Enjeux 

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— Félicitations, vous avez réussi le test.

La voix résonna dans la grande salle blanche, froide et impersonnelle. Un écho sans émotion, presque mécanique.

— Sur les trois cent trois élèves enregistrés, deux cents ont participé… et seulement cent trente-six ont réussi. Elle poursuivit, implacable.

Cent trente-six…

Ce chiffre me frappa de plein fouet.

Plus d’un tiers n’avait même pas eu la chance d’essayer : il n’y avait que cent portes, chacune ne prenant qu’un seul binôme.

Et parmi ceux qui ont pu tenter leur chance, un grand nombre a été laissé sur le carreau.

Un tri brutal. Froid. Inhumain.

Un seul faux pas, et c’était terminé.

On nous sélectionnait comme des produits sur une chaîne de montage.

Efficacement. Froidement. Sans remords.

Je me tenais là, parmi les survivants, dans cette salle immaculée, presque douloureuse à regarder. Une blancheur clinique. Celle d’un hôpital… ou d’un laboratoire.

Dès que nous avions terminé le test, Nina et moi, un agent nous avait accueillis. Il nous avait annoncé que nous avions réussi, et nous avait conduits dans la salle où je me trouvais à présent.

À peine entré, mon regard fut attiré par plusieurs personnes en blouses blanches. Elles s’affairaient autour d’élèves en uniforme scolaire, tous différents, allongés ou assis.

Certains semblaient simplement épuisés.

D’autres saignaient, tremblaient, ou peinaient à respirer.

Un médecin s’approcha de moi dès qu’il me repéra. Sans un mot, il sortit un petit appareil cylindrique émettant une lumière bleue, qu’il fit glisser sur mes blessures : une entaille profonde à l’épaule, une coupure au pied.

En quelques secondes, une fraîcheur anesthésiante s’étendit sur ma peau… puis plus rien.

Plus de douleur. Plus de brûlure.

Comme si je n’avais jamais été blessé.

Je restai figé.

Qu’est-ce que… ? Un pouvoir ?

Autour de moi, les autres semblaient tout aussi stupéfaits. Certains touchaient leur peau guérie, comme pour s’assurer qu’ils ne rêvaient pas.

Ce n’était pas de la médecine avancée.

C’était autre chose.

Une guérison… presque surnaturelle.

Après ce court moment de stupeur, des hommes en costume noir firent leur apparition. Lunettes teintées, visages impassibles, postés dans les coins.

Les médecins, eux, quittèrent la salle sans un mot.

Gardes ? Geôliers ?

Impossible à dire.

Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi moi ?

Je n’arrêtais pas de me le répéter intérieurement.

Pendant des heures, rien ne se passa.

On attendait. Sans repères. Sans horloges.

Sans même un rayon de lumière naturelle.

Juste cette lumière blanche continue…

Et ce silence oppressant.

Au bout d’un moment, certains élèves commencèrent à se regrouper.

Les extravertis brisaient le silence, tentaient de discuter. Peut-être pour se sentir moins seuls dans cet endroit inconnu…

Moi, j’étais seul.

Nina s’était éloignée dès notre arrivée. Elle s’était assise dans un coin, à l’opposé. Comme si elle m’évitait.

Fatigue ? Besoin de solitude ?

Je n’en savais rien.

Mais à cet instant, j’ai ressenti un vide.

Un isolement total.

Je pensais à Tetsu et à Hiragi.

On discutait dans la cour, juste avant mon enlèvement…

Leur est-il arrivé quelque chose ?

Ont-ils disparu de l’école, eux aussi ?

Ces questions tournaient en boucle dans ma tête.

Mes paupières commençaient à s’alourdi quand Monsieur Yuuto Takeda fît enfin son entrée comme si…

La voix grave de l’homme imposant qui nous a amenés ici sans permission me tira de récapitulatif intérieur des derniers événements :

— Ce n’était pas facile, je le sais, mais vous y êtes arrivés déclara-t-il.

Il marchait lentement devant nous, les mains croisées dans le dos.

Son regard était distant, presque absent.

Un discours visiblement bien rodé.

