Chapitre I

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Chris peinait à sortir de son lit en ce glacial matin de février, jour de son trente-neuvième anniversaire. Dehors, la neige tombée à gros flocons, parant doucement la ville d’un manteau immaculé. Huit heures sonnèrent à l’horloge de l’église voisine. Chris resta allongé en fixant le plafond de sa chambre, l’esprit embrumé par la nuit chaotique qu’il venait de passer.

Une de plus.

Après plusieurs minutes d’un effort qui lui parut surhumain, il parvint à s’extirper de son lit, et se dirigea vers la cuisine.

Assis devant sa tasse de café, l’esprit vagabondant dans l’hypnotique ballet des flocons tombant dans la rue, il réfléchit au moyen de rendre cet anniversaire agréable. La plupart des personnes de son entourage profitaient des pistes enneigées à cette période de l’année. Il se retrouvait donc seul. Mais c’était un moindre mal après tout ce qu’il leur avait fait subir.

— Un bon gueuleton et une bouteille de bon vin ! Voilà ce qu’il me faut, pensa-t-il en retrouvant le sourire.

N’ayant aucune envie de manger seul au restaurant, il prit le chemin du supermarché dans la perspective de se concocter un délicieux repas de circonstance : Sauternes moelleux, toasts au saumon fumé et sorbet citron.

Arrivé à la caisse pour payer ses achats, sa carte bancaire n’était pas à sa place dans son portefeuille. Probablement avait-elle chaviré dans les abysses insondables du fond de son sac, une fois de plus. Il n’hésita pas une seconde à le vider sur le tapis de caisse devant une queue de clients plus maussades les uns que les autres.

— Ah ! La voilà, s’exclama-t-il en la trouvant coincée dans la doublure.

Les autres clients ne partagèrent pas son enthousiasme, certains le fusillant du regard. Il la tendit à la caissière et remit rapidement ses affaires dans son sac, lorsqu’un objet brillant attira son attention.

— Une clé ? s’interrogea-t-il.

Cependant, lorsqu’il remarqua le regard incisif que la caissière lui lançait, il ne s’y attarda pas et la glissa dans une poche de sa besace.

De retour chez lui, les bras chargés, il laissa échapper son sac sur le fauteuil du salon, comme d’accoutumer, mais ce dernier rebondit et se déversa sur le sol.

— Roh, manquait plus que ça... ça tombera pas plus bas ! Je vais d’abord ranger mes courses, grommela-t-il en se dirigeant vers la cuisine.

Le nez dans son réfrigérateur, un bruit l’interpella et lui fit relever la tête violemment, si bien qu’il se cogna à la porte. Instinctivement, en se frottant le crâne, un « y a quelqu’un ? » lui échappa, mais il n’obtint aucune réponse. Soudain, le bruit se fit à nouveau entendre. Un son doux et harmonieux, presque irréel. Comme une mélodie étouffée, jouée sur un instrument inconnu.

Armé d’une cuillère en bois, il fit le tour de son appartement en prenant soin d’allumer toutes les lumières, persuadé de tomber sur quelqu’un. Mais fort heureusement pour son ustensile, il ne trouva aucune trace d’un éventuel cambrioleur.

— Peut-être que ça venait de chez les voisins ?

Rassuré par cette pensée, il se dirigeait vers la cuisine lorsqu’il remarqua que ses affaires étaient toujours éparpillées sur le sol du salon.

— Quelle idée d’avoir un sac aussi grand ! dit-il en secouant la tête.

Il faut dire que les trois quarts des objets qui s’y trouvaient ne lui étaient d’aucune utilité : Des boutons trouvés par-ci par-là. Une pochette remplie de médicaments périmés. De vieux bonbons à la menthe ou encore des emballages et papiers en tous genres.

Un véritable foutoir.

Alors qu’il s’agenouillait pour ranger ses affaires, le souvenir de la clé lui revint subitement et, tout en les ramassant, une étrange hâte de la retrouver l’envahit. Cependant, impossible de remettre la main dessus.

