Chapitre V

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Les cors de la garde de Sylandar sonnèrent mélodieusement dans les immenses tours de marbre blanc qui entouraient la ville et sa forteresse, tandis que Lindelle y pénétrait avec son escorte. Les habitants s’inclinèrent respectueusement sur leur passage. Pourtant, elle apportait une mauvaise nouvelle au grand prêtre Miriël, son père. L’élu était introuvable, et ce malgré le fait qu’elle est sa garde personnelle, avaient passé toute la nuit à fouiller la forêt de Flaïne.

L’élu avait disparu, emporté par les eaux de la rivière, potentiellement mort.

Arrivé devant les grandes portes de métal argenté du château, Lindelle descendit de son cheval et donna la bride à un écuyer qui attendait patiemment. Elle poussa les portes et pénétra dans ce qui était son foyer et celui de sa famille depuis des générations.

Le château et la ville de Sylandar furent érigées au sommet d’une colline, dans les vertes prairies du pays de Borest à l’est de la forêt de Flaïne, par l’ancêtre de Lindelle, le roi Pliöth.

Selon la légende, le roi et son armé combattirent, deux années durant, les forces impies de Vilainard, pour récupérer ces terres, prisent à sa famille auparavant. À cette époque, les magnifiques champs de fleurs et d’herbes hautes, étaient entièrement asséchés. Plus rien ne poussait, la vie ayant complètement désertée les lieux.

Les Vilainard étaient des monstres assoiffés de sang et de chaire mortelle. Ils furent menés par le terrifiant roi Osth, créature dont on racontait que la mère, une elfe blanche, fut capturée puis violée par un groupe d’orc sauvage. L’enfant qui en résultat fut monstrueux, mais doté d’une incroyable intelligence. Cependant, plutôt que de haïr les orcs, qui firent souffrir et tuèrent sa mère, il voua une haine sans pitié pour les autres races, sans distinctions, poussés par les funestes desseins de Cräam, la divinité de la mort et du chaos.

D’aucun racontèrent que les batailles furent si sanglantes et fréquente, que la petite rivière qui serpentait dans les prairies, se transforma en torrent de sang pendant plusieurs semaines, tant le nombre d’hommes tombé au combat fut élevé.

Après leur défaite, les Vilainard furent traqués et tuer jusqu’au dernier. On raconte que le roi Pliöth garda Osth captif pendant plusieurs années, le torturant par vengeance et plaisir. Ce dernier fut décapité, puis son corps brûlé, sur la grande place de la citadelle peu de temps avant la mort du roi. Ses restes seraient emmuré dans un coffre de plomb, scellé par de puissants enchantements, dans l’une des nombreuses cryptes souterraines du château.

Longtemps après cette période de terreur, la peur que le seigneur Osth puisse un jour revenir, resta bien présente chez les habitants de Sylandar. Cependant, les années passant, certains se mirent à douter de la véracité de la légende, le roi Pliöth étant plutôt connu pour son alcoolisme et son goût pour la débauche que pour ses faits d’armes.

Dès la fin des combats, il ordonna la construction d’un mur gigantesque, servant de frontière entre le pays de Borest et les terres impies : le mur d’Alandar. Ensuite, il planifia l’édification de ce qui deviendrait le symbole de la puissance du peuple de Borest : Sylandar.

Les plus grands architectes de l’époque travaillèrent à l’élaboration des plans de la cité, et les matériaux les plus fabuleux et les plus rares furent utilisés.

Les monts Calcèdas, deux gigantesques montagnes de marbre d’un blanc d’une pureté sans égal, furent littéralement rasés pour créer le mur de dix mètres de haut qui encercle la cité, ainsi que les cinq tours de garde et le palais. Le bois des arbres de Fallard, un bois rouge aussi résistant que l’acier, endémique de l’île du même nom, fut utilisé jusqu’à la moindre branche pour confectionner meubles et boiseries. Des pierres précieuses furent acheminées par milliards des quatre coins du monde pour être incrustées dans les murs des bâtiments, le mobilier ou pour confectionner des objets de décorations. La splendeur et le faste de l’endroit n’avait d’égal dans le monde.

Un travail titanesque, qui dura onze années et pour lequel un grand nombre de travailleurs et esclaves de toutes races perdirent la vie.

La ville devint rapidement le centre du pays, et même un haut lieu de commerce, les marchands du monde entier y venant pour s’y échanger épices, étoffes, bijoux et objets en tous genres. Une cité riche et prospère, qui malheureusement attira son lot de renégats. Là où l’argent coule à flot, la pègre veille à recevoir sa part.

À la mort de Pliöth, le prince Élioth, son fils, pris sa suite. Mais les choses ne firent qu’empirer tant il aimait se vautrer dans la luxure et profiter des plaisirs charnels. Certains quartiers de la ville devinrent de véritable coupe gorge où les prostitués de toutes races faisaient foison, et les bandits régnaient en maîtres.