— Je m’excuse pour l’attente. Je vais maintenant vous exposer votre rôle au sein de cette académie.

Qu’est-ce qu’il va encore nous sortir ? Je suis épuisé mentalement et physiquement

— Vous êtes à l’Awakened Japan Academy, reprit-il. Comme je vous l’ai dit plus tôt, a votre arrivée ici

Il s’arrêta un instant, balaya la salle du regard, puis continua :

— Ici, nous ne formons pas de simples élèves. Nous façonnons l’élite. Les futurs piliers de ce pays. Ceux qui, demain, garantiront sa stabilité et sa grandeur.

Des piliers ?

À l’entendre, nous n’étions plus des adolescents…

Mais des briques dans un édifice.

Des pièces dans un puzzle qu’ils construisent selon leur volonté.

— Votre quotidien sera totalement restructuré. Vous découvrirez la réalité cachée derrière les apparences, les discours et les sourires des puissants. Une vérité plus brutale qu’un coup de poing.

Un frisson me parcourut l’échine.

De quoi il parle, là ?

— Vous resterez dans cet établissement entre deux et trois ans. La durée dépendra de votre potentiel et de vos résultats. Continua-t-il

Deux ans… ? Trois ?

Je n’avais rien demandé. Et me voilà… prisonnier.

— Vous logerez dans les dortoirs, avec tout le confort nécessaire à vos performances.

Du confort… pour des détenus.

Il ne nous laissa même pas le temps de digérer la nouvelle et reprit, tout en chassant une poussière invisible de sa tenue :

— Enfin, vous suivrez des cours théoriques sur le fonctionnement du monde que vous venez d’intégrer, et vous vous entraînerez avec des instructeurs spécialisés : combat, stratégie, maîtrise de l’énergie, et plus encore.

Le fonctionnement du monde… ? Mais qu’est-ce que j’en ai à voir, moi ?

Des entraînements ? Du combat ?

Je ne sais même pas me battre.

Je n’ai jamais frappé quelqu’un de ma vie.

Même lever le poing… je ne sais pas comment faire.

Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?

Il ajouta, d’un ton neutre :

— Des questions ?

J’aurais aimé hurler. Exiger des réponses.

Mais ma gorge était nouée.

J’aurais voulu demander : “Pourquoi moi ?”

Mais aucun mot ne sortait.

Une voix féminine, tremblante me devança

Elle appartenait à une fille au visage doux et expressif, dont les grands yeux verts, légèrement arrondis, trahissaient une peur silencieuse. Cette crainte lui donnait un air à la fois fragile et innocent. Ses sourcils, fins et soigneusement dessinés, soulignaient l’harmonie de ses traits, tandis qu’une frange asymétrique encadrait élégamment son front. Ses longs cheveux noirs, tirés en une haute queue de cheval, mettaient en valeur la finesse de son visage. Elle semblait avoir mon âge, peut-être un peu plus jeune.

— J’ai été enl…..envoyée ici en même temps que ma copine… mais je ne la vois pas !

Elle poursuivit, sa voix éraillée :

— Où… où est-elle ?

Elle serrait sa jupe si fort que ses phalanges en blanchissaient.

Monsieur Takeda resta impassible. Il consulta sa tablette, puis répondit d’un ton plat :

— Elle a été éliminée. Comme toutes les personnes absentes ici.

Un silence glacial tomba.

Une chape de plomb.

La jeune fille blêmit.

— É… éliminée… dans quel sens ?

demanda-t-elle, la voix brisée.

Monsieur Takeda plongea son regard dans le sien.

Sa voix tomba, froide, sans colère ni compassion :

— Elle. A. Été. Tuée.

Le temps sembla se figer.

L’air lui-même se fit plus lourd.

Tuée ?

Il a vraiment dit ça ?

Pas “blessée”. Pas “renvoyée”.

Non. Tuée.

La jeune fille s’effondra.

Des larmes silencieuses ruisselaient sur ses joues.

Ses épaules tremblaient.

Ses doigts restaient crispés sur sa jupe.

Le silence se fit plus pesant.

Aucun mot. Aucun geste.

