La Grande Dame

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 Helen jeta la robe blanche sur le lit, d’un geste impérieux, par-dessus la pile d’autres belles tenues qu’elle avait déjà sélectionnées dans l’armoire. Elles étaient trop petites, bien-sûr, mais rien qui doive l’empêcher de rêver : un jour la verrait vieille, et sa haute stature assez rabougrie pour qu’enfin lui aillent toutes ces fantaisies féminines si désirables. Quoiqu'elle doutait sérieusement de jamais revêtir celles-ci. Beaucoup trop vulgaires. Helen était une grande dame, dans tous les sens du terme, et on ne réduisait pas une grande dame à si peu de tissu.

— C’est frivole, soupira-t-elle. N’as-tu donc rien d’un peu plus digne à te mettre sur le dos ?

 Recroquevillée dans un coin de la pièce, en nuisette à dentelles qui laissait transparaître sa chair rose, la jeune fille tenait son poignet brisé de ses doigts tremblants. Son regard noir coulait sur ses joues, sans pourtant rien enlever au caractère enfantin de ses traits.

— Ne me donne pas de ce minois, j’essaye de te couvrir pour t’épargner d’être embarrassée devant moi. Je ne t’aurais pas effleurée si tu n’avais pas voulu me chaparder mon pistolet, tu sais ?

 Le dit canon était posé sur le bureau, tourné dans la direction de la voleuse d’un air cyclopéen et redoutable. Helen lui tournait le dos, mais la minette n’allait pas faire deux fois la même erreur – sous peine de subir un broyage des seules jointures qui lui restaient.

— La petite Anne, qu’on t’appelle par ici, c’est ça ? Tes amies savent-elles que tu as la main si leste ?

— Qu’est-ce que vous me voulez ? feula la malheureuse, tapie de la même manière qu’un chat devant des gamins armés de bâtons.

— Je te l’ai dit, inspira Helen en se décidant à jeter sa propre veste en tweed – une vraie fortune importée de la côte Nord-est – sur ses épaules. Ne me fais pas répéter.

— Jessie est innocente !

— Oui, je te crois. Ce n’est pas une gaupe qui aurait pu abattre Duncan Leblanc, de toute façon.

— Alors pourquoi vous la cherchez ?!

 Helen soupira, sa patience s’échappant par ses narines comme la vapeur d’une locomotive. Il n’était pas distingué de frapper une enfant, l’idée lui laissait d’ailleurs un sentiment désagréable dans la poitrine… Ceci considéré, elle se lassait aussi de tourner autour du pot.

— L’on m’a raconté que votre sheriff était à la poursuite d’une fugitive. La fameuse qui a abattu Duncan, apparemment.

 D’un geste emprunt d’autant de délicatesse que lorsqu’elle choisissait des robes, Helen saisit la crosse de son pistolet – un Remington 1875 – et en pointa l’œil mortel sous la gorge de la petite, de sorte à ce qu’un tir malencontreux ne risque pas d’éclabousser sa précieuse veste. Accroupie, sa stature toujours aussi haute que celle d'un faucon penché sur sa proie, elle continua alors d'un ton égal :

— Sais-tu ce que cela signifie ? Que cette bourgade se trouve actuellement sans défense. Un dangereux individu pourrait la mettre à sac sans même que les voisins ne remuent le moindre orteil. Mais nous sommes des gens civilisés, et nous pouvons nous entendre dans le calme et la bonne humeur avant d’en venir aux menaces. N’est-ce pas ?

 Terrifiée, la petite Anne secoua du nez d’un air frénétique, prenant garde à ce que son visage n’entre pas en contact avec le métal placide du canon dans son cou.

— Parfait, la félicita Helen. Vous avez beau représenter le fond de tiroir de la société, je ne voudrais pas tuer d’honnêtes femmes qui tentent de s’en sortir. Pour la dernière fois, donc : où est ta patronne ?

— Je ne sais pas… gémit l’adolescente. Elle voulait délivrer cette détraquée, et puis… Je ne sais rien d’autre !

— Elles sont amies ?

— Peut-être… Arrêtez, vous me faites mal.

 Helen retira son arme de la gorge de la malheureuse, l’essuya comme pour en chasser la crasse des prostituées, puis la rangea à sa ceinture avec indifférence. Son sourire vide était celui d’un requin, carnassier, il lui avait toujours valu des railleries dans la haute société.

— Pas si innocente, cette Jessie… Garde la veste, elle te servira si tu décides un jour de laisser cette vie derrière toi.

 Et alors qu’elle se dressait et s’apprêtait à redescendre vers la rue, du pas nonchalant des clients qui voulaient convaincre qu'ils n'avaient rien à se reprocher, la petite Anne l’interpella une dernière fois :

— Duncan Leblanc était un hors-la-loi recherché, on m'a dit. Son meurtre ne devait pas être si grave que vous le pensez.

 Un instant d’hésitation faillit la retenir dans cette chambre, dans cet établissement qui la dégoûtait tant, mais Helen Leblanc se contenta finalement de hausser des épaules. Sans le moindre doute, assassiner son frère ne constituait pas un crime aux yeux de grand-monde ; lui voler, à elle, sa vengeance tant attendue, par contre, méritait le plus exemplaire des châtiments.

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