Le prince Élioth mourut quatre ans après son sacre, égorgé par un fanatique de Cräam dans l’un des nombreux bordels de la ville. Sa fille Lisiëlle, qu’il avait eu avec la princesse Aliëssa de Vergoth, due prendre sa suite alors qu’elle n’avait que douze ans, sa mère étant décédée en la mettant au monde.

Rapidement, elle créa les Syndaris, sa garde personnelle formée des meilleures recrues que l’armée de Sylandar pouvait compter, et les chargea de débarrasser la ville de la pègre. Ce fut une période sombre, car quiconque ne ravissait pas la princesse, finissait la tête au bout d’une pique. Beaucoup de citoyens innocents furent exécutés ou enfermé dans les ergastules du château, sans procès et à son seul bon vouloir.

À 22 ans elle épousa Grynwild de 16 ans son aîné. C’était un ancien trafiquant d’esclaves, enrôlé de force dans l’armée de Sylandar pour échapper à la prison avant de devenir capitaine des Syndaris. Ensemble, Ils offrirent deux héritières au royaume de Borest, les princesses Aliënoth et Benëdioth, des jumelles.

À la mort de leur mère, elles décidèrent de régner ensemble sur le royaume. À l’inverse de leurs parents, elles furent bonnes et justes envers leur peuple. Elles apportèrent une dimension plus spirituelle à la cité, en instaurant le culte de Möth, divinité de la connaissance et de la sagesse. Elles créèrent aussi la grande imprimerie royale, où les plus prestigieux ouvrages du monde furent édités, dont le grand livre de Möth. Grâce à cette invention, les savoirs de Sylandar purent être exportés de par le monde.

Ce fut une période de prospérité pour la cité et pour le peuple de Borest. Malheureusement, la maladie emporta la princesse Benëdioth l’année de ses 39 ans, et Aliënoth resta anéantie par la perte de sa sœur jumelle. Elle ne put jamais réellement s’en remettre, mais elle eut tout de même un fils, d’un père inconnu, le prince Maëlith, grand-père de Lindelle.

Il fut le premier à s’autoproclamer grand prêtre de Sylandar, vouant sa vie à Möth et prêchant pour ses desseins. Un homme sage et ambitieux, qui envoya de nombreux émissaires de par le monde pour prêcher sa parole.

La légende veut que, lors d’un pèlerinage dans les terres barbares du sud-ouest, il recueillit un enfant dont la mère avait été tuée par un animal sauvage en tentant de le protéger. Il décida alors de l’élever comme son fils, et le prénomma Miriël. Il lui offrit la meilleure éducation possible et l’ordonna grand prêtre lorsqu’il sut que son heure était proche. Lindelle aussi avait été adoptée, ses parents l’ayant abandonné quand elle n’était encore qu’un nourrisson.

Malgré le fait qu’elle n’appartenait pas de sang à la lignée du grand roi Pliöth, tout comme son père, le peuple lui vouait un profond respect, autant pour sa justesse que pour sa capacité à garder la paix dans le royaume de Borest.

Sa beauté n’avait d’égale dans le pays, et beaucoup de prétendant des royaumes voisins la courtisaient. Du haut de ses 32 ans, elle n’envisageait pas une vie d’épouse. Le Vaste-Monde la fascinait. C’est pour cette raison que, très tôt, elle avait souhaité parcourir le monde, rencontrer les autres peuples et découvrir leurs cultures. Cela la passionnait tant, que depuis plusieurs années, elle avait élaboré un atlas des différents peuples, y décrivant leurs modes de vie et leurs cultures. Malgré son éducation vouée à Möth, elle respectait chaque divinité et chaque croyance. Ce qui n’était pas toujours le cas de son père et de ses adeptes.

Les portes de la salle du trône s’ouvrirent sur une assemblée grouillante de courtisans. Le silence se fit et ils s’agenouillèrent sitôt que Lindelle pénétra.

La pièce était gigantesque avec ses trente mètres de long et ses dix mètres de hauteur. De grand pilier en nombre paire soutenait le plafond voûté tel une véritable cathédrale de marbre blanc. D’immenses lustres d’or parés de pierre précieuses iridescentes, pendaient aux plafonds et illuminaient la pièce d’une lueur opaline.

Le mobilier de bois rouge tranchait avec l’éclat blanc de la pièce où les immenses fenêtres, drapées d’épais rideaux de velours violet, laissaient diffusément pénétrer les rayons du soleil. Au fond, une estrade à trois marches, surplombée par des tentures de tissu violet et brodées de l’emblème du royaume de Borest, l’arbre d’argent, montait au trône de Fallard dans lequel son père était assis.

