai à nouveau la sensation d'être sous l'emprise puissante des mains de Suk. Elles serrent mon poignet si violemment que j'ai l'impression que chacun de mes os est entrain de céder à la pression. J'ai comme un feu continue qui se répend dans mon bras. Pourtant personne ne touche ma peau. Une boule aigre se forme dans ma gorge alors que nous attendons dans la salle d'urgence. Un ballet de masques blancs se joue sous mes yeux si bien que j'en éprouve une sensation de tourni. Toutes ces formes humaines dépourvues de têtes me donnent l'illusion d'être plongée dans un cauchemar sans fin. Je suis coincée dans un nid de monstres, prêts à dévorer mon âme. Peut-être est-ce là un avant goût de l'enfer ?
Chin se lève de son fauteuil bleu et se place juste en face de moi. Mes yeux se portent automatiquement sur lui. Sa bouille ronde et lumineuse me rassure aussitôt. Comme s'il savait que mes yeux se laisserait attirer par son visage, il s'est placé dans mon champ de vision. Je le trouve tellement prévenant. Un sourire reconnaissant apparaît tandis que je me détends. La voix de Jung Wan se glisse à mon oreille : - Il est tellement adorable. Il fait tout pour que tu te sentes mieux alors qu'il ait aussi très affecté en ce moment. - Il est encore malade? - Non mais on s'inquiète parce qu'il n'est pas aussi souriant que d'ordinaire. - Je peux te poser une question... - Oui. - Pourquoi est-ce que vous êtes aussi gentil avec moi ? - Hum... Peut-être parce qu'à notre façon, on traverse aussi une mauvaise passe et que tu es toi aussi une personne gentille. Et puis, maintenant on va travailler ensemble. - Oui... - On va devoir s'entraider. Je pense que si tu as emménagé à côté de nous, ce n'est peut être pas un hasard. - Tu penses que j'ai tout calculé ? - Pas du tout. Je pensais plutôt à quelque chose comme le destin.
Jung Wan me sourit. Ses belles joues généreuses remontent légérement vers ses petits yeux marrons. Je trouve leurs visages tellement apaisant que je n'ai même plus envie de me poser la question à savoir pourquoi je ne vois que leurs figures à eux. San revient de l'accueil. Il s'est occupé des papiers pour ma consultation. Il semble perplexe en voyant mon voisin aussi proche de moi. Il doit se poser un certain nombre de questions. Je ne vois pas ses expressions mais à sa façon de se tenir, je vois bien qu'il est soucieux. Il s'assoit à côté de moi tout en me demandant de faire preuve de patience. Il sait combien j'ai horreur d'attendre sans rien faire. J'ai la sensation de perde mon temps. Le temps paraît se rallonger indéfiniment chaque fois que je ne dois rien faire. Je me concentre sur Chin. Il est vrai que son visage a perdu un peu de son éclat. Je me demande ce qui le tracasse autant. Est-il encore souffrant ? Je ne peux m'empêcher de m'inquiéter. Tandis que je me pose la question de comment lui rendre son beau sourire, cinq garçons débarquent dans le hall à l'unisson. Ils marchent dans un même rythme, si bien que l'on dirait qu'ils ne font qu'un. Ils ont beau porter des lunettes et des chapeaux, je les reconnais aussitôt. Je suis surprise de les voir débarquer ici, me sentant pour la première fois depuis longtemps entourée. Durant toute cette épreuve, je me suis sentie seule. Abandonnée de tous alors que j'avais besoin d'aide. Il a fallut que je les rencontre pour me sentir épaulée. Ils s'installent tous autour de moi, tel un bouclier humain. San les regardent un par un, essayant de comprendre ce qu'il se passe. Il finit par leur demander la raison de leur présence. Chin est le premier à répondre, avec sa franchise directe. - On est venu pour la soutenir. Hana ne reconnaît pas les visages, il ne faut pas être clairvoyant pour savoir combien ça doit être angoissant. Surtout dans un endroit pareil. - Donc, vous êtes au courant... - Bien sûr. Et pour information, elle voit le visage de Chin et de Nabi, précise Park. - C'est vrai ? Comment ça se fait ? - Aucune idée. Mais je pense que c'est plutôt bien qu'ils soient là en ce moment, répond Kim. - À vrai dire, les garçons... - Oui ?, s'enthousiasme Park. - Je vais pouvoir tous vous dessiner... - Cool ! Et du coup, tu t'es aperçu que j'étais le plus beau, enchaîne Park. - Tu ne t'arrête jamais. - Je ne comprends pas... Tu ne les connais pas, alors pourquoi vois-tu leurs visages ? - C'est évident : parce qu'on est beau.
