Test
P.O.V : Ryu
CLAC.
Le bruit sec de la porte qui se referma résonna dans l’espace, net, définitif. Ce simple claquement suffit à me figer. Comme si cette porte n’avait pas seulement fermé un passage, mais enfermé quelque chose avec moi.
La peur.
L’angoisse.
Elles ne me laissèrent aucun répit, s’insinuant en moi comme des serpents froids, remontant le long de ma colonne jusqu’à m’enserrer le cœur. Un poids invisible s’écrasa sur ma poitrine. Je peinai à respirer.
Aucun son, aucun murmure. Le silence parut lourd, oppressant. Trop pur pour être naturel.
Cette salle sembla totalement isolée, comme coupée du reste du monde. Je devais entendre des bruits, des voix, des mouvements. Il y avait 99 autres salles, toutes pleines d’élèves. Pourtant… rien. Pas même un écho lointain. Juste ce mutisme absolu, comme si le monde s’était arrêté à cette porte.
Je me demandai ce qu’il adviendrait de ceux qui n’avaient pas réussi à franchir une porte…
Monsieur Yuuto avait utilisé le mot “élimination”. Un terme vague, presque anodin dans sa bouche. Mais ici, il résonna comme une condamnation. Parlait-il d’une simple disqualification, comme dans un tournoi normal, où les perdants rentrent chez eux, la tête basse ? Si c’était ça, alors je voulais être éliminé moi aussi. Je n’avais rien demandé de tout ça.
Mais si ce n’était pas ça… s’ils n’étaient pas simplement exclus, mais… supprimés ?
Je secouai la tête. Non. C’était ridicule. Ils ne pouvaient pas aller jusque-là. Pas vrai ? Pas vrai ?
J’essayai de me raisonner, mais quelque chose clochait dans cette pièce. Une sensation persistante, dérangeante. Comme si je n’étais pas seul. Comme si… j’étais observé.
Je balayai la salle du regard. Mes yeux cherchèrent frénétiquement une caméra, un miroir sans tain, n’importe quoi. Rien. Rien à part ces murs blancs, lisses, froids. Un blanc clinique, stérile. Il n’y avait qu’une seule table au centre. Pas de fenêtres. Pas de décorations. Juste une pièce vide, glaciale. Hostile.
Je n’arrivai pas à me débarrasser de cette sensation. Pourquoi étais-je ici ? Pourquoi moi ?
— Hé.
Je sursautai. Mon cœur rata un battement. Je ne l’avais pas vue. Une voix, calme, assurée.
Je me retournai lentement.
Une fille ?
Elle se tenait là. Immobile. Elle se détachait du décor comme une tâche de couleur dans un monde en noir et blanc. Une jeune fille métissée, la peau d’un brun chaud qui semblait capter la lumière absente. Ses cheveux auburn encadraient son visage en cascades souples, tombant jusqu’à son dos. Elle était belle, indéniablement. Mais ce ne fut pas ce qui me frappa.
Ce fut son regard.
Ses yeux noirs, profonds, me scrutèrent avec une intensité presque oppressante. Arrogants, mais précis. Comme un scalpel.
Elle m’analysa. De haut en bas. Sans gêne, sans détour.
Son corps était fin, souple, mais sa posture trahissait une confiance absolue. Trop assurée. Elle ne sembla pas étonnée d’être ici. Pire : elle sembla attendre cela. Comme si elle savait déjà ce qui allait se passer.
— Je me demandai comment j’avais pu ne pas la voir, pensai-je. Était-ce elle, cette présence que je ressentais ? Si oui… je préférais encore ça aux yeux invisibles.
— Combien de temps comptes-tu rester planté là ? demanda-t-elle, d’une voix calme mais tranchante. C’est quoi, ton nom ?
Son ton fut sec, autoritaire. Aucune trace de politesse, juste une exigence. Comme si j’étais un pion arrivé en retard.
Je bredouillai, pris au dépourvu :
— R… Ryu. Ryu Kazama. Désolé, je… je ne t’avais pas remarquée.
Elle ne réagit même pas à ma gêne. Elle continua de m’observer, sans véritable intérêt. Puis lâcha, laconique :
— Nina. Pour le nom… ça ne te regarde pas.
Je ne lui avais même pas demandé son nom. Nina, hein ? Mignon. Dommage que sa voix l’écorchât comme un couteau sur du verre.
Elle continua, sèche :
— Je pense que ce test se fera en binôme. Au cas contraire, on devra se battre entre nous. Dans tous les cas, ne me ralentis pas. Et rends-toi utile.
Et elle tourna les talons. Comme si tout était déjà décidé. Comme si je n’avais pas mon mot à dire.