— L’aurai-je rêvée ? pensa-t-il.

Déçu, il se releva et retourna à la cuisine pour terminer de préparer son repas.

Plus tard dans la soirée, emmitouflé dans un plaid douillé, assis dans son canapé avec un verre de Sauternes à la main et le pot de sorbet généreusement entamé sur la table basse, il se souhaita un joyeux anniversaire. Ses yeux s’embrumèrent et il laissa échapper un sanglot. Passer son anniversaire seul n’était agréable pour personne, et même s’il en avait fini avec ses histoires de psychotropes et de dépression, la solitude de cette soirée spéciale le mina. Heureusement, l’alcool aidant, il finit par s’assoupir.

Au milieu de la nuit, il fut tiré de sa torpeur éthylique par le même son étrange entendu plus tôt. Croyant rêver, il se frotta les yeux et resta dubitatif plusieurs secondes avant de réaliser qu’il était bien réel. Aussitôt, son regard fut attiré par un halo bleuté sous la table basse Mais à peine l’avait-il remarqué que la mélopée s’arrêta, et la lueur s’estompa. Éclairé par la seule lumière du téléviseur, il se baissa pour voir de quoi provenait l’étrange éclat brillant.

La clé était là, sur le tapis, à moitié cachée par un paquet de mouchoirs en papier et irradiant d’un éclat iridescent et hypnotique, comme si de minuscules ampoules la composaient.

Chris fut surpris de ressentir du soulagement en la voyant. Mais malgré le fait qu’elle lui était inconnue et qu’il ne savait pas qui avait bien pu la glisser dans son sac, il fut heureux de l’avoir entre les mains.

De prime abord, elle ne ressemblait en rien à une clé ordinaire. Elle était ciselée et façonnée dans un métal chatoyant, semblable à du platine, et la serrure qu’elle ouvrait devait être très complexe vu la forme de son panneton. Sur sa tige s’enroulaient une inscription tortueuse, formée d’énigmatiques symboles ressemblant à des hiéroglyphes, et son anneau formait un arbre majestueux aux branches arrondies, une épée plantée dans son tronc et un unique fruit dans son feuillage.

— D’où tu viens ? demanda-t-il à haute voix.

Il ne reçut aucune réponse, tandis que l’hypnotique scintillement de l’objet redoublait. Totalement muet d’incompréhension, il resta à quatre pattes sur son tapis à la contempler. Tranquillement, ses paupières se firent de plus en plus lourdes devant le psychédélique ballet que lui offrait la clé, et il finit par s’endormir, à même le sol.

8h32.

La sonnerie stridente de son smartphone le réveilla en sursaut. Chris raccrocha si vite au nez du démarcheur, qu’il n’eut aucun souvenir du sujet de son appel. Il lutta pour se réveiller, les yeux perdus dans le vague en essayant de se rappeler la nuit passée. Il se releva lentement en reprenant péniblement ses esprits alors qu’une affreuse migraine lui martelait la tête.

— Ah… saleté de Sauternes...

En s’asseyant sur le lit, quelque chose glissa sur sa poitrine. La clé, d’une incroyable légèreté et aussi scintillante que la nuit passée, pendait à une chaîne en argent autour de son cou. Lorsque ses yeux se posèrent dessus, une sensation étrange s’empara de lui, faisant instantanément disparaître sa migraine. Il resta plusieurs secondes le regard figé sur son scintillement irréel.

— Attends… comment elle est arrivée là ? Je ne me souviens pas l’y avoir mise… Et comment j’ai atterri dans mon lit ?

Questions bien trop compliquées après une nuit aussi étrange, surtout lorsque l’on n’a pas encore ingurgité sa dose de café matinale.

Il lui en fallut deux tasses, accompagnées d’un paquet de biscuits, pour qu’il se décide à la retirer. Elle ne lui appartenait pas et il ne savait pas d’où elle venait, qui l’avait touchée, et pire encore, qui la lui avait mise autour du cou.

