"Le moi qui sourit, le moi qui pleure : rien n'est joué reste à l'accepter"
Je me réveille alors que le soleil n'est pas tout à fait levé. La nuit avait pourtant bien commencée. Après avoir jouée les indiscrètes, je me suis couchée alors que je sentais mon corps faiblir. Mes parents venaient de partir en laissant des consignes aux garçons. Je les ai trouvé particulièrement exigeants envers le groupe d'amis. Je ne suis qu'une simple voisine dont ils ont fait la connaissance il y a quelques semaines. Ils n'ont aucune obligation envers moi. Je me suis remémorée la scène du van. Cet instant où ils ont promis à l'unisson de me protéger comme une membre de leur famille m'a vraiment touché. Je n'ai jamais compris la recette de l'amitié. Elle se tisse parfois de manière étrange, évolue tout aussi bizarrement et parfois se brise sans que l'on en comprenne les raisons. Cette image particulièrement réconfortante m'a permis de m'endormir sereinement. J'ai également repenser à l'histoire qu'ont raconté mes parents à mes voisins. Ce petit garçon avec qui je m'entendais bien, que je voulais protéger. Comment ai-je pu l'oublier ? En réalité, ce n'est pas le cas. Même si je ne me souviens plus de son nom ou de ses traits, je me rappelle parfaitement de ce que je ressentais pour lui. Il était plutôt grand et toujours souriant. Il était tellement gentil que les autres enfants profitaient souvent de lui. Un jour où je l'ai vu donner son goûter à une petite fille soit-disant affamée, je me suis ruée entre les deux protagonistes. Comme dans une bande-dessinée, où le héro s'interpose pour protéger la demoiselle en détresse. J'ai repris le goûter de mon ami des mains de la chipie en hurlant qu'il n'y avait qu'à moi qu'il pouvait offrir son repas. J'ai crié suffisament fort pour que tout le monde l'entende. Puis, j'ai précisé :
- Et c'est pareil pour tout le reste. Il n'y a que pour moi qui peut faire des créations, qu'il peut raccompagner, nourrir ou prêter son stylo. Donc vous avez intérêt à le laisser tranquille où je vous jeterais le pire sort qu'il soit. Et arrêtez de dire qu'il est bête. C'est vous les idiots. J'ai vu son avenir et il deviendra connu partout dans le monde. Il sera mannequin ou acteur.
Mes joues étaient rouges de colère. Tout les enfants de la cour se sont éloignés, sans insister. J'ai pris la main du garçon et l'ai emmener sur un banc au fond de l'école. Aprés un court silence, je lui ai rendu sa boîte-repas en pestant contre les profiteurs. Il m'a regardé avec un sourire timide puis a ouvert la boîte pour prendre un morceau de ce que sa mère lui avait préparé. Le jeune garçon m'a tendu ce qu'il avait dans la main avec une lueur particulière dans les yeux. J'ai mangé ce qu'il m'a offert avant de partager mon repas. Il s'est mis à rire joyeusement avant de reprendre son sérieux.
- Tu sais, je suis le plus âgé. C'est à moi de te protéger. Mais je comprends que tu puisses me trouver beau.
- Je suis assez forte pour me protéger toute seule. Et tu es peut-être beau mais tu es aussi sot. Tu leur donne tout ce qu'ils demandent.
- Ce sont mes admiratrices. C'est normal que je leur fasse plaisir.
- Et tu vas les laisser te dévorer ? Si on a le droit de te manger, je veux être la première.
- D'accord. Tu passeras toujours en premier. Dis, pourquoi tu portes toujours une robe rose ?
- C'est la couleur des fées.
- Donc tu veux dire que tu es une fée ? Génial ! J'en veux une rien que pour moi.
- Si tu me laisses te manger en premier, je serais ta fée personnelle.
- D'accord. Ma fée.
