La fumée assourdissante de la rumeur est la plus difficile à dissiper.
La voix aigüe de mon amie me réveille brutalement. Moi qui passait une nuit paisible durant laquelle je cuisinais tendrement avec lui... Mes joues s'empourpent rien qu'en y repensant. Je dois avoir totalement perdue l'esprit. Je ne peux pas être aussi faible. Il est vrai qu'il n'est pas dénoué de charmes, bien au contraire. Sa légèreté et son côté provacateur éveille quelque chose en moi. Une partie de ma personnalité enfouie depuis bien longtemps, refait surface. Je me sens comme renaître en sa présence. Mais je ne peux pas me permettre de laisser ces sentiments grandir. J'ai trop peur d'être à nouveau déçue. Je ne suis pas encore prête pour me lancer à nouveau. Jia me sort de mes pensées en se jetant sur le lit. Elle s'assoit à côté de moi, avec son air d'enfant tout excitée à l'idée de déballer ses cadeaux. Je ne sais pas quelle mouche l'a piqué. Elle me montre son téléphone en agitant sa main à vive allure, comme si je pouvais voir quelque chose.
- Tu fais parler de toi, ma vieille !
- Peux-tu me dire ce qui te rend d'humeur aussi joviale alors que le soleil est à peine levé ? Tout le monde n'est pas aussi énergique que toi au réveil...
- Bon sang, tu me caches encore beaucoup de choses ? Tu as été à l'université avec Kim ?
- Rien que pour ça ? Vraiment...
- Ce n'est pas tout... Il est dit que c'est ton premier amour et que vous vous revoyez !
-Quoi ?
- Ce serait la passion pour l'écriture qui vous aurez réuni à l'époque... Et Kim ne se serait jamais remis de votre rupture, c'est pourquoi il a imaginé ce scénario pour te retrouver... Si ce n'est pas romantique !
- Ils ont bien plus d'imagination que moi... Je devrais peut-être arrêter d'écrire. Kim et moi, on ne s'est jamais rencontré sur le campus...
- Menteuse ! Il y a une photo...
Je prends le téléphone des mains de Jia pour regarder la soit-disant preuve de notre rencontre. Je suis stupéfaite en découvrant le cliché de la remise de prix du concours d'écriture. Effectivement, Kim et moi sommes sur la photo. Mais nous sommes complètement l'opposé l'un de l'autre. Je me demande comment ils ont fait pour retrouver cette antiquité. Tout cela me paraît bien loin. Si bien que j'ai la sensation de vieillir de vingt ans instantanément. Je regarde nos visages sérieux et m'aperçois que les yeux de mon voisin sont tournés dans ma direction. Probablement voulait-il savoir qui était la personne qui lui avait pris la première place. De là à imaginer une histoire d'amour... Les gens ont vraiment besoin d'exagérer les choses, comme si la réalité ne leur suffisait pas. Je ne peux pas les juger puisque l'imaginaire fait parti de mon travail. Seulement, je ne réécris pas la vie de personnes réelles au risque de vraiment la bousculer. Je mets un certain temps avant d'admettre que Kim et moi, nous nous soyons déjà croisés. Pourquoi est-ce que je ne m'en souvenais pas ? Probablement parce que nous n'avons pas parlé ce jour-là. Un visage ne veut rien dire pour moi. J'ai besoin de voir se dessiner les traits de la personnalité d'une personne pour qu'elle me marque. Quoique, les garçons ont un visage qui reflète parfaitement leur identité...
Jia reprend son téléphone pour me lire l'article en détails avec son lot de commentaires. La plupart des messages sont sceptiques, quelques-uns sont désagréables. Je ne sais pas quoi répondre. Je préfère me lever et rejoindre la salle de bain, ignorant les interrogations de mon amie. Décidément, ma vie prend une drôle de tournure. Tout en me glissant sous l'eau chaude, je fais une rétrospective de ce dernier mois. J'ai vécu beaucoup de choses. Mon cœur a fait plusieurs fois les montagnes russes. J'applique ma crème en essayant de réfléchir à une tactique. Je ne veux pas que les gens se méprenent sur ma relation avec Kim. Je ne veux surtout pas que Nabi se fasse des idées... Attends, pourquoi je me préoccupe autant de ce que peux penser Nabi ? Parce qu'ils sont amis, sans doute. Et que le membre le plus âgé du groupe et moi sommes devenus assez proche ces derniers temps. D'ailleurs, je me demande à quel point nous sommes proches.