La mort… c’est irréversible. Et si elle a été tuée… alors, parmi plus de trois cents élèves, plusieurs ont disparu. Combien de vies ont-ils prises au juste ?

Nous le redoutions depuis la première mention du mot “élimination”…

Mais l’entendre ainsi, sans détour, pulvérisait nos derniers espoirs.

Je scrutai les visages : Certains peinaient à respirer. D’autres fixaient un point invisible.

Monsieur Takeda, lui, restait de marbre.

Les agents en costume noir, derrière lui, demeuraient impassibles. Cravates nouées à la perfection, lunettes teintées, oreillettes vissées aux oreilles. Ils ressemblaient à des statues. Ou à des machines.

Aucune émotion.

Aucune réaction.

Leur seule présence me glaçait.

Des geôliers déguisés en surveillants.

Un cri fusa :

— C’est quoi ce délire ?!

Tous les regards se tournèrent vers un garçon.

Grand, athlétique, cheveux bruns et courts, le regard brûlant de rage.

— Vous croyez qu’on va écouter vos conneries sans rien dire ?! hurla-t-il. T’as tué des élèves ! Des gosses comme nous ! Et tu veux juste enchaîner comme si c’était normal ?!

Il serrait les poings, les veines saillant sur ses larges bras.

— Moi, j’m’en fous de vos règles ! Je me casse d’ici ! Cria l’adolescent en s’avança vers la porte.

Monsieur Takeda le regarda calmement et déclara :

— Tu veux partir ?

— Ouais. Et je vais pas demander la permission.

Takeda soupira. Las.

Comme un adulte face à un enfant capricieux.

— Alors vas-y. La porte est là.

Il désigna la grande porte métallique derrière nous.

Le garçon hésita un instant, surpris. Puis il avança.

On le suivait tous du regard, le cœur au bord des lèvres.

Il jeta un dernier regard vers nous, puis se remit en marche.

D’un pas décidé, il tendit la main vers la poignée.

Un sourire provocateur au coin des lèvres.

— Ciao, les tarés.

Un clic.

Un bruit sourd.

Un bip rouge.

La poignée ne tourna pas.

Il fronça les sourcils. Réessaya.

Rien.

— Quoi… ?

Un des agents en noir s’avança.

Juste un pas

Deux pas

Trois pas.

Le garçon recula, mains levées.

— Hé ! Qu’est-ce que tu fais ?! J’ai rien fait, OK ?! J’veux juste partir !

Pas de réponse.

L’agent leva la main.

Une lumière étrange s’accumula dans sa paume.

Un tourbillon noir.

Le garçon n’eut même pas le temps de crier.

Un flash.

Un impact.

Son corps vola contre le mur comme une poupée de chiffon.

Un cri étouffé résonna.

Le garçon aux cheveux couleur café ne bougeait plus.

Son torse se soulevait… à peine.

Une traînée de sang coulait le long du mur.

Monsieur Takeda reprit, d’un ton toujours aussi calme :

— Je vous avais dit que vous ne pouviez pas sortir. Et que vous êtes ici parce que vous avez survécu.

N’en déduisez pas que cela fait de vous des intouchables.

Il se tourna vers le corps au sol :

— Soignez-le. dit-il en notant quelque chose sur sa tablette. Il servira d’exemple.

Deux agents s’approchèrent.

Ils le soulevèrent comme un vulgaire sac.

Plus personne ne respirait.

Même moi, j’étais figé. Mon cœur cognait violemment dans ma poitrine.

J’avais compris.

On avait tous compris.

Ce n’était pas une école.

C’était une prison.

Un camp d’entraînement.

Un endroit sadique, où la moindre erreur coûtait plus que des points.

Je baissai les yeux.

Et cette question revint, encore plus violente, me transpercer l’esprit :

Qu’est-ce que je fous ici ?

Le garçon disparu, la salle retomba dans un silence étouffant.

Monsieur Takeda balaya l’assemblée du regard, comme s’il observait du bétail.

— Maintenant que ce petit… contretemps est réglé, dit-il en tapotant sa tablette en main , nous allons commencer la visite de l’académie.

Il fit un léger signe de tête.

