Chapitre III

8 minutes de lecture

Une fois de plus, la sonnerie de son smartphone réveilla Chris en sursaut.

— Oui, allô, bredouilla-t-il en peinant à ouvrir les yeux.

— Coucou mon chéri, c’est maman. Tout va bien ?

— Oh, bonjour maman. Oui ça va, merci.

— Avec ton père on pensait te prendre au passage pour aller à la chapelle, tout à l’heure. Ce serait gentil de ta part de venir en même temps que tout le monde cette fois-ci.

Les événements des heures passées lui avaient totalement fait oublier leur petite cérémonie en l’hommage de Yann.

— Ah, oui... c’est gentil de votre part, répondit-il tandis qu’une migraine commençait à lui marteler le crâne.

— Nous serons là dans dix minutes ! Ne sois pas en retard, d’accord ?

— Oui, maman ! Merci, maman ! À tout à l’heure maman !

La façon qu’avait sa mère de le traiter comme un enfant à presque quarante ans l’agaçait toujours autant. Il voulut se lever pour prendre un médicament, lorsque la clé tomba à ses pieds. Son cœur se serra à l’instant où elle percuta le sol. Fébrile, Il la ramassa et la remit autour de son cou.

Sa migraine disparut aussitôt.

— Elle ne me veut pas de mal, pensa-t-il encore chamboulé par les émotions passées.

Un détour par la salle de bain pour se rafraîchir lui parut une bonne idée. Sur le moment, Il aurait tout donné pour avoir le temps de prendre une douche froide et remettre ses idées en place, mais le temps lui manquait. Il passa un peu d’eau sur son visage et dans ses cheveux, puis attrapa son sac pour rejoindre ses parents aux pieds de l’immeuble.

— Bonjour Papa, bonjour maman, dit-il en s’asseyant à l’arrière de la berline.

— Tu es bien pâle, mon chéri… tout va bien ? demanda sa mère avec une inquiétude palpable.

— Chérie… il se remet probablement de sa soirée d’anniversaire, lança son père en mimant une personne qui boit.

— Oui, c’est exactement ça. Et sinon ? Le ski ? coupa-t-il pour ne pas se justifier.

— Très sympa ! Beaucoup de neige et des pistes agréables. En revanche, il y avait beaucoup trop de monde, impossible d’avoir une chaise longue pour se reposer après une descente. Tu imagines ?

Sa mère avait un don naturel pour discourir d’arguments oiseux. Elle les faisait beaucoup rire, son père et lui.

— J’imagine. Mais dans la mesure où vous y allez chaque année et que, chaque année, tu me dis la même chose, peut-être que l’an prochaine vous pourriez… changer de station ?

Son père étouffa un rire tandis que sa mère le fusilla du regard.

— Ça ne m’étonne pas de toi, tu es bien le fils de ton père. Du changement, toujours du changement ! Parfois, je m’étonne qu’il ne me traite pas comme ses voitures, à en changer toutes les cinq minutes.

— C’est parce que je t’aime et que je serais totalement perdu sans toi, ma chérie, lança son père en lui faisant un clin d’œil, ne l’embêtons pas avec nos histoires, il n’a pas besoin de ça aujourd’hui, souffla-t-il en pensant être discret.

— Je vais très bien ! dit Chris en roulant des yeux, d’ailleurs, j’adore écouter vos lamentations futiles, ça me change les idées.

Son ton moqueur trahit la sincérité de ses propos, et il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en entendant sa mère grommeler.

Les quarante-cinq minutes de trajet qui les séparaient de la chapelle furent plutôt silencieuses. Chris n’avait pas vraiment la tête à bavarder. Outre les événements des dernières heures, il angoissait à l’idée d’être obligé de parler avec ses beaux-parents. Pendant deux ans, il les avait volontairement évités toutes discussions en arrivant systématiquement en retard et en partant subitement avec des prétextes bidons.

À leur arrivée sur le parking de la chapelle, la voiture des parents de Yann était déjà là.

