Chapitre X

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Cela faisait plus d’une heure que Lindelle et Chris avançaient sur le chemin. Même si elle progressait d’un pas rapide et assuré, Chris n’eut aucun mal à la suivre tout en profitant du merveilleux paysage qui les entourait. La forêt dégageait une incroyable énergie positive et apaisante.

— Souhaitez-vous que nous fassions une pause ?

Chris fut surpris d’entendre le son de sa voix tant Lindelle était silencieuse depuis leur départ, même si de son côté, il n’avait pas non plus tenté d’entamer une discussion.

— Oui, avec plaisir !

Il tira une outre en peau de sa besace et bu à grandes gorgées. Il offrit à Lindelle de se désaltérer, mais elle refusa.

— Avec toute cette route, vous n’avez pas soif ?

— Tout va bien pour moi ! dit-elle sèchement.

Elle semblait soucieuse, sans cesse à regarder partout autour d’eux.

— Quelque chose ne va pas ?

— Nous sommes suivis…

Le ton calme et le poids de ses mots mirent Chris en alerte. Il scruta les environs pour aider Lindelle à trouver leur poursuivant, lorsqu’un mouvement dans un bosquet juste devant eux attira son attention.

— Montrez-vous ! dit-il d’une voix gutturale et surnaturelle qui raisonna dans la forêt durant plusieurs secondes.

Penaudement, la créature sortit d’un bosquet proche et s’approcha.

— Thèoffric ?

— Pardonnez-moi, monsieur Chris. Je vous ai vus passer tous les deux sur le sentier tout à l’heure… J’ai cru que vous étiez en danger…

La mine basse et son chapeau de paille à la main, Thèoffric regarda Lindelle du coin de l’œil. Chris sauta dans ses bras pour l’embrasser, heureux de le revoir. Thèoffric lui rendit son accolade.

— Je suis si content de vous revoir, mon ami. Mais ne vous inquiétez pas, tout va bien, Lindelle m’accompagne.

Lindelle rengaina son sabre, la moue d’exaspération sur son visage attestait que la présence de Thèoffric ne l’enchantait guère.

— Excusez-nous, ami Batravien, mais nous avons une longue route devant nous. Chris, nous devons nous hâter !

Son air faussement désolé trahissait clairement son manque d’empathie à son égard.

— Je viens avec vous !

La détermination dans la voix du Batravien les surprit tous les deux. Lindelle lui jeta un regard de désapprobation et se tourna vers Chris pour chercher un soutien.

— Je suis désolé, mon ami. Nous allons chez le seigneur Andeläs. Ça risque d’être dangereux, dit Chris en posant sa main sur son épaule.

— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Chris, je ne vous abandonnerai pas une deuxième fois ! Je me dois de vous accompagner, j’en ai parlé avec les anciens et ils m’ont encouragé à vous suivre avec courage et bravoure ! dit Thèoffric, les yeux brillant de fierté.

À nouveau, la clé irradia d’une douce chaleur. En la prenant en main, Chris remarqua qu’elle était de plus en plus petite.

— Avec tout le respect que je vous dois, cher Thèoffric, répéta Lindelle avec dédains, vous ne savez pas à quel point la mission dévolue à votre ami est périlleuse !

Thèoffric lui lança un regard hautain, faignant l’indifférence en relevant sa lèvre supérieure.

— Pff ! Nous autres Batraviens n’avons peur que d’une chose : manquer le petit déjeuner ! C’est le repas le plus important de la journée ah ah ah.

Il éclata de rire tandis que Lindelle semblait bouillir intérieurement devant son incrédulité. Il tapa dans le dos de Chris avec une telle force qu’il faillit tomber à la renverse. Ses yeux l’imploraient d’accepter.

— Eh bien… je crois que nous avons un nouveau compagnon de route.

Chris se tourna vers Lindelle avec un sourire crispé. Résignée, elle haussa les épaules et soupira bruyamment.

— Bien, comme vous voudrez ! Peut-on reprendre la route à présent ? Nous avons perdu assez de temps !

Chris acquiesça de la tête, et le trio improbable se mit en marche.

La présence de Thèoffric lui réchauffait le cœur, mais Chris ne pouvait s’empêcher d’être inquiet. Il devait avoir confiance en lui. Ses capacités lui avait permis de les suivre discrètement et au pas de charge de Lindelle. Thèoffric était bien plus fort que ce que son apparence laissée paraitre.

Tout au long de leur trimard, Thèoffric régala Chris d’anecdotes et de souvenirs sur son passé et sur son peuple. Chris ne se lassait pas de l’entendre parler de la forêt, des plantes, des animaux et de ses semblables. Lindelle, quant à elle, n’avait pas prononcé un mot, marchant en avant. Les galimatias décousus de son nouveau compagnon semblaient plus l’agacer que lui plaire.

La nuit tombait doucement lorsqu’ils arrivèrent à la maisonnette. Une petite bâtisse de pierre avec un toit de chaume abîmé par le temps. De la mousse et de petites fougères avaient envahies ses murs extérieurs et lui donnait une allure de maison de contes de fées.

L’intérieur était vétuste. Le plancher de bois était couvert de poussière et de feuilles mortes, et il y avait de nombreuses toiles d’araignées aux poutres du plafond. La pièce avait été vidée de ses meubles depuis longtemps, seule restait une grande cheminée en pierre bâtie dans le mur du fond.

Thèoffric invita Chris à l’accompagner chercher du bois pour le feu, et Lindelle approuva aussitôt cette décision. Un peu de solitude et de silence loin des jacasseries du Batravien lui feraient le plus grand bien.

