Chapitre XVI

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Lorsque les Syndaris regagnèrent la forteresse de Sylandar, la nuit était tombée depuis longtemps et le château, toujours très animé, semblait abandonné, tant il était silencieux. Pour ne pas déranger la population, les cors de l’armée ne sonnaient plus après le coucher du soleil.

Jaïrôm, le capitaine suppléant de Lindelle, poussa les grandes portes du château et ses compagnons le suivirent à l’intérieur.

— Faites réveiller le grand prêtre, nous avons un message de la plus haute importance à lui délivrer en personne, lança-t-il au majordome venu les accueillir.

— Le grand prêtre a demandé qu’on ne le dérange sous aucun prétexte !

Le domestique cracha ses propos sur un ton cassant, si bien que Jaïrôm lui lança un regard noir, puis se pencha vers lui en le dévisageant.

— Contente-toi d’obéir et de lui transmettre ma requête, valet ! Et apprends à rester à la place qu’est la tienne !

Le servant ravala sa salive face à l’imposant soldat qui faisait deux têtes de plus que lui et le double de son poids.

— Bien monseigneur, je ferais le nécessaire pour que le grand prêtre soit informé de votre demande d’audience au plus vite.

Le serviteur effrayé disparut rapidement au bout du grand couloir. Jaïrôm fit signe à ses compagnons qui, sans plus de convenance, empruntèrent le grand escalier pour rejoindre leur quartier.

À l’exception de Lindelle qui disposait de sa propre chambre individuelle au château, les Syndaris partageaient un espace commun. Le troisième étage était spécialement aménagé pour eux avec tout le confort due à leur rang. Ils dormaient tous dans une immense chambre fastueuse, dans laquelle de grands lits de Fallard étaient installés en rang, surmonté par des baldaquins de velours qu’ils pouvaient ouvrir et fermer à leur guise. Hommes et femmes étaient logées à la même enseigne, sans distinction de sexe, que ce soit pour le dortoir ou la salle de bain commune. Cependant, personne en dehors de quelques domestiques triés sur le volet, n’avait le droit de pénétrer dans leur quartier, sous peine de sévères sanctions.

Les Syndaris ne possédaient pas de grandes quantités de biens. Leur vie étant dévolue à la sécurité de Sylandar et de son seigneur, ils ne pouvaient garder que les objets ou biens familiaux impérieux, tels que des portraits ou bijoux de famille. Le reste de leurs richesses était offert au trésor de Sylandar.

Les jeux de l’amour ne leur étaient pas interdits, mais d’aucun les considéraient comme une distraction frivole, car un Syndar se devait de rester appliqué à la tâche qui lui était dévolue. La grande majorité d’entre eux faisait donc vœux de chasteté.

Ils ne bénéficiaient pas d’un salaire comme des soldats ordinaires, car leur rang très spécifique leur offrait gîte et couvert en permanence dans tout le royaume de Borest, et même dans certaines régions alliées. La réputation des Syndaris dépassait largement les frontières du pays de Borest, mais jamais dans toute leur histoire, l’un d’entre eux n’avait profité de ce statut privilégié à mauvais escient.

Le lien qui les liait à leur seigneur allait bien au-delà du simple lien militaire qui unit un soldat à son général. Lorsque le rituel Syndar était pratiqué, le serment d’allégeance que l’aspirant prononçait était considéré comme un contrat divin entre lui et son souverain, le liant, par la grâce de Möth, au destin de son seigneur. Un Syndar ne pouvait être libéré de sa fonction qu’à sa propre mort ou à celle de son protégé, si toutes fois le trépas était de causes naturelles. Car si le souverain venait à mourir assassiné, tous les Syndaris sans exception devaient se trancher la gorge avec leur dague d’or, en signe de pénitence pour l’échec de leur divine mission. Un cas de figure qui ne s’était jamais présenté jusqu’alors.

Après pas loin de deux jours de voyage, Jaïrôm et ses frères étaient exténués. Certains s’affalèrent sur leur lit sans prendre le temps de se déchausser, tandis que d’autre s’empressèrent de foncer prendre un bain chaud.

Jaïrôm faisait les cent pas dans le grand couloir qui séparait le dortoir de la salle de bain. Il devait trouver les mots justes pour annoncer au grand prêtre que Lindelle avait désobéi à ses ordres.

Bien qu’elle soit sa fille, jamais il n’avait montré quelconque favoritisme à son égard, dès lors qu’elle eut intégré les Syndaris, et encore moins lorsqu’elle fut promue capitaine. Au contraire, il l’avait souvent brimée sans réelle raison, lui faisant porter l’irresponsabilité de certains de leurs frères comme sa propre erreur. Cependant, Lindelle n’avait jamais haussé le ton ou même tenté de se justifier. Elle acceptait, toujours avec la plus grande dignité, les critiques et les remarques acerbes de son seigneur et père.

— Sire Jaïrôm ?

La voix du serviteur le fit sortir de ses pensées.

— Le grand prêtre va vous recevoir dans un instant. Veuillez patienter dans le petit salon, à côté de son bureau.

Il fit un signe de tête, tourna les talons, et disparu aussi vite qu’il était apparu.