— Ma fille, je suis heureux de te revoir, dit le grand prêtre en se levant.

Lindelle s’avança jusqu’à lui, posa un genou aux pieds du trône de bois rouge, avant d’embrasser ses mains.

Le grand prêtre portait sa tenue de cérémonie : Une cape de velours violet brodée de l’emblème de Borest, enfilé sur une toge de laine blanche. Sur sa tête, la fine couronne à l’arbre d’argent était posée. A ses doigts gantés de blanc, il portait une multitude d’anneaux ornés de pierres précieuses multicolores.

— Je suis heureuse de vous revoir, père, dit-elle en se relevant, malheureusement, la mission que vous m’avez ordonnée est compromise, j’en ai peur.

— Allons ! Pas de cela pour le moment, mon enfant. Profitons de la fête ! Elle est en votre honneur, coupa-t-il sur un ton enjoué.

— Bien père…

Lindelle s’inclina devant lui, puis il frappa dans ses mains et l’assemblée se remit à grouiller.

Tout au long des réjouissances, Lindelle fit bonne figure, présentant ses hommages les plus distingués aux personnalités présente. Le protocole n’avait aucun secret pour elle, un art subtil du mensonge déguisé et de l’apparent dédain, camouflé derrière un rire discret. Une performance qu’elle maîtrisait à merveille, mais haïssait par-dessus tout.

Les convives regagnèrent leurs quartiers tard dans la soirée, mais Lindelle devait absolument parler à son père. Bien que les nouvelles qu’elle rapportait n’étaient pas bonnes, son statut de capitaine des Syndaris l’obligeait à l’en informer.

Elle frappa à la porte de son bureau qu’un valet lui ouvrit aussitôt.

— Entre ma fille, prend place, lui lança le grand prêtre d’une voix grave.

Elle s’exécuta, et s’assit dans un des fauteuils de velours blanc, faisant face au grand bureau de bois rouge. Le grand prêtre fit signe à ses valets de quitter la pièce, et ils s’exécutèrent.

— Nous avons perdu la trace de…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il la coupa :

— Je sais. Autrement il serait apparu à tes côtés tout à l’heure.

La lueur vacillante d’un chandelier éclairait la pièce et projetait des ombres sur les grandes bibliothèques qui les entouraient.

— Ne t’ai-je pas expliqué à quel point cette clé est dangereuse ? Que nous devons absolument la trouver, ainsi que son porteur, avant qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains ? dit-il d’un ton glacial.

— Oui, père, mais si vous m’aviez permis de le lui expliquer, il ne se serait peut-être pas enfui !

— Ne tentez pas de me faire porter le poids de vos échecs, capitaine Lindelle ! dit-il en se relevant brusquement, faisant voler son siège, je ne t’ai pas confié cette mission parce que tu es ma fille, mais parce que tu es capitaine des Syndaris, et que ma confiance en toi était totale ! Chercherais-tu à me décevoir ?

— Pardonnez-moi, père… nous repartons à sa recherche demain, dès le lever du jour, dit-elle en baissant la tête.

— Puis-je savoir ce qui t’empêche de repartir tout de suite ?

— Mes frères et nos chevaux doivent se reposer. Les recherches ont été longues et nous n’avons pas dormi depuis 3 jours. Nous repartirons demain matin, après une nuit de repos bien méritée, lança-t-elle sèchement en se levant de son siège.

La jeune femme mesurait facilement deux têtes de plus que le grand prêtre, mais elle avait beaucoup de respect pour lui. Au-delà d’être son père, il était avant tout son seigneur.

— Très bien. Toi et tes hommes prendrez cette nuit pour vous reposer. Cependant, tâche de reparaître, l’élu à tes côtés. Il en va de ta réputation en tant que capitaine.

Il la chassa d’un geste de la main, un sourire de dédain aux coins des lèvres. Lindelle serra les poings et acquiesça.

— Les nouvelles en provenance du mur d’Alandar sont inquiétantes… quelque chose se passe sur les terres impies, dit-il d’un ton soudainement soucieux.

— Les terres impies ? Aucune forme de vie n’y a été observé depuis des siècles !

— Ce n’est probablement rien, mais nous devons rester sur nos gardes si nous voulons maintenir la paix, dit-il en soupirant, il est temps de te reposer ma fille.

— Bien, père. Bonne nuit.

Lindelle le salua d’un signe de la tête. Au moment de passer les grandes portes de bois rouge, elle se ravisa.

— Est-ce que, par la grâce de Möth, d’autres visions vous seraient apparues ?

— Oui, celle d’une de ces abominations qui vivent dans la forêt de Flaïne.

L’air écœuré sur son visage trahissait son aversion pour la créature.

— Un Batravien ? demanda Lindelle.

— L’élu était avec l’un d’entre eux, grinça-t-il.

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