Le temps semblait nous avoir éloigner sans que l'on voit à quel point nos retrouvailles étaient proches
Pendant que je prépare le thé tout en me demandant si je serais un jour à nouveau capable de regarder Nabi dans les yeux, mes parents reprennent leur interrogatoire. J'aurai presque envie de les pousser vers la sortie, tellement ils me mettent mal à l'aise. Ils ne se rendent même pas compte de la situation délicate dans laquelle ils me mettent. Ma mére ressemble à une véritable groupie, prête à le dévorer à n'importe quel instant. Mon père est beaucoup plus méfiant, mais je vois bien qu'il apprécie le garçon. La seule chose qu'il ne semble pas approuver c'est le fait que sa femme soit un peu trop admirative. Si cela n'était pas aussi gênant pour moi, j'aurai probablement rit devant sa jalousie excessive.
- Tu as toujours vécu dans la capitale ?
- Non, j'ai grandi dans une petite ville au sud, dans la province de Gyeonggi, avec de beaux paysages montagneux. Parfois, j'aime y retourner pour me ressourcer.
- Vraiment ? C'est là aussi qu'à grandi notre petite Hana. Quelle coïncidence !
- Maman... Veux-tu bien arrêter avec tes questions. Tu ne vois pas que tu embarrasses tout le monde.
- C'est surtout toi que ça gêne. Si on n'était pas venu aujourd'hui, je suis certaine qu'on ne l'aurait jamais rencontré. Tu fais tellement de cachoteries à tout le monde.
- Je ne vois pas pourqoi vous auriez dû le rencontrer...
- Voilà, tu recommences. On n'a pas le droit de connaître tes amis ? Si un jour tu disparais, on ne serait même pas à qui demander. À part Stan, on n'a jamais eu le droit de voir qui que ce soit de ton entourage.
-Tu ne t'es pas dit que c'était tout simplement parce que je n'avais pas d'amis ?
- Justement ! Je trouve cela tellement dommage que tu passes tes journées enfermées à écrire. Ce n'est pas comme ça que tu vas te marier, regarde ce qui est arrivé à ta dernière relation.
Ces derniers mots raisonnent dans ma tête comme un couperet. Ma mère pense donc que c'est de ma faute si notre relation n'a pas durer avec Suk. Elle me rejette la pierre sans même savoir quoique ce soit. Pourquoi est-ce que ce serait moi la responsable ? Sous prétexte que je n'aime pas étaler ma vie, je suis forcément une mauvaise petite amie ? Mon coeur se déchire en entendant les mots de ma mère. Je pose leurs tasses sur la table d'une main tremblante avant de me lever pour quitter la pièce. Je n'ai pas besoin de leurs reproches. Je me retire dans la salle de bain afin de pouvoir pleurer discrétement. Je n'ai pas envie qu'ils me voient comme cela. De là où je suis j'entends leur paroles, comme-ci j'étais avec eux. J'ai soudainement beaucoup de mal à respirer. Ma poitrine brûle à l'intérieur de mon corps, propageant sa fumée étouffante à chacun de mes muscles. La pièce me paraît étonnenment grande. Ou alors est-ce moi qui me trouve minuscule ? Le jugement des autres a toujours été un gros problème pour moi. Mais c'est encore plus douleureux lorsque cela vient de sa propre famille.
- Pourquoi est-ce qu'il a fallu que tu parles de ça ? Tu sais très bien dans quel état elle était lorsqu'elle est revenue ?
- Que s'est-il passé ?
- On aimerait bien le savoir... Nous ne devrions pas parler de ça avec toi. Si elle ne t'en as pas parlé alors peut-être qu'on devrait laisser les choses telles quelles sont...
- Le problème c'est qu'elle ne dit jamais rien. Elle garde tout pour elle et se complique les choses. On est ses parents, bon sang. Elle croit peut-être que cela nous fait rien de la voir aussi triste ? Quand elle est revenue, elle était dans un état déplorable. Elle avait marché durant plusieurs kilomètres sans s'arrêter. Ses pieds étaient en sang, elle avait un bandage autour de la tête et portait simplement une robe alors qu'il faisait très froid. On a eu l'impression d'être dans un film d'horreur.
- Oui... On ne l'avait jamais vu comme ça. Ses yeux n'arrêtaient pas de couler. Elle n'a rien dit. Ni ce soir là, ni les jours suivants. Elle faisait des cauchemars affreux et n'osait même plus nous regarder. Il a fallut un mois pour qu'elle nous dise qu'elle avait eu un accident et qu'elle avait rompu avec son copain. Elle nous a dit qu'elle ne voulait plus en parler.
- Je suis sûre que c'est ce crétin qui lui a fait du mal. Si elle nous l'a jamais présenté, c'est bien pour une raison.