Il est vrai qu'ils sont tous beaux à leur façon. Je ne peux pas dire le contraire. Mais une partie de moi sait que ce n'est pas la raison de cette particularité. Le médecin appelle mon nom. Je me lève automatiquement pour aller à sa rencontre. Je sais que je dois aller dans la pièce seule, c'est la réglementation. Pourtant je sens une présence derrière moi. Le médecin rappelle à l'ordre le garçon qui se trouve derrière moi mais Kim affirme qu'il est mon frère et que par conséquent il a le droit d'entrer avec moi. Le médecin regarde les fauteuils occupés par une bande d'hommes et secoue la tête résignée. Je ne sais pas pourquoi il a insisté pour m'accompagner mais je suis soulagée d'une certaine manière. Kim peut se montrer intransigeant par moment, lui qui est plutôt discret d'habitude sait parfaitement s'affirmer. Je pensais pourtant que lui et Yon ne m'appréciaient pas tant que cela. Peut-être que cela n'était qu'un simple préssentiment. En tout cas, je suis bien contente que ces garçons soient entrés dans ma vie.
Après avoir jeté un dernier coup d'oeil à mes voisins, il nous demande de le suivre. L'homme en blouse lanche nous fait traverser un large couloir blanc où d'inombrables personnes circulent sans arrêt. J'essaie de ne pas regarder les masques qui passent à côté de moi et de prêter plutôt attention à l'espace qui m'entoure. La décoration est plus que sommaire. Il n'y a donc rien d'intéressant pour poser mes yeux. Le médecin s'arrête devant une porte dont on ne serait dire si elle est verte ou bleue et nous demande d'entrer. Une fois à l'intérieur, quelques tableaux représentant divers parties du corps humain sont accrochés ici et là. Rien d'extraordinaire sauf peut-être une rose éternelle conservée sur son bureau. Il me pose quelques questions sur les circonstances de ma blessure puis me demande de m'installer sur la table d'osculation. Après avoir exécuté quelques manipulations, il suggère de passer une radio par précaution. Je me dis que je ne suis pas prête de sortir de cet endroit s'il me fait passer des examens. J'abandonne donc Kim dans la pièce pour me rendre dans celle adjacente où se trouve une grosse machine. Finalement, il ne me faut pas longtemps avant de rejoindre Kim. Nous restons un moment seuls avant que le médecin ne revienne avec les radios. Il me fixe derrière ses lunettes avant de me poser l'ultime question :
- Vous avez déjà eu une blessure importante, n'est-ce pas ?
- Hum.. Oui. Il y a deux ans une chute...
-Vous avez une belle entorse mais votre poignet est déjà fragilisé par cette précédente blessure. Je vous sugère donc de le préserver un maximum. Portez une écharpe au moins pour au moins un mois, ensuite je suggère des séances de kiné.
Je vois sur le visage de Kim qu'il se pose des questions par rapport à mon incident passé. Pourtant, il ne dit rien. Il se contente de garder ses interrogations pour lui. Je pense qu'il comprend que le sujet est problématique pour moi. Pourtant j'ai comme la sensation qu'il a saisi un certain nombre de choses. Le jeune homme est vif d'esprit, je l'ai tout de suite remarqué. C'est vraiment quelqu'un de fiable. Je ne sais pas pourquoi il a tant insisté pour m'accompagner. À vrai dire, je pensais plutôt que ce serait Nabi ou Chin qui se seraient lancer à ma poursuite. Quelque chose dans leur regard m'indiquer qu'ils voulaient connaître le fin mot de l'histoire. Je pense qu'il y a eu une sorte de compromis entre eux. Ils fonctionnent comme une véritable équipe, je l'ai déjà remarqué. Lorsqu'ils décident quelque chose, c'est pour le bien de l'ensemble de la communauté. Je dirais même qu'il s'agit de quelque chose de bien plus fort qu'une équipe soudée. Plutôt comme une famille. Une famille dans laquelle personne ne serait laissé de côté. Où tout le monde aurait une place bien particulière, essentielle à la survie du groupe. Moi qui suis la seule enfant de la famille, je leur envie un peu ce lien. Je n'ai jamais réussi à tisser quelque chose d'aussi fraternel. Pas même avec ma meilleure amie. Et on ne peut pas dire que ma relation avec Stan soit véritablement un attachement aussi fusionnel. Il y a comme qui dirait une distance respectueuse entre nous. J'aimerais ressentir un jour cette subtilité qui rend une relation aussi spéciale que la leur. En les regardant de plus près, il est facile de remarque que chacun est le rempart ou la forteresse de l'aurre. Ils sont un ensemble indissociable. Si l'un d'entre eux venait de quitter le navire, tout finirait par s'écrouler tel un château de cartes. C'est le sentiment que j'ai en les voyant. Peu importe les aléas de la vie, les relations qu'ils ont avec d'autres, ils restent soudés par cette filiation unique. C'est ce qui rend leur amitié si belle. Et c'est aussi ce qui me rend envieuse. J'aimerais un jour pouvoir compter moi aussi sur quelqu'un, comme ils le font.
Annotations
Versions