La douleur est parfois imperceptible mais elle reste capable d'allonger les nuits
Depuis que je suis rentrée de l'hôpital avec mon bras en écharpe, mes nuits sont courtes. Ce n'est pas tant mon entorse qui me tourmente mais plutôt les souvenirs pénibles qui se sont réveillés. J'ouvre les yeux au beau milieu de la nuit, le corps couvert de sueur. Les bribes de ma mémoire me ramènent sans arrêt à cette soirée éprouvante. Parfois, ils sont emprunts si étranges, déformant la réalité. Si bien que j'ai la sensation de me trouver coincée entre les pages d'un de mes contes. Une histoire effroyable qui se répéterait en boucle et qui n'aurait aucune fin.
Une fois réveillée, je m'asseois dans mon lit, scrutant la fenêtre tout en essayant de me calmer. Les battements de mon coeur cognent si fort dans ma poitrine que j'ai l'impression qu'elle va se déchirer. Ou bien que quelqu'un, ou bien quelque chose, de puissant essaie d'en sortir. Je suis tellement tétanisée par ces débris de mon passé qu'il m'est impossible de me rendormir. Je reste ainsi à fixer la fenêtre durant des heures, priant la lune pour que plus jamais je ne subisse cela. Quelques fois, il m'arrive de me demander si tout cela n'est pas de ma faute. Si je ne l'ai pas mérité après tout. Si tel n'avait pas été le cas, alors pourquoi personne n'a-t-il voulu m'aider ? Lorsque je me suis tournée vers les gens pour que tout ceci n'arrête, personne n' a voulu intervenir. Ils ont tous fait l'autruche, ou bien ils m'ont jeté la pierre. Après tout, c'était mon problème. C'est moi qui ai voulu rompre. Moi qui en a eu assez. Et donc moi qui l'ait mise en colère. Et surtout, c'est moi qui suis sortie avec lui. Pourtant, j'ennuyais les autres avec mes décisions. Voilà ce qu'ils se disaient. D'ailleurs, ce n'était pas si grave. Il n'était pas si violent. Juste un peu arrogant.
Avec le recul, je me demande si je ne me suis pas mise à aimer Suk par dépit. Pour oublier mes sentiments envers Stan. Bien qu'ils soient totalement différents, j'ai dû appercevoir quelque chose chez lui qui me rappelait ce premier amour. Peut-être ai-je été incapable de lui donner tout l'amour dont il avait besoin ? Sans doute s'est-il rendu compte que je lui cachais un certain nombre de choses. Je ne peux nier que je n'ai jamais été totalement honnête avec lui. Je ne lui ai pas parlé d'un certain nombre de choses sans savoir réellement pourquoi. Je ne sais pas pourquoi je n'ai jamais réussi à avoir suffisamment confiance en lui pour m'ouvrir totalement. Au fond, je gardais toujours une certaine distance avec lui comme pour me protéger. Peut-être qu'au fond de moi, je savais que si je me livrais totalement à lui, je me serais perdue pour de bon. Sans doute, une partie de moi avait-elle conscience qu'il n'était pas l'homme qu'il prétendait être. Qu'il prétendait, ou qu'il voulait être d'ailleurs. Il agissait toujours différement lorsqu'on était en public. Il se ventait d'avoir une petite amie comme moi et me demandais souvent comment je pouvais rester avec quelqu'un comme lui.
Aujourd'hui, je répondrais simplement par commodité. Je pense que c'est la pire raison que l'on puisse donner, mais dans mon cas, je crois que ce serait la réponse la plus honnête que je pourrais lui fournir. Je ne vois plus d'autres causes au temps que je perdu à entretenir des sentiments pour lui. La commodité et probablement également un peu de peur. La peur de décevoir et surtout la peur de le voir tel qu'il est réellement. Sans doute suis-je un peu coupable de tout ce qui est arrivé parce que j'étais incapable de l'aimer entiérement. De m'oublier totalement pour me consacrer qu'à lui. Mes sentiments n'étaient sans doute pas assez profonds pour qu'il se sente rassuré. D'ailleurs, suis-je capable de ressentir un amour profond et sincére vis-à-vis de quelqu'un ? Suis-je capable de ressentir une telle connexion que j'en oublie le manque de confiance ? Ou tout simplement, suis-je capable de faire confiance à quelqu'un ?