En écoutant les mots de ma mère, je réalise qu'effectivement même après un an de relation, je n'avais jamais organisé de rencontre. Je n'y avais même pas pensé. Peut-être qu'une partie de moi savait pertinement que ça ne durerait pas. Je m'accrochais probablement à un sentiment éphèmére. Je me sens tellement honteuse qu'ils aient déballé mon histoire devant Nabi. Nous ne sommes pas suffisament proche pour qu'ils l'ennuient avec ma mauvaise passe. Je sens que la colère que je contiens depuis longtemps est sur le point d'exploser. Est-ce un crime de ne pas vouloir exposer ses problèmes, son passé au grand jour ? Comment vais-je faire pour regarder à nouveau mon voisin dans les yeux ? Je pense que je ne serais même plus capable de me tenir devant lui. J'ouvre discrétement la porte de la salle de bain pour m'enfuir par le côté jardin de la maison. Ils sont tellement concentrés dans leur conversation qu'ils ne remarquent pas mon évasion. Une fois dehors, je pousse un profond soupir. Je voudrais simplement faire l'impasse sur tout ce qui s'est passé avec Suk. J'aimerai pouvoir reprendre une vie normale, sans que chacun ne me rappelle ce moment désastreux. Oui, j'ai toujours senti que quelque chose n'allait pas avec Suk. J'ai préféré nier l'évidence en me forçant à croire que tout cela n'était que dû à mon incapacité à tisser des liens profonds avec les autres.
Je longe le petit mur qui me sépare de la maison du groupe de musique, tout en essayant de me calmer. Le manque de sommeil, le flot d'émotions contradictoires que j'éprouve depuis quelques jours et la conversation de mes parents avec Nabi ont mis mes nerfs à rude épreuve. Je me demande ce qu'il va penser de moi à présent. Il doit être déçu ou pire avoir pitié de moi. J'ai toujours eu peur qu'un jour les gens me prennent par pitié. C'est un sentiment horrible qui donne l'impression d'être encore plus misérable qu'on ne le pense. Je sors de la cour en montant sur la petite barrière qui mène à la rue. Je suis incapable de réfléchir pour le moment. Je cours sans savoir vraiment où aller. Le soleil qui tape au-dessus de ma tête ne m'importune aucunement. J'apprécie sa chaleur. J'ai la sensation que tout mon corps s'est refroidi. Dire que je m'amusais quelques heures auparavant avec Nabi, comme-ci c'était un ami de toujours. J'en veux à mes parents d'avoir gâcher cela. Je ne pourrais plus jamais être comme cela avec lui désormais. Je ne me suis jamais sentie aussi proche de quelqu'un depuis bien longtemps. Je ne sais pas comment expliquer cette proximité que j'ai ressenti avec le membre le plus âgé du groupe. C'est comme-ci j'avais retrouvé un vieil ami, perdu de vue depuis des années. Mais que rien n'avait changé dans notre relation. Maintenant que ma mère lui a raconté combien j'étais misérable il y a deux ans, je suis certaine qu'il ne me verra plus de la même manière.
Incapable de m'arrêter, je cours jusqu'à l'épuisement. Mes jambes me font terriblement mal, comme enveloppé dans un nid de frelons. Les rayons du soleil qui m'ont accompagné jusqu'ici me donnent le tournis. Je m'assois sur un banc, à l'ombre d'un arbre centenaire. Aucune brise de vent ne vient rompre le silence dans lequel je me suis plongée volontairement. Les images de cette nuit fatidique tournent sans arrêt dans ma tête, ne me laissant aucun répit. Je ressens cette même peur incontrôlable. Ce même dégoût de moi-même. Je me revois quelques jours après mon réveil, alors incapable de reconnaître les visages de mes parents. J'entends encore le son des machines raisonner dans mes oreilles sans arrêt. Je revois la porte s'ouvrir, laissant place à la silhouette reconnaissable de Suk. Son masque effrayant me revient en mémoire. Chaque détail est gravé dans mon esprit, de manière indélibile. Il s'approche doucement en me demandant de ne pas lui en vouloir. De le laisser m'aimer à nouveau. Il me promet de prendre soin de moi. Plus la distance entre nous s'ameunise, plus je suis prise de panique. Je lui demande de partir plusieurs fois. Sa voix se fait plus grave en me disant que je le déçois. Que je n'essaie même pas de le comprendre. Je sors précipitemment de la chambre et cours aussi loin que possible, essayant de ne plus l'entendre m'appeler. Étrangement, je me souviens m'être assis au même endroit durant un long moment. J'essayais de reprendre mon souffle, de me rassurer. Exactement comme je suis entrain de le faire aujourd'hui. Je ne prête pas attention aux gens qui passent continuellement tout autour de moi. Je suis comme piégée dans une boule à neige . Un enfant suerxcité s'amuserait à renverser l'objet sphérique en verre pour voir tomber les flocons blancs. Moi, je serais un des petits personnages fixé à l'intérieur qui se trouverait la tête en bas à intervalle irrégulier. Incapable de me défendre, je subirais ce manège incessant qui me donne envie de vormir. Ma tête se cognerait contre le sol du jouet sans un bruit de démonstration.
Assise au beau milieu du parc, je fixe un point vide. Mon corps est totalement inerte, incapable de faire le moindre geste. Je repense à ma journée avec les garçons, à ma matinée avec Nabi. Je pensais naïvement pouvoir reprendre une vie normale. Pouvoir tirer un trait sur ce qui m'est arrivé afin d'avancer. C'est pour cela que j'ai emménagé dans cette maison. Et mes voisins m'ont fait croire que c'était possible. Que je pouvais à nouveau être heureuse. J'aurai dû être plus prudente. Le passé finit toujours par nous rattraper. Je suis épuisée tant physiquement que moralement. Désarmée de toute force, je me laisse tomber sur le banc et ferme les yeux. Bientôt, je n'entends plus le bruit des pas qui frappent les graviers. Ni le chant des oiseaux et des branches qui craquent. Les rayons du soleil cessent de me carresser les joues et le bois du banc ne vient plus se coller à mon jean. Je me laisse totalement transporter par le sommeil qui m'a gagné.
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