Lorsque je sors de la salle de bain, le silence de la maison me surprend. La voix perçante de Jia ne résonne pas dans les pièces, sous-entendant que j'ai du succès depuis que j'ai emmènagé ici. Elle ne comprend sans doute pas que je puisse être amie avec des garçons. Bien entendu, avec Stan s'était différent. Puisqu'au fond, ce n'était pas une simple amitié. En tout cas, pour moi. Jia arrête pas de répéter que ce genre de lien affectif entre une fille et garçon est souvent biaisé. Pour elle, il y a forcément une des deux personnes qui cache ses véritables sentiments à l'autre de peur de la perdre. Au fond, il y a toujours quelqu'un qui souffre secrétement. J'arrive dans le salon et découvre mon amie entrain de dévisager Stan. Personne ne prononce le moindre mot. On entend à peine leur respiration. L'atmosphère est éléctrique. Pour la première fois depuis l'incident je me pose la question à savoir si Jia était au courant de la manoeuvre de mon agent. À en croire ses yeux mitraillettes, j'en doute. L'homme assis devant elle semble nerveux. Il joue avec doigts sur ses genoux, mal à l'aise. Il n'ose même pas lever les yeux. Immobile, je regarde la scène sans savoir quoi faire. Je ne suis pas certaine d'être prête à entendre ce qu'il a à me dire. Et puis, on ne peut pas dire que le timing soit vraiment le bon. Incapable de prononcer le moindre ou même d'avancer dans leur direction, je me dirige vers la cuisine pour me faire un thé. Je pense que c'est ce dont j'ai le plus besoin en ce moment. En entendant la bouilloire, Jia prend enfin conscience de ma présence. Elle se lèvre brusquement en m'anonçant la nouvelle : Stan a quelque chose à me dire. Les deux mains sur les hanches, elle me regarde avec son air soucieux. Elle se demande probablement si je vais le laisser s'excuser. Je soupire. Je ne sais même pas quoi penser. Au moment où le cliquetis de la machine m'indique que l'eau est prête, la porte d'entrée s'ouvre brutalement. Yon débarque sans prévenir. Lui qui est habituellement discret et poli, dévoile un trait de caractère que je n'imaginais pas. Je n'ai pas besoin de l'entendre pour savoir qu'il est inquiet à propos de la situation. Il doit se faire du soucis pour Kim. Il fonce droit sur moi, sans prêter attention aux autres personnes présentes dans la pièce. Fidèle à lui-même, il ne tourne pas autour du pot :
- Je suppose que tu as vu les dernières nouvelles. À propos de Kim et toi. Je ne sais pourquoi les gens sont aussi obsessionnels... En tout cas, il va falloir prendre sur soi.
Les mots de Yon me perturbent. Je le regarde sans comprendre où il veut en venir. Se fait-il du soucis pour moi ? La manière dont il dit les choses, semble aller dans ce sens. Pourtant, j'aurai pensé qu'il serait venu pour me reprocher de ne pas avoir fait suffisament attention. Parce que Kim est touché par les rumeurs qui circulent. Le fait que j'ai décidé de me découvrir met les gens en appétit. Tout le monde doit se poser un certain nombre de questions. Avant que je n'ai pu ajouter quoique ce soit, Yon se rend compte que je ne suis pas seule. Les joues écarlates, il s'excuse de cette intrusion avant de jeter un regard noir à l'homme assis sur le canapé. Celui-ci se lève pour saluer Yon tout en bafouillant qu'il vient simplement prendre de mes nouvelles et discuter.