C'est difficile d'accorder une pleine confiance aux gens. Surtout quand ceux qui sont censés vous aimer finissent par vous trahir. Lorsque l'on ressent quelque chose d'aussi fort que l'amour pour une personne, il en résulte un désir de protection. On veut à tout prix rendre l'autre heureux, le voir sourire puisque cela rend l'être que l'on aime encore plus beau à nos yeux, non ? Ou alors est-ce ma vision de l'amour qui n'est pas censé. En tout cas, il m'est impossible de concevoir l'idée que l'amour raisonne avec la violence ou la destruction. Dans ce cas, je préfère ne plus avoir à faire à ce sentiment. Suk, soit-disant par amour, m'a rendu la vie impossible. Il a été jusqu'à me menacer, à entrer chez moi par effraction et à me pousser dans les escaliers. Dois-je dire que tout ce qu'il a fait montre son affection pour moi ? Son égo a tout gâcher. Pour moi, c'est la seule explication possible. Moi qui ne voyait que l'homme gentil qu'il était, peu importe ses nombreux défauts, je ne ressens plus que du dégoût et de la peur à présent.
Le revoir dans cette rue, attendant tranquillement le bus comme si rien n'était arrivé m'a blessé autant que cette nuit là. Il ne semble ressentir aucune culpabilité vis-à-vis de toutes ces choses qu'il m'a faite. C'est comme si tout ce que j'ai vécu durant ces longs mois après notre rupture n'avait jamais existé. Je me suis sentie à nouveau piétinée et insultée. Je ne parviens à me défaire de cette sensation. Cela fait trois jours que je l'ai revu et pourtant je me sens toujours aussi morose. J'ai demandé à Stan de me laisser tranquille. Il n'a pas compris la raison de mon attitude et a sans doute penser que je lui en voulait de ne pas avoir vu ma blessure. Il ne sait pas que j'ai revu Suk, même de loin. Je n'ose pas lui dire tout ce qui s'est passé. Je me sens encore tellement ridicule. Je sais bien que je devrais plus m'exprimer sur mes sentiments mais je ne me sens pas à l'aise à l'idée devmede me dévoiler totalement.
Je sors de la douche, épuisée par mes terreurs nocturnes. Mon reflet semble avoir pris plusieurs années en quelques jours à peine. Je donne l'impression d'avoir vécu des décennies à travailler d'arrache pieds dans les champs. Heureusement que mes parents ne sont pas là pour voir les, dégâts. Je les ai suffisamment inquiété depuis mon accident. Je mets de la crème tonifiante comme si cela allait suffire à cacher mes insomnies, puis me rends sur la terrasse après m'être préparée un thé. Le vent frais du matin me gifle délicatement le visage, comme pour me réveiller totalement. Le soleil brille timidement, indiquant l'heure matinale qu'il est. Je m'assois, la tasse encore fumante dans la main. L'odeur de la menthe m'apaise tandis que j'écoute les oiseaux annoncer une belle journée. Pourquoi est-ce que je suis aussi abattue alors qu'il y a quelques jours encore j'avais la sensation qu'une nouvelle page de ma vie était sur le point de s'écrire ?
Je suis absorbée dans mes pensées, si bien que je n'entends pas tout de suite la voix qui m'interpelle. Il faut plusieurs exclamations de la part de mon voisin pour que je lève les yeux dans sa direction. Le visage rayonnant, tout en longueur, de Chin vient prêter main forte au soleil. Il s'approche de moi, les bras chargés d'un sac qui semble rempli de provisions. Il porte un large pantalon beige et un long t-shirt vert kaki. Ses cheveux divisés en deux parties égales laissent appercevoir son large front blanc qui semble marquer la grandeur de son humanité. Il porte des lunettes de vues rondes aux contours noirs. En le voyant sourire à pleine dents tandis qu'il remonte l'allée menant à la petite porte reliant nos deux cours, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine sérinité. C'est comme si en l'espace de quelques secondes, toutes les images négatives de ma vie nocturne avaient disparues. Après avoir ouvert la porte, il s'installe sur la chaise en face de moi et pose le sac avec non chalance.