Les portes latérales s’ouvrirent dans un souffle mécanique.

Une dizaine d’agents, vêtus de la même tenue que ceux déjà présents, surgirent et formèrent deux lignes parfaitement alignées.

Pas un mot. Pas un sourire.

Que du silence.

Que du contrôle.

-Veuillez suivre les guides. Chaque groupe en aura un. Restez bien groupés et, par pitié, ne posez pas de questions inutiles.

Personne ne bougea.

Monsieur Takeda haussa un sourcil.

— Vous avez peur ? Tant mieux. Ça veut dire que vous êtes encore en vie, lâcha-t-il avec un sourire sinistre avant de tourner les talons et quitter la pièce.

Les agents, eux, commencèrent à nous regrouper. Lents. Méthodiques. Ils nous forçaient à les suivre.

**************

J’étais allongé sur ce qui allait devenir, pour les prochaines années, mon lit. Un lit simple. Trop parfait. Draps tirés au cordeau, oreiller moelleux mais sans chaleur. Tout dans cette chambre semblait me murmurer : tu n’es pas chez toi, et tu ne le seras jamais.

La visite de l’académie m’avait vidé. Comme si chaque pas dans ces couloirs brillants m’arrachait un peu plus à moi-même.

Juste après avoir quitté le hall où nous étions tous réunis, nous avons été répartis en groupes, chacun guidé par un agent. Le nôtre nous a entraînés dans un couloir impeccable, éclairé par des lumières blafardes incrustées au plafond.

La visite avait commencé par les salles de classe. Ce n’étaient pas des salles normales. Non. De vastes pièces blanches, sans âme, comme arrachées à un futur froid. Les murs étaient lisses, presque brillants. Des écrans larges étaient accrochés sur les parois, comme des juges silencieux.

À la place des pupitres habituels, il y avait des bureaux modulables, connectés, capables de s’adapter à la taille et aux besoins de chaque élève. Chaque table était alignée avec une précision presque militaire, accompagnée de sièges en métal et cuir synthétique. Au fond, un tableau tactile prenait presque toute la largeur du mur.

Ma stupeur s’était vite effacée, remplacée par une légère angoisse, quand nous avions quitté les salles pour emprunter un escalier étroit qui descendait.

Un sous-sol ? Généralement, ce genre d’endroit… c’est là qu’on se débarrasse des indésirables, ai-je pensé, un frisson dans le dos.

Mais rien de tel ne s’est produit. À la place, nous avons débouché sur une salle immense : les salles d’entraînement. C’était colossal. Plusieurs zones, comme autant de champs de bataille artificiels.

Une section dédiée au combat rapproché. Une autre à l’entraînement aux armes. D’autres encore pour les simulations de missions — d’après les panneaux qui flottaient en hologrammes pour nous guider.

L’agent a activé un simulateur sous nos yeux. Le sol a tremblé légèrement, puis un décor complet a surgi. Des ruines brûlées, une brume artificielle, des ennemis projetés en hologrammes… et même une odeur métallique, presque du sang.

Une élève derrière moi a vacillé. Elle a dû s’appuyer au mur.

Je n’ai rien dit. Mais je comprenais. Cette académie ne se contentait pas de former l’esprit. Elle comptait broyer les corps. Cette salle… c’était une promesse.

On allait souffrir.

Après cela, nous sommes remontés, mais pas par le même chemin. L’académie est un vrai labyrinthe, avec des couloirs partout.

Nous avons atterri dans un réfectoire. La seule pièce qui, étrangement, me mettait un peu à l’aise.

Un plafond haut, des grandes vitres laissant entrer une lumière douce. De longues tables en bois sombre, lustrées comme si personne ne s’y était jamais assis. Des bancs propres, bien espacés. Au fond, un grand comptoir aux lignes épurées, où flottait une douce odeur de pain chaud et de soupe. C’était sobre, mais beau. Comme si le lieu essayait de nous faire oublier, l’espace d’un instant, l’endroit où nous étions vraiment.

Ensuite, nous avons été conduits vers une petite salle à part. Sur la porte, il y avait une inscription : Salle d’isolement.