Se dirigeant vers la salle de bains, Chris la retira et la posa délicatement sur le rebord de l’évier. Mais à peine avait-elle touché la porcelaine que son éclat déclina. Tant et si bien qu’en quelques secondes, elle ne ressemblait plus qu’à un morceau de charbon, terne et triste. Pensant à une réaction chimique avec un résidu de détergent, il la reprit dans le creux de sa main, et elle retrouva aussitôt son éclat.

Intrigué, Chris passa les vingt minutes suivantes à la poser sur différentes surfaces et dans différents liquides, puis à la reprendre en main. À chaque fois, son éclat déclinait lorsqu’elle n’était plus à son contact. Ne sachant trop que faire de cette information, il la rinça à l’eau claire, avant de la remettre autour de son cou.

— Ce n’est qu’une clé... pensa-t-il, je vais regarder sur le net s’il y a des infos.

Internet étant une véritable mine de connaissances, Chris attrapa son ordinateur portable, confiant à l’idée de trouver des informations. Cependant, et malgré une bonne heure de recherche et une centaine de sites internet visités, ses yeux commencèrent à piquer, en vain. Il était bredouille d’informations sur cet objet capable de produire des sons et de s’illuminer pour attirer l’attention. Loin d’être découragé pour autant, il se dit qu’un serrurier devait être bien placé pour le renseigner. Il attrapa son sac et rendit visite à celui situé en bas de sa rue.

Au début, Chris pensa s’être retrouvé dans une caméra cachée, comme celle que l’on voit à la télévision. Le serrurier n’arrêtait pas de dire que ce n’était qu’une banale clé de placard en acier et qu’elle n’avait rien de spécial qui mérite que l’on s’y intéresse, ou qu’on la porte comme un bijou.

— Mais enfin... vous voyez bien que ce n’est pas une clé de placard ! Et l’acier ne scintille pas autant ! lui lança Chris, agacé et dubitatif.

— Vous vous moquez de moi, jeune homme, rétorqua le serrurier sur un ton passablement énervé. Ce n’est qu’une vulgaire clé de placard en acier grossier ! Alors arrêtez de me faire perdre mon temps et allez-vous-en ! J’ai des clients à servir.

Ces derniers dévisagèrent Chris lorsqu’il fit demi-tour pour sortir de l’échoppe.

— Qu’est-ce qui tourne pas rond chez ce type ? pensa-t-il en s’éloignant.

Ce n’est qu’après avoir rendu visite à la quasi-totalité des serruriers de la ville, qu’il envisagea sérieusement l’éventualité de problèmes cérébraux. Tous avaient tenu le même discours : Ce n’est qu’une clé de placard en acier quelconque.

Il semblait être le seul à voir qu’elle était spéciale.

La tête remplie d’élucubrations de plus en plus farfelues, il se rendit au dernier endroit où trouver d’éventuelles réponses : La bibliothèque municipale. Il devait forcément y avoir un ouvrage parlant d’un tel objet ou décrivant l’histoire d’une personne qui en aurait possédé un.

Quatre arrêts de bus, un café au lait et deux croissants aux amandes plus tard, il se retrouva devant l’imposant édifice, se souvenant avec nostalgie, qu’il y venait régulièrement étant enfant. Une autre époque laborieuse de sa vie.

Lire fut une manière pour lui de fuir le monde extérieur et la méchanceté de certains de ses camarades scolaires. Il appréciait tout particulièrement la littérature de fantasy, avec ses histoires de magies, peuplées de chevaliers, de fées, d’elfes, de monstres et autres créatures diverses et variés. Les gentils contre les méchants, le bien triomphant du mal.

Malheureusement en vieillissant, les responsabilités et la vie d’adulte avaient effacé de sa mémoire les mondes fantastiques dans lesquels il adorait se perdre.

— À quel moment de ma vie ai-je arrêté de rêver ?

Cette pensée lui serra le cœur.