— Je croyais que Lindelle de Borest et ses hommes vous pourchassaient ?

— Oui, moi aussi. Mais il s’avère qu’ils voulaient simplement m’aider. Le grand prêtre Miriël semble être un érudit et il souhaite faciliter mon voyage, c’est tout.

— Je ne leur fais pas confiance ! Ni à elle, ni à son grand prêtre !

Un air suspicieux se dessina sur le visage de Thèoffric.

— On raconte beaucoup de chose sur les adorateurs de Möth et les Syndaris. Les intérêts du royaume de Borest et de son dirigeant passerons toujours avant ceux de n’importe quelles créatures du Vaste-Monde, même vous.

— Je comprends votre inquiétude, mais je n’ai malheureusement pas d’autres choix… mes connaissances sur votre monde et sur la quette qui m’incombe son bien trop mince. Je dois en apprendre plus ! Quitte à me mettre en danger !

Les bras chargés de branchage et de bûches, ils retournèrent à la maisonnette. Lindelle avait attrapé trois petits animaux semblables à des écureuils bien dodus.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Chris.

— Notre dîner !

Son ton sec et cassant n’était pas pour plaire à Thèoffric qui lui lança un regard stupéfait.

— Avec ces trois malheureux Curyœils ? J’espère que vous plaisantez, dame Lindelle ! Laissez-moi faire, je vais vous préparer un repas digne de ce nom.

Il ramassa les malchanceuses créatures, attrapa le chaudron posé dans la cheminée avant de quitter la maisonnette en trombe.

— Vous en faites pas, Thèoffric est un excellent cuisinier !

Le sourire et le ton enjoué de Chris ne parvinrent pas à ôter l’air préoccupé et le regard glaciale de Lindelle.

— Vous n’auriez jamais dû le laisser nous accompagner ! Vous êtes parfaitement inconscient !

Le visage de Chris se durcit et son sourire s’effaça.

— Ce n’est pas ma décision ! C’est la sienne ! Tout comme vous avez décidé de m’accompagner tout à l’heure, malgré la désapprobation de vos hommes !

Lindelle lui lança un regard interrogateur que Chris soutint.

— Vous non plus vous ne savez pas exactement ce qui m’attend, n’est-ce pas ? Sachez que je n’imposerais ce fardeau à personne et surtout pas à mes amis. Le choix leur appartient et à vous aussi.

Elle écarquilla les yeux de stupéfaction.

— Oh ! Parce que vous pensez sincèrement que j’avais d’autres choix que de vous accompagner ? Ma mission était de vous retrouver et de vous ramener à Sylandar, et j’ai échoué !

— Alors pourquoi ne pas m’y avoir emmené de force ? Vous et vos hommes étiez bien plus nombreux et probablement mieux entraînés que moi ! Vous n’auriez eu aucun mal à me maîtriser ! Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Lindelle détourna brusquement son regard et Chris fut surpris par cette réaction inattendue.

— Vous aussi vous l’avez ressentie, n’est-ce pas ? Vos yeux, tout à l’heure, quand vous avez pris mes mains, le même que la première fois, à la bibliothèque.

Il posa sa main sur son épaule et lorsqu’elle lui fit face, il remarqua que ses yeux étaient remplis de larmes. Elle se mordit les lèvres pour réprimer un sanglot.

— Cette énergie… croyez-moi, je n’ai rien fait pour vous imposer ce choix…

Lindelle le bouscula pour sortir de la chaumière, mais il attrapa son bras avant qu’elle ne passe la porte.

— Ne les retenaient pas !

La voix calme et le regard plein de compassion, Chris la tourna doucement vers lui. Son visage angélique était inondé de larme. Elle se laissa tomber dans ses bras, comme à bout de forces.

Une douce chaleur irradiait à son cou, et sans qu’il ne s’en rende compte, la clé disparue, absorbée par son corps. Son intense énergie parcourut ses veines, insinuant une vague de plénitude irréelle dans tous son être.

— Je la ressent… dit-elle dans un sanglot.

Tandis qu’il la serra contre lui, il sentit à nouveau cette sensation d’accomplissement, de retour en arrière impossible. Il comprit qu’à partir de cet instant, Lindelle se retrouvait liée à son destin.

Thèoffric passa la porte avec un grand sourire sur le visage et se figea aussitôt qu’il les vit enlacés.

— Euh… Je vais vous laisser finir ce… peut-importe ce que vous faisiez !

La gêne se lisait sur son visage qui passa du vert au cramoisi, et il fit demi-tour pour quitter la maisonnette lorsque Lindelle le rattrapa en essuyant les larmes sur ses joues.

— Tout va bien, maître Batravien ! Je… je vous présente mes excuses pour mon comportement de tout à l’heure…. Je serais honorée de faire ce voyage avec vous pour compagnon !

Elle lui tendit la main et Thèoffric hésita un instant. Il lança un regard interrogateur vers Chris qui lui souris. Aussitôt, Thèoffric attrapa la main de Lindelle, puis l’attira vers lui pour la serrer dans ses bras. Elle fut gênée par ce débordement d’affection, mais elle lui rendit son accolade.

Pour les régaler, Thèoffric prépara une délicieuse soupe de Curyœils avec des légumes et des herbes sauvages trouvées dans la forêt. Il passa une bonne partie de la soirée à raconter ses interminables histoires.

Cependant, les trois amis ignoraient que, tapis dans la pénombre non loin de là, une créature bien moins amicale les épiait avec attention…

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