Rien qu’en la lisant, j’ai eu un frisson. Une porte lisse, en métal gris mat. Pas de poignée. Juste un petit écran rouge qui affichait : off.

Le guide s’est arrêté net. Il nous a fixés un à un, lentement. Son regard pesait.

— C’est pour les indisciplinés. Les bavards. Les curieux. Ceux qui croient encore que poser des questions est un droit.

Personne n’a répondu. Et pour la dixième fois depuis notre arrivée… je crois que personne n’a réussi à respirer. Moi y compris.

Après ça, l’agent nous a attribué nos chambres. Puis il est parti, après quelques mots ,des ordres strictes donner

Sortant de mes ruminations, j’ai fait un tour rapide de ma chambre. En comparaison du reste de l’académie, elle semblait presque accueillante. Presque.

Un lit adossé au mur. Un bureau métallique sans charme. Une table basse en verre noir, immobile comme un miroir d’eau. Une armoire vide, aux angles nets. Tout était droit, froid, sans surprise.

La salle de bain, coincée dans un coin, brillait d’un blanc éclatant.

Ils ont une obsession pour cette couleur…, me suis-je murmuré.

J’ai jetter un coup d’œil rapide sur ma droite où étais poser des uniformes posé comme sur un cadavre en attente,

Deux tenues, soigneusement pliées.

L’une pour les cours théoriques : veste noire, col haut, boutons d’argent. Un blason brodé à gauche. Tissu rigide, luxueux. Presque royal.

L’autre pour l’entraînement : plus souple, plus technique. Bleu nuit, des lignes grises aux articulations. Une armure légère intégrée dans les fibres. On aurait dit que la tenue elle-même évaluait son porteur.

Magnifiques.

Mais je n’avais pas envie d’y toucher.Comme si les enfiler, c’était dire oui à tout ce que je venais de voir. Pourtant je le devait.

Après la visite, l’agent nous avait donné des ordres simples :

“Douche. Uniforme. Réfectoire. Dîner. Pas un mot.”

Soupirant, je me suis levé lentement vers la salle de bain blanche ,une douche simple : plaque de sol, paroi transparente, un petit panneau de commande numérique.

Mon regard s’est accroché au miroir accroché au mur de la petite pièce. Il y avait ce reflet, là, en face de moi. Silencieux. Droit.

Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre que c’était moi.

Enfin… ce qu’il en restait.

Après m’être déshabillé enlevant l’uniforme d’école que j’avais sur moi, je suis rentré directement sous l’eau, la tête baissée, les bras contre les parois. Le carrelage froid dans mon dos, la douche grinçait dès que je tournais un peu trop le robinet, et une goutte tombait régulièrement du plafond. Comme un métronome. Comme pour me rappeler que j’étais bien réveillé.

Je me frottais machinalement les bras, le torse, sans penser à rien. Pas de savon parfumé ici. Juste… l’odeur du propre.

Un propre sans âme.

Je suis sorti, encore un peu humide. J’ai attrapé la serviette rêche posée sur le lavabo et me suis essuyé rapidement, sans y mettre de soin. Puis j’ai tourné les yeux vers mon uniforme d’entraînement, toujours là, posé sur le lit.

Je n’avais rien d’autre.

Alors je l’ai enfilé.

Ai-je le choix même ?

Le tissu était serré, solide. Il épousait les lignes du corps, sans fioritures. Bleu sombre, marqué à certains endroits par des renforts discrets. Rien de tape-à-l’œil. Mais on voyait que c’était du sérieux.

Je me suis approché du petit miroir de la douche à nouveau, comme pour me rassurer que j’étais toujours moi même

Je m’y suis regardé, longtemps.

Mes cheveux noirs étaient dans un état lamentable. Longs, trempés, ma natte pendait comme une corde effilochée. À moitié défaite, gonflée par l’humidité.

J’avais l’air d’un gars sorti d’un orage… ou d’une bagarre.

Ou des deux.

— Super… soufflai-je, à moitié amusé, à moitié lassé.

Mais je n’ai pas pris le temps de les recoiffer. Ni de les détresser. Pas ce soir. Pas maintenant.