Mon rêve s'est donc écoulé paisiblement jusqu'à, sans que je ne sache réellement pourquoi, Suk et son masque démoniaque apparaisse pour me pourchasser. Ensuite, je me suis retrouvée propulsée à cette nuit où tout à basculer. Je me suis réveillée brutalement alors que mon ancien petit ami était sur le point de me pousser dans les escaliers. Mon coeur tambourrinait dans ma poitrine, comme-ci il voulait sortir de ce songe épouvantable. Un filet de sueur a traversé mon dos sous mon pyjama et je me suis désormais assise sur mon matelat, l'esprit encore tétanisé par la tournure des évènements. Il me faut un moment avant que je ne parvienne à sortir du lit. Mon cerveau était jusqu'alors totalement déconnecté du reste de mon corps. J'enfile mes pantoufles tel un automate et traverse le couloir afin de me préparer une infusion. Dans le salon, les garçons sont encore assoupis. Je suis étonnée de voir qu'ils ont passé la nuit ici. Ils ont l'air de véritables enfants, paisiblement allongés un peu partout dans la pièce. Jun et Park sont collés l'un à l'autre, comme de véritables jumeaux. Je ne peux m'empêcher de sourire en les voyant ainsi. Il est certain que leur lien est fort. Je me demande si j'ai déjà eu un attachement semblable avec quelqu'un. N'ayant pas de frère et soeur, je n'ai jamais eu cette chance d'avoir une connexion particulière avec quelqu'un. Yon a un pied posé sur le corps inerte de Jung Wan et Kim s'interpose entre les deux groupes en chef d'orchestre. Chin est un peu à l'écart du groupe, juste à côté de la table basse tandis que Nabi, lui, est installé sur le canapé. Je ne peux m'empêcher de regarder son visage durant un long moment. Je détaille sa bouche légérement entrouverte et ses yeux clos parfaitement symétriques. Tout semble avoir été calculé pour le rendre admirable. Il m'évoque un tableau de Bang Hai Ja dont les oeuvres est un parfait équilibre entre la proportion et la poésie. Tout semble minutieusement à sa place mais avec une touche de grâce évidente. Sans m'en rendre compte, je m'approche de Nabi comme pour m'assurer qu'il est bien réel. Alors que nos visages se trouvent à la même hauteur, j'ai un sursaut de conscience. Je suis sortie d'un état de transe évident en un clinquement de doigt. Déstabilisée par mon comportement inhabituel, je me lève brusquement manquant presque de me heurter à la table basse. Je me précipite vers l'extérieur de la maison, en manque d'air. Une fois dehors, je pousse un profond soupir. Qu'est-ce qui m'a pris ?
L'air frais de la matinée me permet de retrouver mes esprits. J'ai encore du mal à réaliser tout ce qui s'est passé ces derniers jours. L'odeur de la pluie qui est tombée durant la nuit vient embumer tout l'espace. Je reste immobile sur la terrasse à scruter l'horizon. Le ciel n'est pas vraiment bleu mais pas totalement gris non plus. Un peu comme mon humeur en ce moment. Il ne sait pas quel ton donner et comment évoluer. En réflichissant à mon avenir, je suis dans un brouillard épais. Je ne vois pas quelle genre de personne je pourrais devenir ni quel style de vie je pourrais avoir. Certaines personnes se voient déjà mère à mon âge. Mariées avec un petit garçon ou une petite fille dans une petite maison paisible. Elles s'imaginent déjà un quotidien bien rangé dans lequel elles seraient épanouies. Moi, je ne parviens pas à songer à tout cela. J'ai bien dû mal à tisser des liens durables avec les gens, désormais je ne parviens même plus à voir leur visage, alors comment pourrais-je avoir une relation amoureuse ? Je devrais probablement mon consacrer à ma carrière.
Soudain, une présence se fait sentir derrière moi. Je me retourne brusquement, offensive. Le visage de Chin, toujours aussi lumineux, me radoucit aussitôt. Ses yeux sont encore fatigués mais il m'adresse une mine souriante comme pour me mettre en confiance. Il s'avance lentement puis me tend une chaise pour m'inviter à converser. J'ai vraiment l'impression qu'il est capable de lire dans mes pensées.