La petite bâtisse du treizième siècle, sans prétention, avait été construite au cœur d’une clairière par une délégation de moines Cisterciens. Elle ne dépassée pas les soixante mètres carrés, et avait une forme ovoïde. Au-dessus de l’entrée se dressait un petit clocher à cloche unique. Les arbres et la neige donnaient une atmosphère apaisante et bucolique à l’endroit.

— Bonjour Chris.

Il reconnut instantanément la voix qui l’interpelait et se retourna fébrilement.

— Bonjour… répondit-il en baissant la tête

En entendant leur voiture, la mère de Yann était sortie de la chapelle pour les accueillir.

— Je suis heureuse de te voir, dit-elle en s’approchant pour le serrer dans ses bras, les yeux humides.

— Moi aussi, je suis heureux de vous voir, répondit Chris en la prenant contre lui.

L’enivrant parfum de sa belle-mère fit remonter tant de souvenirs, qu’il ne put retenir ses larmes. Ce doux mélange d’agrumes, de rose et de bergamote qu’elle le portait depuis toujours, et qui lui sied à merveille.

— Tu nous as beaucoup manqué, tu sais, dit-elle en essuyant les larmes sur les joues de Chris.

Son mari les rejoignit et le dévisagea. Chris commença à s’expliquer lorsqu’il le coupa en l’attrapant par l’épaule. Il plongea son regard dans celui de son beau-père et remarqua des larmes perler aux coins de ses yeux. Il l’attira affectueusement vers lui et le serra si fort dans ses bras, que Chris crut ne plus pouvoir respirer. Il le sentit hoqueter en tentant de cacher son émoi.

— Ce qui est important, c’est que tu sois à nouveau là. On a déjà perdu un fils… hors de question d’en perdre un deuxième.

Ses mots lui firent chaud au cœur, tant Chris avait longtemps pensé qu’ils lui en voulaient. Son esprit s’allégea de ce poids, et ils entrèrent s’installer au chaud dans la chapelle.

Leur cérémonie n’avait rien d’officielle. Leurs deux familles étant athées, ils ne célébraient pas de messe. Juste une simple réunion familiale consacrée à parler de Yann et des bons moments qu’ils avaient vécus.

Une manière d’honorer sa mémoire.

L’endroit n’avait rien d’ostentatoire. Le baptistère était sobre, avec des murs en pierres sommairement taillées et une simple lanterne éclairant l’endroit depuis son centre. Un petit vitrail multicolore surplombait un autel en bois sur lequel étaient posés un napperon en crochet blanc, ainsi que deux bougeoirs en bronze. Dans le coin droit, un vieil orgue à soufflet était installé à côté d’un candélabre en fer noirci. Sur la gauche, une statue de la vierge Marie, berçant l’enfant Jésus, avait été placée dans une petite alcôve voûtée.

Chacun alluma un cierge avant de s’asseoir en silence sur un même banc pour évoquer leurs souvenirs communs. Jamais ils n’apportaient de fleur coupée. Yann les adorait et trouvait dommage de sacrifier d'innocentes plantes pour honorer les défunts.

Aux alentours de dix-huit heures trente, la cérémonie achevée, le père de Chris proposa d’inviter le petit groupe au restaurant, et les parents de Yann acceptèrent volontiers. Ils étaient restés très proches après sa disparition, et Chris fut surpris que sa mère ne lui en ait jamais parlé. Il comprit combien ses beaux-parents tenaient à lui, et à quel point ils avaient souffert de son mutisme.

En se levant du banc, Chris aperçut un éclat lumineux provenant de la porte de la sacristie. Tandis que les autres regagnaient l’entrée de la chapelle, il s’approcha pour voir d’où il provenait. Au fur et mesure qu’il s’avançait, l’éclat déclina. Mais il parvint à voir qu’il se dégageait de la serrure.

Les autres finirent de sortir et sa mère se retourna pour l’interpeller.

— J’arrive tout de suite, j’ai perdu un bouton de mon manteau, dit-il en cherchant au sol pour faire diversion.

Elle lui sourit, puis disparut à l’extérieur.

Aussitôt, la serrure de la porte se mit à siffler en se tordant dans tous les sens. Le métal devint de plus en plus brillant, scintillant d’un éclat similaire à celui de la clé, et ses contours s’arrondirent avec magnificence.