Revenant au pourquoi de sa présence, il avala rapidement les dernières gouttes de son café, puis pénétra dans l’immense bâtiment. C’était une ancienne gare ferroviaire qui avait été reconvertie en bibliothèque au début du vingtième siècle lorsqu’il fallut construire une gare plus grande, pour accueillir plus de passagers.

Il passa la grande porte à tambour vitré, sans conviction sur la suite à donner aux événements. L’endroit regorgeait de milliers de livres, rangés là, pour certains, depuis plus d’un siècle. Ils avaient encore ces grandes échelles à roulettes, tant les rayonnages en chêne massif étaient hauts, certains dépassant les quatre mètres. D’immenses lustres en laiton, paré de pampilles en cristal, éclairaient la pièce en projetant des faisceaux lumineux multicolores sur le sol en dalles de marbre. L’ancienne galerie faisait environs trente mètres de long, pour vingt mètres de large, avec huit mètres de hauteur sous plafond. Au centre, un immense dôme verrière en fer forgé, dans un style Art déco, laissait pénétrer la faible luminosité extérieure. Le long du côté droit, une rangée de fenêtres en arches illuminait de petites alcôves où des tables et des chaises en bois foncé servait de lieu de rendez-vous aux étudiants de tous bords et autres passionnés de bibliophilie.

Le tout s’animait studieusement, dans un silence de cathédrale.

Chris s’avança vers le guichet où Judith, la bibliothécaire, était assise. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, c’est elle qui s’était toujours occupée seule de ce temple de la connaissance. Bien entendu, les affres du temps ne l’avaient pas épargnée. Mais malgré ses soixante-dix ans passés, elle restait une très belle femme.

Ses longs cheveux gris remontés en chignon, les yeux plissés derrière ses lunettes aux montures œil de chat dorées, elle le dévisagea.

— Bonjour, Judith !

— Oh, ça alors, bonjour, Chris, comment vas-tu ? Cela fait longtemps que tu n’es pas venu. Quel beau jeune homme tu es, j’ai failli ne pas te reconnaître, répondit-elle en souriant du coin des lèvres.

— Vous êtes trop gentille. J’ai… été pas mal occupé ces derniers temps, répondit-il flatté et embarrassé.

— Cela fait vingt et un ans, jour pour jour ! Je m’en souviens parfaitement, car c’était le jour de ton dix-huitième anniversaire. Le lendemain, tu partais pour la faculté et tu étais venu me rapporter trois livres que tu venais de finir, la trilogie des Elfes de Jean-Louis FETJAINE.

Autant la mémoire de Judith que le temps qui s’était écoulé depuis son dernier passage le stupéfièrent. Un « coup de vieux », dit vulgairement.

— Vous avez une mémoire incroyable, la félicita-t-il, mais... vous savez ce que c’est… avec le boulot et tout ça... je n’ai pas trouvé le temps de revenir... ni même de lire...

— La vie… dit-elle en serrant les lèvres et en secouant la tête, j’ai consacré la mienne à cette bibliothèque... je ne le regrette pas le moins du monde, rassure-toi. Pour moi, même si un livre peut s’avérer déplaisant à lire, il y en a toujours des milliers d’autres pour enchanter. C’est un peu comme les gens.

Chris profita du blanc que Judith marqua, en se perdant dans ses souvenirs, pour couper court.

— Hum… je cherche un ouvrage assez spécifique. Auriez-vous quelque chose sur les objets anciens ou… disons... hors du commun ?

— Si tu parles de bricolage, nous avons un tas d’ouvrage sur le montage et la fabrication de meubles. Sinon, tu peux aussi jeter un œil au rayon ésotérique. Il est au fond à gauche. Il contient certains des ouvrages les plus anciens de la bibliothèque.

— Merci beaucoup, je vais y jeter un œil.