- Je vois que tu t'inquiètes toujours autant de la réaction de Nabi. Je t'ai vu le dévisager, on aurait dit un vampire sous hypnose.
- Hum... Oui.
- Tu veux que je te dises ? Ce n'est pas à toi de te sentir honteuse. Tu n'as rien fait de mal. Tout le monde en a conscience et toi aussi, tu devrais en avoir conscience.
- Je sais... Mais peut-être que si...
- Si quoi ? Si tu avais rencontré Nabi avant, tu ne serais pas tomber amoureuse d'un gars comme lui ?
- Hein ?
- Détends-toi. Je plaisante. Ou pas tout à fait. À toi de voir. Mais j'ai remarqué que tu agissais différement avec lui. Tu es beaucoup plus proche de lui que de nous ou de Stan, ton ami de longue date.
- C'est juste que parfois j'ai l'impression de le connaître depuis longtemps. Mais je n'ai pas envie de vous causer des ennuis ou que vous vous sentiez obliger de quoique ce soit...
- On se sent obligé de rien. Et franchement tu ne nous fait pas pitié. Qui aurait pitié de quelqu'un qui nous a comme voisin ?
- C'est une phrase à la Nabi, ça.
- Tu trouves que je l'imite bien ? Blague à part, on fait ça parce que je crois pouvoir affirmer pour l'ensemble du groupe que tu es quelqu'un de bien, qu'on a envie de protéger.
Je ne peux m'empêcher de rire. Cet homme est vraiment incroyable. Il a le pouvoir de changer mon humeur en l'espace de quelques secondes. Je me sens à l'aise pour discuter avec lui. Je n'ai jamais l'impression d'être jugée ou qu'il attende quelque chose de moi. Il est simplement là, à m'écouter et à me conseiller sans rien demander en échange. On reste quelques instants silencieux à admirer le ciel se transformer lentement. Je me sens totalement apaisée. Si bien que le sommeil revient me chercher sans préavis. Je sens mes paupières s'alourdir d'un seul coup et mon corps s'alléger. Je n'ai même pas le temps de lutter que je suis entraîner à nouveau dans les bras de Morphée. Je suis sûre que s'il n'avait pas été là, je n'aurai jamais pu me rendormir. Une autre certitude me vient à l'esprit : acheter cette maison est la meilleure chose que j'ai faite jusqu'ici.
L'odeur allèchante de la nourriture m'éveille à nouveau. Je suis toujours assise sur le fauteuil, une couverture sur les épaules. Chin dort paisiblement à côté de moi, lui aussi couvert par un drap épais. Nos chaises sont tellement proches que l'on pourrait se tenir la main sans difficulté. Ma tête aurait pu se poser ses épaules naturellement durant mon sommeil. D'ailleurs, peut-être est-ce arrivé ? À cette idée, je suis un peu déconcertée. Si tel avait été le cas, je me demande quel aurait été sa réaction. Je regarde le visage de Chin encore endormi. Des pas cognent le sol derrière et la silhouette mince de Yon apparaît. Il me scrute avec un air soucieux. Je me demande ce qu'il est entrain de penser. Je m'apprête à le saluer mais il me coupe l'herbe sous le pied.
- Je vous ai mis une couverture sur les épaules à tous les deux. Vous auriez pu attraper froid à vous endormir comme ça dehors.
- Merci...
- J'espère que le temps que tu as passé avec Chin t'a fait du bien. Mais je dois te dire que je suis assez préoccupé quand à votre relation.
- Hein ?
- On a fait que papoter, intervient Chin qui vient de se réveiller.
- Rentrez déjeuner. Nabi a préparer de quoi nous remonter le moral. Cela fait plus d'une heure qui s'affaire à la tâche, j'espère que vous avez très faim.
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