- Tu ne peux pas imaginer comme s'est épuisant de réveiller Yon chaque matin. Il est toujours de mauvaise humeur et s'enroule dans sa couette comme si on pouvait l'oublier.
- Mais ta bonne humeur est contagieuse, n'est-ce pas ?
- Il refuse toujours de se lever, on dirait un bambin. Heureusement qu'il est mignon.
- Dis-toi alors que tu as de la chance que ce soit lui que tu dois réveiller plutôt que moi.
-Pourquoi ?
- Je suis tout sauf mignonne au levée. Un vrai dinosaure enragé.
- Tu ressembles plutôt à une vieille dame, ce matin. Tu ne dors pas bien ?
-Merci pour ta finesse. Oui, je fais pas mal de cauchemar en ce moment.
- Je t'ai apporté le petit déjeuner. Cela ne doit pas être facile de se faire à manger avec un bras en moins. Tu devrais demander à Nabi de voler à ton secours.
- Je ne veux pas vous déranger.
- Je suis sûr qui sera ravi. Au fait, après le déjeuner, tu viendras avec moi.
- Où ça ?
- À côté, évidemment. Comme tu as pris soin de moi quand j'étais malade, je vais faire pareil. Je tolère mal le stress, c'est pour ça que j'avais de la fièvre. Je suppose que toi aussi, il y a quelque chose qui arrive à te rendre malade.
- Oui... Tu as raison. J'ai dû mal avec la foule, les nouvelles rencontres, les inconnus... Les interactions sociales en somme. Et c'est encore pire depuis que je ne vois plus les visages.
- C'est pour cela que tu es aussi mal ? Que tu fais des cauchemars ? Parce qu'en travaillant pour niusnous, tu vas devoir affronter du public.
- C'est une des raisons pour lesquelles je suis inquiète, oui.
- Tu me fais penser à Jun. Tu gardes tout tes angoisses pour toi et tu continues à travailler dur même si tu n'es pas bien sauf qu'un jour, tu vas exploser. Ce n'est pas forcément être fort que de ne rien dire.
- Chin... Ce n'est pas forcément facile d'en parler.
- Je ne te dis pas de me le dire à moi, forcément. Mais tu ne l'as même pas dit à ton soit-disant ami. Stan, c'est ça ? Hônnetement, il ne m'a pas fait bonne impression. Il te surmène et ne se préoccupe pas de toi. Nabi a raison. C'est un mauvais ami. Kim le pense aussi.
- Vous êtes tous tellement gentil avec moi... J'espère vous aider un jour comme vous m'aidez aussi.
- Tu vas travailler avec nous. En sommes, tu vas faire partie de notre équipe. C'est comme ça que ça fonctionne dans notre clan : on ne laisse personne dans la pénombre.
Je le regarde avec tendresse. Ce garçon est vraiment une chance. Ses mots peuvent paraître rudes parfois, mais il se préoccupe toujours des autres. Je me sens à l'aise avec lui. Je sens que je n'ai pas besoin de jouer un rôle. Peu importe comment je me trouve, c'est lui qui se chargera de changer mon humeur. C'est ainsi que je le ressens. Il a le don de rendre les autres joyeux, voire même de les rendre meilleures. Chin sort les nombreuses pâtisseries qu'il a acheté et m'en tend une pour que je la déguste. Hônnetement, avant qu'il n'arrive, je n'avais pas faim. Une boule me serrait la gorge depuis ma visite à l'hôpital. Mais je suis soulagée d'un poids depuis qu'il est arrivé. Il n'y a pas à redire : Chin vient de transformer ma journée. Et je me sens heureuse de l'avoir entendu me dire que je faisais partie de leur équipe. J'ai la sensation d'être à nouveau chanceuse. Je ressens à nouveau cette sensation que ma vie va prendre un tout autre tournant.
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