Purification

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 Jessie trempa la cheville dans le cours, l’eau glaciale faisant remonter des vagues de frissons jusqu’à sa cuisse. Elle rabaissa aussitôt ses jupons et recula de quelques pas, comme si la rivière était un animal qui venait de la mordre. Un peu plus loin, les femmes Chactas l'observaient avec une curiosité perplexe.

 Car Jessie avait insisté pour les suivre aux premiers rayons du soleil, afin de se rafraichir avec elles dans la nature. Deux jours de galop à porter cette robe de courtisane avaient épuisé ses charmes : dans sa profession, après tout, on prenait soin de son corps. Mais en réalité, la prostituée souhaitait surtout passer davantage de temps avec les habitantes du village. Son expertise à cerner les caractères de ses employées ou de ses clients lui avait fait entrevoir la force de ces femmes là, et elle s'était vite rendu compte que dans cet environnement, elle était celle qui devait apprendre et écouter.

 Pour commencer, la chaleur du Sud cognait déjà fort sur l’Oklahoma et ses plaines arides ; une baignade à la fraiche ne devait donc pas être si difficile. La brune inspira pour prendre son courage en mains, puis se libéra des lacets et des lanières de son corset. Elle laissa la tenue sale glisser de ses épaules, sur ses orteils presque ensevelis dans la terre tiède, près de ses bottines alignées. Lorsqu'elle exhiba ses seins pâles, à la manière d'une grappe de fruits qui se balança tandis qu’elle défaisait la ceinture de sa culotte bouffante, les indiennes abandonnèrent leurs airs sévères et ne ratèrent rien du spectacle. Elles suivirent de leurs yeux noirs les taches de rousseur hypnotiques qui éclaboussaient la chair nue, le nombril comme une pupille au milieu du ventre blanc, le triangle de peau sombre entre les cuisses... Et Jessie sentit leur attention sur chaque parcelle de son corps, et elle songea que les Chactas étaient aussi intriguées par sa différence qu'elle l'était par la leur.

 Les pointes de sa poitrine devinrent des lances lorsqu’elle entra dans l’eau, mais elle se mordit les lèvres et résolut de s’enfoncer dans le ruisseau jusqu’aux épaules, ainsi que ses étranges spectatrices. Les villageoises hochèrent alors du menton : visiblement, aucune Blanche n'avait encore jamais entrepris de suivre leurs coutumes de la sorte.

— Tu es belle, lança l’une des doyennes un peu plus tard, dans un anglais tâtonnant.

Jessie séchait désormais à leur côté, son dos nu et perlé de goutellettes face aux nuages.

— Pas de la beauté de votre peuple, renchérit une seconde. C'est ton âme qui rayonne, tu la laisses s'ouvrir et nous pouvons te comprendre sans parler ta langue ou écouter tes mots. Ton cœur embrasse le monde.

 Les vieilles femmes, à la face fripée comme des dattes, se tenaient en cercle autour de l'étrangère. D'autres villageoises plus jeunes écoutaient, et les fillettes couraient sur les berges de la rivière en projetant des éclaboussures glacées dans leur sillage. Jessie voyait sur chacun de leur visage celui de ses protégées du West Royale, et alors elle avait aussi l'impression d'avoir sa place parmi elles.

— Nashoba était comme ça autrefois, conclut avec regret la Chacta qui avait parlé la première. Avant de s'aventurer vers le pays des Blancs... Jamais je n'aurais cru qu'il existait parmi eux un esprit comme toi.

 Puis elles posèrent leurs mains sur les bras, les jambes ou les mèches noires et trempées de la prostituée, et cette dernière eut ainsi l'impression d'avoir toujours fait partie d'elles, de leur magie et de leur mysticisme profond. Une petite fille lui sourit :

— Si tu regardes Matilda avec ces mêmes yeux là, alors je la trouve déjà un peu plus belle, elle aussi.

 En rentrant du bain matinal, Jessie avait rejeté sur ses épaules les tourbillons encore ruisselants et chatoyants de ses cheveux. Elle s'était fait offerte une longue jupe brune qu'elle avait nouée autour du bassin, fabriquée en cuir et décorée de bijoux de pierre par les Chactas, surmontée d’un haut de jute tressé qui laissait apparaître son nombril ainsi que ses bras nus. La robe et le corset froissés étaient restés au bord du cours d'eau.

 Lorsque Matilda, depuis la selle de son Appaloosa volé, vit arriver cette femme qui était à la fois la patronne du West Royale et l'amie des indigènes, elle haussa des sourcils incrédules. Peut-être, pour la première fois, jalouse.

 Puis elle la hissa à bout de bras sur sa monture, et elles partirent ensemble au galop vers l'intérieur des contrées indiennes.

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