les 100 portes
P.O.V : Yuuto Takeda
L’air est sec ici. Trop sec.
Les conduits du plafond soufflent un vent mécanique, continu, qui n’arrive même plus à rafraîchir l’atmosphère. L’air est lourd, stagnant, presque suffocant. Une chaleur sèche, irritante. L’odeur du plastique neuf, du métal et de la sueur froide flotte dans chaque recoin.
Les lumières blafardes des néons découpent des ombres nettes sur les visages concentrés des agents. Chacun est à son poste, dos droit, yeux rivés à un écran, à un clavier, à un moniteur. Il n’y a que des clics. Des bips. Des lignes de code qui défilent. Aucun mot. Aucun soupir.
Mais moi, je les observe.
Je les connais.
Ils ont appris à ne pas trembler. À ne pas laisser filtrer la moindre émotion. Mais ce n’est qu’une façade. Tout comme moi.
Adossé à la rambarde métallique de l’étage supérieur, bras croisés, dos raide, mes yeux balayent le mur d’écrans qui s’étire devant moi comme une fresque moderne et impassible.
Des caméras partout. Des visages.
Des enfants. Des adolescents. Tous jeunes. Trop jeunes.
Je me rappelle comme si c’était hier, quand j’étais à leur place. Je n’avais rien demandé. Je ne comprenais rien, et pourtant, j’étais là.
C’était sans doute l’une des périodes les plus difficiles de ma vie. Je me souviens de la peur viscérale que je ressentais.
Du regard terrifié des autres élèves, enlevés comme moi.
De mes mains moites et collantes.
De mon cœur battant la chamade, prêt à exploser.
J’étais perdu dans ces souvenirs douloureux… quand un bruit familier me ramena brutalement à l’instant présent.
Clac.
Les portes venaient de se refermer.
Un bruit simple. Brutal. Final.
Je savais ce que cela signifiait.
Après la fermeture des différentes portes derrière lesquelles étaient entrés certains élèves — 200 exactement — ceux restés en dehors… seraient “éliminés”.
Je ris intérieurement à l’emploi de ce mot.
Une façade. Une jolie formule pour camoufler l’horreur à venir.
Je relevai la tête, regardant les images du hall principal.
Ils étaient encore là, des centaines d’élèves.
Tous différents : couleurs de cheveux, origines, tailles.
Mais la même peur dans les yeux.
Ils ne sont pas entrés. Certains n’ont pas osé. La panique, le doute… Qui sait ?
Je garde le silence.
Je les observe.
Ceux qui n’ont pas été assez rapides.
Ceux qui ont hésité.
Ceux qui ont pleuré.
Ceux qui ont crié, supplié de l’aide, sans réaliser qu’il n’y aurait jamais de secours.
Ils sont restés là, piégés dans le hall.
Ils ne sortiront plus.
plus de cent gamins.
Cent vies effacées d’un simple claquement de porte.
Chaque année, le chiffre est presque identique. Et pourtant… je ne m’y habitue jamais.
Ils ne reverront jamais leurs familles.
Ils n’ont rien demandé.
Et pourtant, ils sont là.
Enfin… ils étaient là.
— Monsieur Takeda.
Une voix neutre, sans émotion. Un agent, s’approchant lentement, dossier noir à la main. Ses lunettes à demi embuées par la chaleur de la pièce.
— Cent-trois restés dans le hall. Les caméras ne détectent plus aucun mouvement. Ils sont confirmés éliminés.
Je ne tourne même pas la tête.
Je reste là, les yeux fixés sur les écrans vides. Puis, d’une voix lasse :
— Mettez-les dans le trou.
L’agent hoche la tête et s’éloigne.
C’est mécanique. Presque banal.
Je ferme les yeux un instant. Pas par pitié. Pas par remords.
Juste… par réflexe.
Ils étaient 303. Il fallait faire un tri.
Il en reste 200.
Ceux-là ont eu le privilège d’entrer.
Un privilège… ou une malédiction.
Car parfois, je me demande si mourir tout de suite n’aurait pas été une délivrance. Ceux qui ont franchi les portes… vont affronter quelque chose de bien pire dans le futur....
Je prends une profonde inspiration pour balayer toute trace de remords, puis je m’étire paresseusement avant de souffler :
La partie peut vraiment commencer.
Je descends lentement les marches, sans un mot, jusqu’à atteindre la table de commandement principale. Les agents se redressent légèrement à mon approche. Un seul mot suffit.
— Donnez-moi les flux caméras. Salles 1 à 10. Et les relevés de stress et de rythme cardiaque. Immédiatement.
Les écrans s’organisent instantanément.
Les visages apparaissent. Nets. Clairs.
Chaque mouvement est enregistré. Chaque souffle. Chaque hésitation.
Ils n’ont aucune idée de ce qui les attend.