Un sentiment de malaise s’empara de Jaïrôm tandis qu’il s’apprêtait à emprunter l’immense escalier de marbre blanc. Les gigantesques lustres d’or ornés de pierres précieuses, qui pendaient en son centre, faisaient danser des éclats multicolores sur les murs immaculés. Les tentures brodées de l’arbre d’argent qui pendaient sur les côtés, se balançaient doucement au gré des courants d’air. La pâle lueur spectrale des trois lunes qui traversée les grandes fenêtres ovales, formait des cercles bleutés sur les différents paliers.

Arrivé au cinquième et dernier étage, celui réservé au seigneur de Borest, Jaïrôm pénétra dans le petit salon. Le grand prêtre n’était pas encore là. La pièce, de belle taille, était joliment meublée. En son centre trônaient quatre fauteuils en velours blanc, entourant une table basse en bois rouge sculpté. Des peintures de tailles diverses, représentant des ancêtres ou des scènes de la vie quotidienne, étaient accrochés aux murs de marbre. Un feu brûlait dans l’immense cheminée au-dessus de laquelle un immense tableau était accroché. Une scène de bataille représentant le roi Pliöth, son cheval cabré prêt à retomber sur une représentation floutée du seigneur Vilainard Osth. Plusieurs appliques à bougies éclairaient l’endroit d’une douce lumière ambrée.

Jaïrôm s’approcha de la grande baie vitrée à croisillons qui s’ouvrait sur un petit balcon, d’où la vue était spectaculaire. Le pays de Borest s’étalait à perte de vue, baignant dans la lumière blafarde des astres lunaires.

— Bonsoir, capitaine suppléant.

Le grand prêtre avait pénétré dans la pièce avec tant de discrétion, que Jaïrôm se tourna brusquement vers lui, surpris dans sa rêverie.

— Mon domestique m’a prévenu que tu avais une requête urgente à formuler. Je suppose que cela à un rapport avec Lindelle et l’élu.

Miriël s’assit dans l’un des fauteuils, face au jeune homme.

— Mon seigneur.

Jaïrôm fit une révérence puis s’apprêta à s’asseoir, mais le grand prêtre l’arrêta de la main, secouant la tête pour lui signifier de rester debout.

— Hum… Nous avons retrouvé l’élu.

— Et où se trouve-t-il ?

— Le capitaine Lindelle est resté avec lui pour l’accompagner à la forteresse de Banklärd, rencontrer le seigneur Andeläs. Il ne lui a pas laissé le choix, votre grandeur.

Jaïrôm eu du mal à ravaler sa salive tant le regard de Miriël le mettait mal à l’aise. Il se releva brusquement de son siège, lançant un regard noir au soldat.

— Pas laissé le choix ? Vous ? Les Syndaris ? L’élite des mercenaires du Vaste-Monde ? Vous n’avez pas eu d’autres choix face à un seul homme ?

Les yeux de Miriël se mirent à briller d’un éclat rouge menaçant, poussant Jaïrôm d’un pas en arrière.

— C’est que... ses pouvoirs sont très impressionnants.

La voix tremblante du soldat trahissait la peur qu’il tentait de cacher.

— Il suffit ! Incapable ! hurla le grand prêtre en projetant sa cape de velours violet en arrière.

Subitement, les flammes de la cheminée redoublèrent de force, se transformant en brasier. La porte-fenêtre s’ouvrit violemment, laissant entrer un courant d’air glacial qui fit virevolter les rideaux de voile en tous sens. Jaïrôm tomba en arrière de terreur.

— Lindelle n’en finira donc jamais de me décevoir ! À l’heure qu’il est, l’élu a certainement absorbé totalement le pouvoir de la clé, il n’en sera que plus difficile de l’en défaire !

Une flamme de fureur malsaine brillait dans les yeux du grand prêtre. Jaïrôm ne put se relever, tétanisé par la peur.

Soudain, la porte-fenêtre se referma doucement et le feu retrouva une combustion normale.

— Approche, Jaïrôm.

Le grand prêtre, tourné vers la cheminée, le regard perdu dans les flammes, semblait avoir retrouvé la raison. Peu rassuré, le soldat se releva et s’approcha timidement de son seigneur. Celui-ci se tourna vers lui et l’attrapa par les épaules, un sourire aux lèvres.

— Toi et les Syndaris allaient les retrouvés ? Vous allez les ramener à Sylandar, n’est-ce pas ? Capitaine Jaïrôm ! Cela sonne bien, tu ne trouves pas ?

Son rictus et son regard était ceux d’un fou vide d’une âme saine.

— Que voulez-vous dire, mon seigneur ? Je ne suis que suppléant au capitaine Lindelle.

La voix tremblante, Jaïrôm tenta de se défaire des mains du grand prêtre qui l’agrippaient fermement.

— Lindelle ne sera pas capitaine pour toujours, tu sais. Qui mieux que toi, un jeune homme robuste et obéissant, pour la remplacer ?

Un voile noir floua les yeux de Miriël et la couleur de son visage passa du cramoisi, a un blanc laiteux en quelques secondes. Un teint cadavérique.

— Bien, monseigneur… nous les retrouverons au plus vite !

Le grand prêtre retira ses mains glacées des épaules du soldat qui, sans demander son reste, quitta la pièce au pas de course.

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