Gälhad s’affairait en cuisine, l’heure du repas était passé depuis longtemps, mais la vaisselle n’allait pas se laver toute seule. Après plusieurs jours passé à prendre soin de leur hôte, la maison avait bien besoin d’un peu de nettoyage, et cela lui changerait les idées.

Yann ne s’était toujours pas remis du rituel de télépathie, et bien qu’il soit toujours vivant, son état ne montrait aucun signe d’amélioration. La magie que le grand prêtre avait utilisée pour lui retirer ses pouvoirs lui avait fait plus de mal que les deux frères ne le pensaient au départ. Ils avaient essayé toutes les incantations et les remèdes qu’ils connaissaient, mais aucun n’avait montrés de résultats probants. Un maléfice inconnu vidait inexorablement Yann de son énergie.

Sähadin entra en trombe, faisant sursauter son frère.

— Ils l’ont retrouvé !

— Comment ça ?

Gälhad lâcha dans l’évier l’assiette qu’il tenait.

— Il a était vu dans la forêt de Flaïne, avec Lindelle de Borest et un Batravien. Ils se dirigent vers Banklärd !

Sähadin marqua une pause pour reprendre son souffle.

— Chez Andeläs ? Accompagné de Lindelle de Borest ? Cela n’a aucun sens. Pourquoi ne l’a-t-elle pas conduit à Sylandar ? C’était pourtant les ordres de Miriël ?

Gälhad, perplexe, se mit à marcher dans la pièce, le regard perdu dans le vide, comme pour chercher des réponses cachées autour d’eux.

— C’était la chance que nous attendions. J’ai soudoyé l’un des disciples de Andeläs pour qu’il transmette un message à l’élu et qu’il nous rejoigne ici.

Gälhad se figea sur place et dévisagea son frère.

— As-tu complètement perdu la tête ! Et si c’était un piège ? Tu viens de révéler l’endroit exact où nous cachons sire Yann à un parfait inconnu ! Un disciple de Andeläs, qui plus est !

Gälhad lança un regard noir à son frère en levant les bras au ciel.

— Excuse-moi de vouloir faire avancer les choses ! Depuis combien de temps es-tu enfermé ici à prendre soin de lui sans aucun résultat ? Cela fera bientôt deux semaines que nous l’avons sorti des cachots, et rien ! Je n’ai pas eu le choix, c’était notre seule chance de le contacter avant qu’il ne soit trop tard !

Gälhad secoua la tête en croisant ses bras devant lui. Il soupira et se tourna vers la fenêtre qui donnait sur le port de Serguöa. Sähadin s’approcha de lui et posa ses mains sur ses épaules.

— Gälhad, je suis conscient que cela pourrait mettre à mal notre plan, mais je devais prendre une décision rapidement. Je suis désolé, je n’avais pas le temps de t’en parler avant de le faire.

Gälhad posa sa main sur celle de son frère tout en fixant l’horizon.

— Je comprends… tu as bien fait. Espérons que le sous-fifre de Andeläs transmettra le message à l’élu sans en lire son contenu.

— Il m’a assuré que lui et son groupe regagnaient Banklärd d’ici demain, ils ont de rapides chevaux. Prions pour que l’élu soit toujours là-bas à leur arrivée.

Gälhad se tourna vers son frère, ses yeux s’étaient remplis de larmes.

— Ne t’inquiète pas petit frère, je ferais tout pour vous protéger toi et sire Yann, tu le sais, dit Sähadin en lui souriant.

Gälhad posa sa tête sur sa poitrine, et l’enserra de ses bras minces.

— Je sais que tu feras tout pour me protéger. C’est ce que tu as toujours fait.

Pendant leur enfance dans les terres barbares aux bords du lac Tihâdo, Sähadin et Gälhad avaient toujours étaient inséparables malgré leurs six années d’écart. Leurs parents les avaient élevés modestement, mais avec tout l’amour qu’un père et une mère puissent offrirent. Malheureusement, ils disparurent sur le lac Tihâdo, un jour où ils étaient partis pécher, alors que Gälhad n’avait que huit ans et Sähadin quatorze. Livrés à eux même, les deux frères se firent alors le serment de toujours prendre soin l’un de l’autre.

Les temps furent rudes, et malgré la petite maison de bois et les poissons que Sähadin péchait en nombres, ils eurent souvent froid et ne mangèrent pas tous les jours à leur faim.

Quand Sähadin eut 19 ans, ils prirent la décision de quitter les rives du lac Tihâdo pour rejoindre Serguöa et les perspectives d’emplois qu’offrait la grande ville. Sur place, Sähadin n’eut aucun mal à se faire embaucher comme marin, ses aptitudes naturelles et développées pour la pêche, lui permirent de gagner assez d’argent pour acheter une maison, et offrir une vie sans famine à son petit frère.

Gälhad, pour sa part, n’était pas très manuelle, préférant les poussiéreux livres de la grande bibliothèque à l’air marin du grand large. Après de longues études, il devint scribe pour la guilde du commerce. Un poste respectable et confortable, qui leur permit de s’offrir une maison plus grande et plus cossue.

Depuis, les deux frères avaient toujours vécu ensemble. Et même si les conquêtes de Sähadin furent nombreuses, il ne s’était jamais engagé sérieusement avec aucune d’entre elle.

Gälhad, quant à lui, n’avait d’yeux que pour les livres, tant sa soif de connaissance était insatiable. Il passait le plus clair de son temps à lire, se plongeant des journées entières dans des recueils, opuscules et autres atlas. Pourtant, il lui arrivait parfois de se perdre à rêver de voyage en examinant des portulans anciens.

— Crois-tu qu’elle soit toujours au bord du lac ?

— De quoi parle tu ?

— La maison de notre enfance. Parfois, je rêve que nous y retournons et que papa et maman sont là à attendre notre retour…

La voix de Gälhad se brisa.

— Ils me manquent encore beaucoup, tu sais.

Sähadin le serra encore plus fort contre lui.

— Ils me manque à moi aussi, dit-il en tentant de réprimer un sanglot, un jour, quand tout sera terminé, je te promets que nous y retournerons.