Je tends la main vers la tablette posée à portée de main. Un simple glissement du doigt, et les fichiers s’ouvrent.
En moins d’une demi-journée, nous avons rassemblé toutes les données :
Dossiers scolaires. Bilans médicaux. Antécédents familiaux. Analyses comportementales.
Même les enregistrements de surveillance de leurs écoles.
Je fais défiler la liste.
Noms. Visages. Notes. Observations.
Certains sont déjà marqués en rouge — éliminés.
D’autres… restent en attente.
Ils doivent encore prouver qu’ils méritent la couleur bleue — la vie.
Je m’arrête parfois sur certains visages. Les traits tendus par la peur. Les yeux agrandis par l’incompréhension.
Un simple balayage de la main, et les images changent.
Un tableau trié en trois colonnes apparaît : Réflexes, Intelligence, Force brute.
Chaque candidat sera classé selon ses performances et ses évaluations.
Les épreuves qui arrivent ne sont pas qu’une question de force physique ou de capacité mentale.
Non.
C’est une question de résilience.
De volonté.
De survie.
Ils sont déjà enfermés dans les salles.
Aucun retour possible.
Je lis la panique dans leurs gestes fébriles, dans leurs respirations saccadées.
Mais il n’y aura pas de miracle.
Juste un test.
— Activez les mécanismes de chaque salle, dis-je d’une voix calme, presque détachée.
— Oui, monsieur, répondit un agent avant de pivoter sur son siège et de taper sur son clavier.
Ce bruit mécanique…
Ce cliquetis incessant…
Il m’irrite.
Je l’entends tous les jours.
Il m’est devenu aussi familier que détestable.
Parfois, je rêve d’un silence total. Sans clics, sans ordres, sans machines.
Mais je sais que ce n’est qu’un fantasme inutile.
La voix automatisée des salles me fait lever la tête :
— Bonjour, chers aspirants. Bienvenue dans le Test des Cent Portes.
Je les voyais tous, cherchant désespérément l’origine de la voix qui venait de retentir. Mais ils ne la trouveraient jamais… Car ici, la seule chose qui répondait, c’était les murs eux-mêmes.
Ça m’amusait.
Je suis aussi passé par là. Je connaissais ce sentiment : cette perte de repères, cette paranoïa qui te bouffe de l’intérieur. Je commençais doucement à replonger dans mes souvenirs, à m’évader dans mon propre nuage, lorsque la voix synthétique reprit d’un ton froid et mécanique :
« Ce test se déroulera par binôme, comme vous l’aurez certainement deviné. C’est un exercice très simple : il vous suffira de sortir par la porte située au fond de la salle. »
La voix, volontairement simpliste et calme, cachait bien la brutalité de l’épreuve.
Je voyais dans leurs regards l’incompréhension totale. Ils devaient tous se dire : C’est tout ? Juste sortir ?
J’avais pensé exactement la même chose à mon tour.
Mais la réalité m’avait vite frappé, comme une claque glaciale.
Le principe du “Jeu des Cent Portes” était simple sur le "papier" :
Chaque salle possédait une unique sortie… mais aussi des dizaines de fausses issues, de pièges, de mécanismes qui faisait souffrir physiquement, et parfois mentalement.
Avancer signifiait réfléchir, prendre des décisions rapides sous pression extrême. Hésiter, c’était rester bloqué — ou pire.
Le but réel n’était pas seulement de sortir, mais de montrer qu’on savait s’adapter, qu’on pouvait rester lucide dans un environnement qui cherchait à nous faire exploser de l’intérieur.
Une fois que la voix eut terminé ses explications, un compte à rebours s’afficha au plafond en lettres rouges clignotantes : 15 minutes. Pas une seconde de plus.
BIP.
Ce bruit bref. Ce son…
Il remua en moi des souvenirs que j’avais enterrés depuis si longtemps.
Chaque année, c’était la même chose.
À chaque “bip”, à chaque début de test, mon cœur se serrait au point d’en devenir douloureux.
Le “Jeu des Cent Portes” n’était pas un simple test pour moi. C’était une épreuve trop dure pour l’enfant que j’étais. Trop cruelle pour qu’un gosse en sorte indemne.
Ce n’était pas censé être humain.
Je secouai légèrement la tête pour sortir de ma torpeur. Ce n’était pas le moment de me laisser happer par le passé.
Je repris ma tablette et commençai à observer sérieusement la tactique et la technique des élèves de la salle 1.
Ils étaient deux garçons.
D’après la fiche qui s’affichait sur mon écran :
- Le plus grand, mince mais solide, s’appelait Itoshi Shin. 15 ans
- Le second, plus frêle mais au regard vif, se nommait Mikami Semo. Il avait egalement 15 ans
Leur salle semblait jouer sur la tromperie visuelle : plusieurs portes, toutes identiques.