Il hocha la tête pour la saluer puis se dirigea vers le panneau « ésotérisme ». C’était le seul rayonnage sans fenêtre et fermé par d’épais rideaux de velours rouges. La lumière du soleil n’étant pas vraiment l’ami des ouvrages anciens. À l’intérieur, une petite applique en bronze, suspendu à l’angle d’une bibliothèque et surplombant un petit bureau en bois d’ébène, éclairé d’une douce lumière dorée.

Chris attrapa un imposant livre relié de cuir bleu intitulé, les différents objets magiques et leurs utilités. Mais hormis les bâtons, baguettes et autres potions, il ne trouva rien d’utile à sa quête. Au bout de vingt minutes et d’une bonne dizaine d’ouvrages survolés, il commençait à désespérer. En même temps, les livres sur les clés magiques ne devaient pas courir les bibliothèques, aussi grandes fussent-elles.

Plus tard, perché en haut de l’échelle à rayonnage, il s’attarda sur un ouvrage intitulé, Les objets magiques des contes Arthuriens. Un reliquaire des différents objets de l’odyssée Arthurienne, décrivant leurs fonctions et l’emplacement où ils furent trouvés. Mais là encore, aucune information capitale.

— Bonjour ! Je peux peut-être vous aider ?

La douce voix féminine le fit sursauter, tant il était plongé dans ses pensées. Il se retourna et dévisagea la magnifique jeune femme qui se tenait devant lui. Elle avait de très longs cheveux blond clair, nattés sur le côté, et de grands yeux d’un vert profond. Elle portait un jean avec un t-shirt blanc surmonté d’un blouson en cuir marron. Bien qu’il n’ait jamais vraiment eu d’attirance physique pour les femmes, une aura envoûtante se dégageait d’elle. Mais une intuition profonde l’incita à rester méfiant.

— Euh… oui, bonjour ! peut-être hum… c’est assez compliqué en fait hum… je recherche n’importe quoi qui puisse me renseigner sur les objets hum... disons... magiques ? Comme une clé ? bégaya-t-il.

— Vous parlez probablement de celle que vous portez à votre cou, lança-t-elle en esquissant un sourire.

— Oui, c’est exactement ça. Mais ce n’est pas une vulgaire clé en acier…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle le coupa.

— Évidemment que ce n’est pas une clé ordinaire. Le métal qui la compose est extrêmement rare et précieux et, vu son scintillement et les inscriptions qu’elle porte, je vous confirme qu’elle est... spéciale.

Elle tendit la main pour la toucher, mais s’arrêta net en fermant les yeux et prit une grande inspiration, avant d’expirer avec soulagement.

Abasourdi par la jeune femme et ses propos, Chris resta bouche bée, la dévisageant comme si c’était la première fois qu’il voyait un autre être humain. Elle pouvait voir la clé telle qu’il la voyait, et elle semblait s’y connaître.

— Comment savez-vous tout ça ? demanda-t-il, avec méfiance.

— J’en ai entendu parler, d’où je viens.

— Alors, que pouvez-vous me dire de plus ?

— Malheureusement, je suis contrainte de ne pas vous en dire davantage… il s’agit là d’un objet extrêmement précieux, auquel vous êtes lié par un lien très particulier.

Tant de questions fusèrent dans sa tête, que Chris resta muet d’incompréhension.

— Je m’appelle Line, et vous ? coupa-t-elle.

— euh Chris…, bredouilla-t-il comme s’il n’en était pas certain.

— Je suis enchanté de vous connaître, Chris, mais je dois m’en aller.

elle se retourna, prête à l’abandonner comme une voleuse.

— Partir ? Mais vous n’y pensez pas ! J’ai des milliers de questions à vous poser ! dit-il, surprit par la réaction de la jeune femme.

— Il vous incombe de trouver la serrure qui lui correspond, et seulement vous obtiendrez les réponses à vos questions. Cependant, méfiez-vous des apparences et défendez-la comme si votre vie en dépendait.

Sans plus de convenances, elle le salua en inclinant la tête, puis disparut précipitamment entre les lourds rideaux de velours.