- Tu devrais avant tout t'excuser. Ton comportement a tout d'un homme égoïste. Sa vie est suffisament chamboulée. Tu l'as forcé a accepté de travailler avec nous dans ton propre intérêt tout en sachant ce qu'elle traversait. Et tu l'as mise en danger.
- Je ne pensais pas que Suk pouvait être comme ça... Sinon, je ne lui aurai jamais présenté ! Je voulais simplement l'aider à passer à autre chose, qu'elle aille mieux.
- Uniquement pour qu'elle puisse à nouveau écrire. Ne ment pas, ce n'était pas dans son intérêt.
-Tu peux penser ce que tu veux mais je l'ai fait pour elle. Et d'abord, tu l'as connais depuis combien de temps ?
- Ce n'est pas une question de temps. Et je crois que tu n'as aucunement le droit d'être jaloux. Tu n'as jamais remarqué ce qu'elle valait vraiment.
- Vous pouvez parler les gars. Vous avez fait des pieds et des mains pour qu'elle intégre votre équipe, d'ailleurs je trouve cela louche. Et depuis qu'elle travaille avec vous, elle n'a que des ennuis. Qu'est-ce que vous comptez faire pour cette histoire avec le leader ? Vous avez vu toutes les insultes qu'elle subit...
- Ne t'en fais pas, on est très bien capable de la protéger. Tu n'as plus besoin de te la jouer.
C'est la première fois que je vois mon agent perdre le contrôle de ses émotions et s'énerver. Sa voix est grave et sèche. Jia n'ose pas intervenir, ni même moi. Les deux hommes semblent tous les deux perdre patience. Stan attrape le col de mon voisin et le secoue violement mais Yon reste de marbre. Le self-control de l'artiste est imperturbable, ce qui a le don d'agacer encore plus Stan. Ce dernier lui hurle dessus qu'il n'est rien pour moi et qu'il devrait savoir où est sa place. Mon agent semble totalement avoir perdu la tête. Il est prêt à projeter Yon contre le mur. Je ne peux pas le laisser blesser mon voisin. J'essaie de le raisonner, m'avançant prudemment. Je lui demande de lâcher sa prise mais il semble décider à l'envoyer valser. Je pose la main sur son bras espérant le faire capituler mais je sens qu'une poigne ferme m'en éloigne. J'essaie de me dégager pour venir en aide à Yon. Kim entre dans le salon avec sa prestence naturelle et calme la situation. Je me retrouve collée contre un torse, bientôt prisonnière de bras puissant. La voix de Nabi me fait tressaillir :
- Laisse-nous nous en occuper.
- C'est mon problème. Stan tu as intérêt de lâcher mon ami tout de suite. Je ne te le répéterai pas. Ce n'est pas en t'en prenant aux autres que tu vas te sentir mieux. Si tu veux parler, on le fera une fois que tu seras calmer. Mais je ne te pardonnerais pas si tu t'en prends aux garçons.
Ma voix est étonnement autoritaire. J'ai su garder un air détaché malgré la fébrilité que je ressens. Mon corps tout entier tremble contre celui de Nabi. Je n'arrive pas à savoir s'il s'agit de la proximité avec mon voisin ou si c'est la situation qui me rend nerveuse. Mon voisin relâche son étreinte et je m'avance vers Stan qui abandonne Yon à contre-coeur. Yon ajuste sa veste et reprend d'un ton incroyablement calme :
- Elle a raison. Cela ne sert à rien de jeter la faute sur quelqu'un d'autre.
- Tu as le don de m'agacer, toi. Je ne me dédouane pas de ma faute. J'ai réalisé ce que j'ai fait trop tard et je vous averti donc pour ne pas que vous fassiez la même erreur.
- Ne t'en fais pas, on est plus intelligent que toi lance Kim.
- Tu as intérêt à prendre soin d'elle. Tu en as la responsabilité maintenant que tu sors avec elle. Je te la confie.
- Quoi ?
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