Ils nous avaient donné rendez-vous au réfectoire pour le premier dîner. Et je sentais déjà que ce dîner, comme tout ici, allait être plus une épreuve qu’un moment de repos.

Je quittai ma chambre d’un pas lent, prenant la peine de fermer à clé.

Le couloir était silencieux, tapissé de murs gris et d’un sol carrelé pâle. Chaque porte portait un numéro. Le mien… je ne m’en souvenais déjà plus.

Je descendis les escaliers en béton, croisant quelques élèves épars, tous vêtus comme moi : l’uniforme d’entraînement sombre, sobre et fonctionnel.

Le chemin jusqu’au réfectoire n’était pas long.

Il suffisait de suivre les panneaux, descendre deux étages, longer un couloir vitré. Dehors, il faisait déjà nuit, et le ciel semblait plus noir qu’ailleurs. Heureusement, les vitres et les fenêtres nous permettaient encore de deviner l’heure, grâce à l’obscurité ou à la lumière qu’elles laissaient entrevoir.

Je pouvais ainsi dire qu’il était plus de 22h

Quand je suis arrivé , les portes du réfectoire étaient grandes ouvertes.

La salle immense, comme lors de la visite. Juste l’essentiel. Rien de trop rien de moins

En balayant la pièce du regard, je vis que tous les autres avaient aussi enfilé leur uniforme d’entraînement. Même les filles.

Le leur était similaire, mais adapté : manches trois-quarts, ceinture plus fine, col légèrement relevé. Le tissu soulignait leurs mouvements, sans jamais paraître fragile. Chez certaines, comme chez les sirènes, il semblait presque vivant tant il épousait chaque geste.

Mais personne ne paradait. Pas ici. Pas dans cet enfer qu'etait notre nouvelle maison.

Je me dirigeai vers la file du self. Tout était automatisé. Des bras mécaniques déposaient les plats avec une précision chirurgicale. Et pourtant, le contenu avait tout d’un repas de roi :un filet de viande parfaitement cuit, nappé d’une sauce brune légèrement épicée, des légumes colorés aux arômes relevés, une purée douce comme de la soie, et un petit pain chaud, encore croustillant.

Un dessert attendait à la fin du plateau : une part de tarte aux fruits, brillante, presque irréelle.

De quoi faire oublier le reste. Presque.

Plateau en main, je me retournai. Je cherchais une place. Mon regard glissa d’un banc à l’autre. Certains visages m’étaient déjà familiers. D’autres, pas du tout.

Je cherchai Nina du regard, vu qu’elle était la seule que je connaissais un minimum.

Mais je ne l’ai pas vue.

Je repérai une table vide, un peu à l’écart, et m’y installai sans un mot. Je posai mon plateau, m’assis lentement.

J’observai la salle.

Beaucoup mangeaient tête baissée. D’autres chuchotaient entre eux.

L’ambiance n’était pas à la fête.

Puis, quelques secondes après m'être posé des bruits de pas s’élevèrent. Un groupe entra. Ils étaient cinq, unis, soudés.

Déjà un groupe formé ? me suis-je demandé, surpris.

Ils avançaient avec une certaine aisance… presque un naturel dérangeant. Pas un mot entre eux. Mais ça se voyait : ils se connaissaient déjà.

Ou alors… ils s’étaient choisis durant l’attente dans le hall.

Leur leader — ou du moins celui qui marchait devant — avait une allure détendue, presque imsouciante.

Cheveux noirs en bataille, sourire discret au coin des lèvres.

Il regardait la pièce comme s’il venait de la découvrir

Je suivais ses gestes sans vraiment m’en rendre compte.

Un clignement d’yeux, un instant d’inattention, et il n’était plus là.

Mon regard balaya la pièce, instinctivement.

Je le retrouvai devant le self, plateau en main.

Et avant même que je comprenne ce qu’il faisait, il se dirigeait droit vers ma table.

Sans demander, sans hésiter. Il tira le banc en face de moi, s’y installa tranquillement, et posa son plateau avec une lenteur presque théâtrale.

Il me fixa un court instant, puis lâcha calmement:

— C’est pas mal ici. T’as bien choisi ta place.

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