Je restai là, un peu con. Mais elle avait raison. Ce n’était pas le moment de rêvasser. J’essayai de me remonter le moral quand une voix mécanique s’éleva, neutre, inhumaine :
— Bienvenue dans le Test des Cent Portes. Ce test se déroule par paire. Votre objectif est simple : atteindre la porte située au fond de la salle.
C’était tout ? Juste ça ? Je fronçai les sourcils. Non. Trop simple. Beaucoup trop simple.
Nina me regarda à nouveau, comme si elle lisait dans mes pensées :
— Tu crois vraiment qu’il suffit de courir et de passer cette porte ?
Elle arborait ce petit sourire, presque moqueur. Et merde. Elle avait raison. Je pensais exactement ça.
— Bien sûr que non… répliquai-je. Et toi, tu penses quoi ?
Elle se mit à marcher lentement, observant les murs, le sol.
— Pièges. Peut-être des créatures. Peut-être autre chose. Mais clairement pas une balade.
Je hochai la tête. Mais une sueur froide coula dans mon dos.
Moi, je n’avais ni arme, ni pouvoir. Comment allais-je faire ? Je n’avais jamais combattu. Je ne savais même pas frapper correctement.
Et puis…
BIP.
Un son strident déchira l’air. Un compte à rebours rouge s’afficha : 15:00.
Clac-clac-clac.
Sans nous laisser le moindre instant de répit, des trappes s’ouvrirent dans un fracas sec. Les murs se mirent à glisser, se reconfigurer. Le décor s’effondra pour laisser place à un cauchemar mécanique : scies rotatives, filets électrifiés, lames montées sur rails, créatures rampantes et sifflantes. Le sol vibra, se déforma. Certaines dalles s’effondrèrent, d’autres surgirent comme des dents d’acier.
C’était l’enfer. Un labyrinthe mouvant. Un piège vivant.
Mon cœur battait à m’en exploser la cage thoracique. Chaque bruit métallique sonnait comme une menace imminente.
Nina, elle, ne broncha pas. Elle s’avança avec une précision clinique, les yeux aux aguets.
Des grilles claquèrent. Des robots surgirent : imposants, bardés d’acier, les bras remplacés par des lames vibrantes. Leurs yeux rouges s’illuminèrent. Ils m’avaient repéré.
— Bouge, Ryu. C’est pas le moment de rêvasser.
Elle franchit un piège qui se referma une seconde plus tard. Millimétré.
Moi ? J’étais planté. Un rayon laser me frôla la joue. Je plongeai au sol, le souffle coupé.
C’était un champ de bataille.
Et j’étais une cible.
Un robot me fonça dessus, d’une rapidité terrifiante. Paralysé une seconde de trop, je roulai sur le côté à la dernière seconde. Le sol explosa derrière moi. Je me redressai, haletant, tremblant.
— Tu t’es enfin décidé à bouger ? lança Nina. Pas mal, pour un novice.
Un novice ?
C’était censé être une blague ? Peut-être. Mais j’en avais rien à foutre. J’avançai. Et elle ? N'etait elle pas une nouvelle dans cet enfer ?
Un piège jaillit qui me sortit rapidement de mon analyse sur Nina . J’esquivai. Non pas par chance. Par instinct.
Un second robot apparut. Plus rapide. Je me glissai sous sa lame, roulai, bondis à nouveau. Mon souffle était court, mon cœur en feu. Mais je commençais à percevoir un rythme. Une logique.
Pas de magie. Pas de miracle.
De la lecture. De l’adaptation. De la survie.
Nina franchit un gouffre hérissé de pointes, équilibrée sur une poutre aussi fine qu’une lame.
— Tu suis, ou tu préfères mourir proprement ?
Je répondis par l’action. Un pas. Puis un autre.
La peur était là, oui. Mais quelque chose naissait dessous.
Une volonté.
Et peut-être… une étincelle de rage.
Je courus. Je bondis. Me glissai sous une lame circulaire. Chaque mouvement était un pari. Chaque pas pouvait être le dernier.
Derrière moi, un piège explosa, projetant des éclats de métal. Trop tard pour esquiver : l’un d’eux se planta profondément dans mon épaule.
— Argh !
Je tombai à genoux. Une douleur blanche me transperça. Mon sang coula, chaud et visqueux.
Je voulus me relever… mais une crampe me saisit le pied. Je baissai les yeux : un éclat de verre avait traversé ma chaussure.
Merde. Impossible de poser ce pied sans hurler.
— Tu comptes crever là ? cria Nina.