Mais en observant bien, on pouvait voir que l’une d’elles vibrait légèrement au rythme du compte à rebours.
C’était leur sortie.
Shin repéra ce détail subtil. Sans hésiter, il saisit Mikami par le bras, prêt à foncer vers la porte vibrante.
Je me surpris à penser que ce serait trop simple. Que c’était presque insultant.
Et effectivement, au moment même où ils atteignirent la poignée, les murs de la salle tremblèrent brusquement.
Des pointes métalliques jaillirent du plafond, sifflant dangereusement à quelques centimètres de leurs têtes.
Mikami hurla en trébuchant, une estafilade fine traçant une ligne sanglante sur son avant-bras.
Shin, lui, serra les dents et força la porte d’un coup d’épaule, l’ouvrant dans un fracas brutal.
Ils réussirent.
Mais ils ne sortirent pas indemnes.
L’agent chargé de consigner les résultats pianota rapidement sur son clavier :
« Salle 1 : Test réussi. »
Je lâchai un léger sourire.
Un petit sourire discret étira mes lèvres.
Je pris ma tablette et cochai leur fiche d’un trait bleu.
De la joie ? Peut-être…
- Faites les sortir et patienter dans le haul dis-je sèchement
Même si rien ne garantissait leur survie jusqu’à la fin de la semaine, même si l’horreur ne faisait que commencer, je ne pouvais m’empêcher d’être heureux de les voir gagner, ne serait-ce qu’une journée de plus.
Même si c’était une journée dans la peur.
« Enregistrement de la salle 2 en cours… 15 % », annonça une voix mécanique provenant de l’ordinateur des agents.
Vu que tous les binômes passaient l’examen en même temps, seul celui de la Salle 1 était retransmis en direct.
Pour les autres, nous devions visionner les enregistrements un à un.
Un processus lent, fastidieux, qui prenait parfois toute la nuit.
Mais je ne m’en plaignais pas.
J’aimais les voir lutter, se battre, survivre.
J’aimais cocher leur nom en bleu…
Bien sûr, il y avait aussi des cases rouges, des échecs…
« 45% » annonça l’agent, toujours concentré remarquant mon air absent
Je commençai à lire la fiche des élèves de la salle 2 :
- Yumba Akeshi, 15 ans une fille à l’allure fragile, timide même.
- Isaki Taïki, 15 ans un garçon qui dégageait au contraire une robustesse et une certaine confiance.
65%.
Je soupirai légèrement.
La notion de force et de faiblesse dans ce nouveau monde était primordiale.
Ce n’était pas juste une question de muscles ou d’intelligence.
C’était la capacité d’endurer, de plier sans casser, de rester vivant même quand tout hurle que c’est fini.
Et eux… avaient-ils ce feu en eux ?
Ou allaient-ils s’effondrer comme tant d’autres avant eux ? comme elle .....
100%.
Les images de leur test s’affichèrent.
Ils avaient échoué.
Pas parce qu’ils étaient faibles physiquement…
Mais parce que leur binôme n’avait pas su s’accorder.
Akeshi avait hésité au moment crucial, Taïki avait tenté de forcer une porte qui s’était révélée être un leurre. Le mécanisme de la salle s’était refermé sur eux, et ils avaient perdu leurs précieuses minutes.
Je serrai la mâchoire.
Encore deux fiches rouges.
Le goût amer de l’échec commençait à s’accumuler sur ma langue.
pousieurs heures plus tard.
Après avoir visionné échec après échec, victoire après victoire, nous arrivions à la Salle 66.
Je levai la tête, légèrement curieux.
Leur profil était intéressant.
Et cette fois… ce fut un succès.
Ils s’en étaient sortis.
D’une manière imprévisible, presque chaotique, mais ils avaient réussi.
À leur manière.
Pas proprement, pas “comme dans les livres”, mais en survivants.
Je cochai leur fiche d’un bleu plus appuyé que d’habitude.
Un petit éclat traversa mes yeux fatigués.
Après quelques étirements, je pris la fiche du groupe de la salle 67.
Ryu Kazama, 15 ans lisais- je en haut du dossier.
À première vue, un garçon au physique impressionnant, presque irréel.
Ses traits étaient fins, son regard clair, mais… il dégageait une sorte de naïveté qui me fit douter de ses chances.
D’après le dossier, aucune information avant l’âge de huit ans.
Étrange. Seuls les enfants de familles importantes pouvaient cacher leurs identités ...... Qui etait-il ?
À côté de lui, Nina. 15 ans
Une métisse aux yeux perçants, avec un air froid et hautain.
Elle semblait sûre d’elle, presque trop.
Je reposai la fiche sans grande conviction.
Ils allaient bientôt commencer.
Quelques heures plus tôt
P.O.V : RYU
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