Hypnotisé par ce ballet, Chris retira machinalement la clé de son cou et l’y inséra sans effort. Un tintement mélodieux ce fit entendre lorsque le paneton actionna le mécanisme. La porte s’ouvrit doucement, sans un bruit.

Mais Chris eut à peine le temps de jeter un coup d’œil dans la pièce, qu’elle se referma violemment, au même instant où son père passait la tête par la porte de la chapelle.

— Chris, qu’est-ce que tu fais ? Il fait froid dehors, on attend plus que toi !

— J’arrive, répondit Chris en marchant vers lui et en remettant la clé à son cou.

— Que faisais-tu avec cette clé de placard ?

— Oh, ça… C’est… un cadeau pour mon anniversaire… une bonne blague, je suppose ! dit-il, pris de court.

— Ah… vous les jeunes, lança son père en souriant.

Au restaurant, Chris eut beaucoup de mal à rester concentré sur la conversation. Sa seule hâte était de retourner à la chapelle pour découvrir ce qui se cachait derrière la porte de la sacristie. Le repas terminé, il promit à ses beaux-parents de passer les voir rapidement, puis se fit raccompagner chez lui. Aux pieds de son immeuble, il remercia ses parents et les embrassa.

— Passe une bonne nuit, mon chéri.

— Merci, maman. Vous aussi et rentrez bien.

Chris regarda leur voiture s’éloigner, fébrile.

Sitôt avaient-ils tourné au coin de la rue qu’il attrapa son smartphone pour appeler un taxi. Il fut très rapide pour arriver, contrairement au trajet vers la chapelle qui parut interminable. La neige, qui s’était remise à tomber, ralentit grandement leur progression, tant le chauffeur devait redoubler de vigilance pour éviter l’accident.

23h48. Une atmosphère lugubre avait remplacé l’aspect bucolique de la clairière tant le ciel nuageux bloquait la lumière de la lune. Chris eut Un frisson qui lui monta le long de l’échine lorsqu’il réalisa qu’il était seul au milieu de la forêt, en pleine nuit.

Lorsqu’il voulut entrer dans la chapelle, il fut bloqué par la porte verrouillée. Un petit écriteau cloué sur le côté disait, « Ouverture de la chapelle 8h00, fermeture 20h00 ». Il se retrouva bien embarrassé.

— Je dois trouver un autre moyen d’entrer, pensa-t-il.

Il fit le tour de l’édifice, sans succès. Mais en revenant devant l’entrée, il se souvint de sa discussion avec la mystérieuse voix dans son salon : « je suis votre guide ».

— Tu peux m’aider à entrer ? demanda-t-il en retirant la clé de son cou.

Subrepticement, la serrure se déverrouilla et la porte s’entrouvrit doucement. Il resta interdit quelques secondes en la regardant, puis son regard se posa sur la clé.

— Merci !

Éclairant son chemin avec la lampe de smartphone, il fonça à grande enjambées en direction de la porte de la sacristie, lorsqu’une angoisse lui vrilla l’estomac.

— Et si c’était une erreur ? Ça pourrait être dangereux.

Une voix raisonna soudain autour de lui.

— N’abandonnez pas… vous êtes proche…

La même qu’il avait entendu quelques heures auparavant.

Prenant une grande inspiration, il inséra fébrilement la clé dans la serrure qui se déverrouilla sans un bruit.

En passant la porte, il remarqua que la pièce était différente de la première fois, bien plus garnie. Mais la porte se referma violemment derrière lui sans qu’il ait le temps de s’y attarder. Paniqué, il s’acharna sur la poignée avant de remarquer que la porte s’était verrouillée, et que le côté duquel il se trouvait ne disposait pas de serrure. Une odeur étrange lui monta soudainement au nez, et il s’écroula lourdement au sol, prit de vertiges.

— Bientôt votre destinée vous sera révélée…

Les mots résonnèrent à ses oreilles, tandis qu’il était inexorablement emporté par une léthargie forcée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Raphaël HARY ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0