Les peuples

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 Jessie Thelma Supine était assise sur un rocher, au milieu d’un village Chacta à plus d’une centaine de miles de Guthrie et du West Royale. Les remords tournaient dans sa tête, alors elle acceptait pour s’occuper l’esprit de passer dans ses boucles brunes les plumes que lui ramenaient les enfants ; son visage était presque devenu celui d’une cheffe indienne, lorsqu’un homme de la tribu vint à sa rencontre.

— Tu es une camarade de Matilda ? s’enquit celui-ci dans un anglais approximatif.

 Elle hocha la tête, sans relâcher sa vigilance.

— Une amie d’enfance.

 Les indigènes venaient parfois dans son établissement. Ils n’étaient pas parmi les pires clients, mais avaient tendance à boire trop et à regarder les Blancs avec ressentiment – ce que Jessie ne leur reprochait pas, cela dit. En général, ils se cantonnaient à leurs contrées (celles où les européens les avaient exilés), et s’en portaient probablement mieux de la sorte.

 L’homme devant elle n’était pas très grand, il avait le visage honnête et de longs cheveux noirs tressés dans le dos. Son torse, nu, était sculpté par la chasse et la poussière des plaines, couvert d’égratignures causées par de longues heures à ramper dans les hautes herbes. Les enfants qui avaient adopté Jessie en lui offrant des plumes s’amusèrent à lui courir autour avant de fuir en riant vers leur tipi.

— Ils t’aiment davantage qu'elle, remarqua-t-il.

 La prostituée hocha du menton, trop consciente de sa tenue et de sa peau claire comme la lune qui se levait sur le ciel du soir, révélant les courbes et les avantages de son corps au milieu de cet environnement inopportun.

— Tu n’as pas besoin d’être si farouche, s’amusa le Chacta. Je suis Hattak, le compagnon de chasse de Nashoba. Sois sans crainte, je ne laisserai faire aucun mal à l’amie de son épouse.

 Cette formulation pouvait signifier qu’il se montrait près d'elle afin de la protéger d’éventuels revanchards, ou bien qu’il n’aurait pas levé le petit doigt si ce n'était pour l'honneur de son compagnon. Pourtant, l’indien affichait un sourire simple et franc qui valurent à Jessie de laisser ses épaules exposées se déraidir : elle connaissait assez bien les hommes pour lire leurs intentions à travers la sueur de leur front, et celui-ci ne comptait pas se jeter sur elle – pour l’instant, car si elle avait aussi appris une chose sur ces créatures, c’est qu’ils pouvaient changer d’un coup d’humeur en apercevant une cheville, un balancement de hanches involontaire ou un sourire un peu trop charmeur.

— Matilda n’est pas très appréciée, par ici… hasarda la prostituée.

— Plutôt détestée, oui. C’est parce qu’elle ne respecte pas notre culture.

— Je commence à croire qu’elle ne respecte pas grand-chose.

 Hattak sembla réfléchir un instant. Autour d’eux, d’autres membres de la tribu s’agitaient, et Jessie en venait à ne plus pouvoir les distinguer dans la pénombre qui s'étirait sur les montagnes. L’agitation du village provenait à présent du gros feu de camp au centre de la plaine, celui qui crépitait déjà de toutes ses flammes avant même que la nuit tombe.

— Le peyotl qu’elle veut récupérer… reprit le chasseur. Il s’agit d’un ingrédient sacré pour nous. Il provient du Sud et sert aux rites de divination. Une peau-pâle n’est pas digne de mettre la main dessus, en temps normal. Même nous, puisque nous ne sommes pas des chamans, nous n’avons pas le droit.

— Je suis désolée si Matilda vous a causé du tort.

 Jessie se risqua alors à soutenir un instant le regard de l’indien. Elle y lut quelque chose comme de l’intérêt, le même qu’elle aurait éprouvé pour un client capable de la faire jouir – l’impression d’être en face d’un spécimen unique en son genre.

— Tu n’es pas comme elle, se contenta-t-il d’admettre.

 Puis il reporta son attention sur la butte derrière eux :

— Les revoilà.

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