Elle revint vers moi, agacée, non pas inquiète. Elle s’accroupit, observa ma blessure, puis déclara :
— L’épaule va tenir. Le pied… tu vas ralentir. On s’adapte.
— Tu vas m’abandonner ici, c’est ça ? soufflai-je, la gorge nouée.
Elle me fixa, un sourcil levé.
— Tu me prends pour qui ? Si tu crèves, je crève aussi. On est liés pour ce test, abruti. Alors ferme-la et écoute.
Elle déchira un bout de tissu de son haut, serra mon épaule pour stopper l’hémorragie. Puis, sans prévenir, arracha l’éclat de verre. Je hurlai. Elle, impassible.
— Il reste cinq minutes. T’as intérêt à tenir. Tu bouges quand je te le dis. Rien d’autre.
— Tu… tu t’en sors trop bien, grinçai-je. Tu connaissais ce genre de terrain ?
— Non. Mais regarde bien. Elle désigna les murs. Chaque piège suit un ordre. C’est pas une tuerie aléatoire. C’est une partition.
Je restai interdit. Elle lisait ce chaos comme un chef d’orchestre. Elle ne survivait pas. Elle dansait avec la mort.
Je me relevai, en boitant. Chaque pas était un supplice, mais j’avançai.
Nina traçait la route. À chaque piège, sa voix tranchait l’air :
— Maintenant. Stop. À droite. Saute.
Elle avait transformé l’enfer en chorégraphie.
Moi, j’étais un pantin suspendu à ses ordres.
Un robot surgit. Haut comme deux hommes, rapide comme un éclair. Il chargea.
— Protège-toi ! hurla-t-elle.
Je levai les bras… mais elle avait déjà bougé.
Elle activa volontairement une dalle piégée. Une trappe s’ouvrit. Le robot tomba, broyé dans un cri métallique.
Elle me lança un regard, haletante.
— Ce test, c’est pas pour tester ta force. C’est pour tester ton cerveau.
Je hochai la tête, vidé, essoufflé. Message reçu. Trop tard pour faire demi-tour, mais pas trop tard pour survivre.
La porte approchait. Le compte à rebours indiquait 00:37.
— Dernier sprint.
Je courus. Boitant, hurlant intérieurement, mais je courus.
On se jeta ensemble vers la sortie. Une explosion fit trembler les murs.
Et, dans un fracas de ferraille… la porte s’ouvrit.
On s’effondra de l’autre côté.
Enfin… je m’effondrai. Haletant, à genoux, le front trempé de sueur, le souffle arraché à mes poumons comme si j’avais couru pendant des heures sans fin.
Essoufflé. Brisé. Écrasé par l’adrénaline.
Mais elle… Nina se tenait droite, impassible, le regard fixé vers l’avant. Aucune trace de fatigue sur son visage. Juste cette posture, presque arrogante, comme si son corps refusait de flancher. Comme si, à travers ce simple geste, elle voulait prouver qu’elle allait bien. Qu’elle maîtrisait la situation.
Et pendant que je luttais pour reprendre mon souffle, pour simplement comprendre ce qui venait de se passer, une seule pensée me traversa l’esprit :
Nous étions vivants.
Alors que je tentais encore de comprendre ce qu’il venait de se passer, le souffle court, le cœur battant à tout rompre, une silhouette s’approcha lentement dans le couloir aseptisé. Un homme, en costume noir parfaitement ajusté, lunettes teintées masquant son regard, s’arrêta à quelques pas de nous. Il tenait un petit calepin dans lequel il nota calmement quelques observations, sans un mot.
Chaque geste était mesuré, mécanique, comme s’il répétait une routine apprise depuis longtemps. Puis il leva les yeux dans notre direction, et, d’un doigt, effleura l’oreillette vissée à son oreille.
Un bref silence s’installa. Il sembla écouter quelqu’un au bout du fil, hochant légèrement la tête, toujours impassible.
Enfin, sa voix s’éleva. Froide. Détachée. Professionnelle.
— Test réussi.
Pas une once d’émotion. Pas un sourire. Comme s’il venait simplement de confirmer la livraison d’un colis. Pas comme si deux adolescents venaient de risquer leur vie dans un labyrinthe mortel.
Je le fixai, encore à moitié au sol, hagard. Ce fut tout ? Test réussi ? Pas un mot sur les blessures, sur le sang, sur la douleur ? Pas même une once de reconnaissance ?
Nina, elle, ne broncha pas. Elle se releva sans un mot, passa à côté de l’agent comme s’il n’existait pas.
Moi, je restai là. Parce que dans sa voix, je venais d’entendre quelque chose de bien plus glaçant que les pièges de la salle.
Ce monde… n’avait rien d’un jeu.
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