— Attendez une seconde, hurla-t-il en reposant en catastrophe le livre qu’il tenait.

Descendant en trombe de l’échelle pour la rattraper, il rata le dernier échelon et fit une roulade en avant en se rattrapant avec une aisance qui le déconcerta. Dévisagé par les personnes présentes, il courut jusqu’à l’extérieur de la bibliothèque, en vain. La belle Line avait déjà disparu, évaporée dans la foule grouillante de la ville. Sans perdre une seconde, Il attrapa son agenda pour noter les quelques informations distillées par la belle inconnue.

Un flot de questions lui embrouilla l’esprit le long du chemin jusqu’à l’arrêt de bus. Une fois assis dans ce dernier, Il ne put s’empêcher de repenser aux dernières paroles de Line. Il se demanda ce qu’elle avait voulu dire par « la protéger comme si sa vie en dépendait ».

Un mouvement brusque l’extirpa de ses pensées. Deux jeunes hommes, d’un très mauvais genre, s’en prenaient à une jeune femme assise dans la rangée de sièges sur sa droite. Des comportements malheureusement fréquents dans les transports en commun des grandes villes.

Vraisemblablement, leur technique de drague n’était pas au point. Si bien que la jeune femme voulut se lever pour changer de place. Mais l’un des deux jeunes la repoussa sur son siège, la bloquant en s’asseyant à côté d’elle.

Pourtant, la jeune femme n’avait pas l’air du genre à se laisser faire, et lorsqu’il tenta de lui caresser la joue, elle lui mit une gifle bien méritée. Blessé dans son ego, le jeune homme riposta en l’attrapant violemment par les cheveux, l’inondant d’un flot d’insultes misogynes au passage.

Un intense sentiment de rage, mêlé d’injustice, envahit Chris qui, sans s’en rendre compte, s’était machinalement levé.

— Laissez-la tranquille, lança-t-il, avec assurance.

— Et on peut savoir ce que tu vas faire, la pédale ? cracha celui resté debout.

Aussitôt, il tenta de frapper Chris au visage qui l’arrêta dans sa foulée en l’attrapant par le poignet. Dans un mouvement si rapide qu’il faillit perdre l’équilibre, Chris le jeta brusquement entre deux sièges.

Voulant aider son comparse, l’autre se leva et essaya à son tour de frapper Chris. Malheureusement pour lui, il évita son coup et lui enfonça son poing dans le ventre. L’incongru s’écroula en poussant un gémissement, avant que le chauffeur du bus ne les attrape pour les traîner hors du bus.

Chris ne s’était jamais battu, et pourtant, il se sentit incroyablement bien et prêt à en découdre à nouveau, comme si sa confiance en lui crevait le plafond. Il se pencha vers la jeune femme et l’aida à se relever. Une jolie brune aux cheveux en carré avec de grands yeux marron. Un physique plutôt banal et toutefois, quand leurs regards se croisèrent, il eut la sensation de la connaître.

— Merci ! Merci beaucoup ! dit-elle la voix pleine de gratitude, je ne sais pas comment je m’en serais débarrassée sans votre intervention.

— Je vous en prie. J’espère qu’ils ne vous ont pas blessé ?

— Non, je vais très bien, merci.

À peine eut-elle fini sa phrase, qu’elle sauta hors du bus.

Chris n’eut pas le temps de s’attarder sur son étrange comportement, que le chauffeur lui tapa sur l’épaule pour le féliciter. Satisfait d’avoir pu aider quelqu’un, mais dubitatif devant l’excès de confiance et de sang-froid dont il venait de faire preuve, Chris regagna son siège. L’idée qu’il puisse avoir des capacités physiques ou mentales insoupçonnées le fit éclater de rire, lui qui se considérait comme un homme ordinaire.

C’est l’esprit serein et le cœur léger qu’il rentra chez lui en songeant au sens des mots de Line, pensant à leur rencontre inopinée, ainsi qu’au mystérieux lien qui l’unissait à la clé.

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