La Loi du Plus Riche

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La Troisième Loi…
Celle du Plus Riche.
Là encore, je découvris à mes dépends toutes les subtilités de choses dont j’ignorais tout, depuis l’alpha jusqu’à l’oméga. Mes résultats scolaires avaient toujours été des plus parfaits. Certains de mes camarades se seraient contentés d’un score qualifié d’honorable, voire de tout juste suffisant. Moi, entre deux séances de kinésithérapie après quelque secousse rageuse d’un des cancres qui me vouaient sans cesse aux plus délicats traitements, j’affichais des résultats d’une insupportable perfection. De mémoire d’écolier, je ne me souviens pas d’une note inférieure au maximum possible. Il est vrai que j’ai toujours possédé cette incroyable capacité de comprendre les choses, tous domaines et toutes disciplines confondus, avec un minimum d’effort, c’est-à-dire lire, mémoriser et comprendre dans la foulée. J’avoue à ma grande honte que, jamais, je ne fis un quelconque devoir à la maison, m’escrimant à les faire pendant les cours que dispensaient nos doctes enseignants. Ceci pour m’épargner toute perte de temps inutile pour rejoindre mes multiples cachettes pour éviter les affreux jaloux qui prétendaient me faire rendre gorge à chaque nouvelle note parfaite reçue.
Il me faut rappeler que le chemin qui menait de l’école à la maison me prenait parfois plusieurs heures afin d’éviter toute mauvaise rencontre. A mes parents inquiets de me voir rentrer si tard, je disais que j’avais aidé quelque ami dans la détresse de ne pas comprendre une misérable petite équation, voire une simplissime explication de texte. Attendris, mes parents me passaient alors une main douce sur la tête en souriant. Ensuite, profitant de cette main sur ma tête, ils m’arrachaient presque les cheveux pour me traîner dans la salle de bain où ils m’expliquaient à forte voix que je ne devais jamais nuire à leur tranquillité devant leur poste de télévision parce que je tardais à rentrer. Les carrelages fendus se souviennent encore des multiples rencontres de mon front sur leur surface dure et lisse. Combien de litres de sang n’ai-je alors laissé sur eux tout au long de ces insouciantes années d’apprentissage ?  Et quel merveilleux sens de l’organisation mes géniteurs n’avaient-ils pas ? En effet, ne me laissaient-ils pas presque inconscient dans le lieu idéal à ma survie, même s’il me fallait rester plongé pendant des heures dans des comas plus ou moins profonds après leurs savants enseignements des règles sociales et familiales, à proximité de cette fameuse pharmacie accrochée au mur de la seule pièce de cet appartement où je pouvais consacrer un peu de temps à ma modeste personne ? Dieu les bénisse d’avoir eu cette sage prévenance à mon égard, prévenance sans laquelle je ne pourrais probablement relater les petits évènements d’une vie sans grand relief. Qu’ils reposent en paix, à la droite de Celui qui sait et comprend tout. Et qu’ils y restent pour les siècles des siècles, si possible !
Mes résultats scolaires furent donc tout simplement exceptionnels. Personne n’ayant jamais vu leur équivalent, les portes des Universités les plus prestigieuses me furent donc ouvertes. Je n’eus que l’embarras du choix. Aussi, pour m’aider, les représentants des plus courues dans le monde se déplacèrent pour tenter de me convaincre d’en choisir une, la plus prestigieuse si nécessaire, quitte à ce que l’élue de mes choix me finançât l’intégralité de mes études.
Les offres furent si nombreuses que je me trouvais bien en peine d’en choisir une seule. C’est ainsi que, pendant de longues semaines sur mon lit d’hôpital, lieu parfait pour me remettre d’une fête improvisée par tous les Plus Forts et toutes les Plus Belles du lycée que je devais quitter bientôt, je cogitais comme un désespéré pour choisir quelle Université ferait mon avenir.
Finalement, c’est un autre Plus Fort, un ancien que je ne connaissais pas, qui se chargea de m’expliquer à grands coups de pied dans les côtes qu’il me suffisait de signer le contrat qu’il avait dans les mains. Les côtes fêlées sont un obstacle puissant pour expirer l’air dont on a besoin pour articuler la moindre parole, y compris le plus simple assentiment. Ainsi, privé de mon souffle pendant de longues minutes, cet envoyé un peu particulier s’acharna longtemps sur mon cas, pensant que j’hésitais encore à donner réponse positive à son offre si gentiment soumise. Muni d’un coefficient intellectuel très inférieur à celui d’un poulpe, il n’avait pas compris que je le lui donnais de bon cœur, cet accord. Heureux les simples d’esprit ! C'est grâce à ses bons soins que je décidais donc, sans le savoir complètement, que j'abandonnais mon envie de me perfectionner dans l'Art d'Esculape pour me consacrer pendant la presque décennie à venir aux indicibles joies de la découverte de la physique nucléaire. Il avait décidé pour moi que je serais plus utile à l'Humanité si je devenais expert dans le développement d'armes de destructions massives. Ce que je devins quelques années plus tard, en effet. Loué soit ce saint homme qui avait su, avant tout le monde et même avant moi de ce qui serait le mieux pour tout le monde !
Quelques semaines plus tard, encore encombré des plâtres qui achevaient la consolidation de tous mes membres rompus, j’arrivais enfin à mon premier cours à Oxford, lieu chéri des plus grands savants du monde. J’avais eu le temps d’en découvrir les premiers bâtiments. En effet, quelques élèves déjà très favorables à mon séjour parmi eux s’étaient chargés de me faire goûter aux parquets anciens et bien cirés des lieux, me rappelant mes jeunes années sur les bitumes ondulés…
Quel bonheur ce fut moi de constater que l’âge des Plus Forts ne changeait en rien leur ardeur à m’apprendre le sens de la douleur, de la honte, du mépris, et de pas mal d’autres choses de ce genre !
Pourtant, je parlais plus haut d’une Troisième Loi que je tarde encore à exposer…
Comment décrire celle-ci ? Les Mots me manqueraient presque.
Pour faire simple, il conviendrait d’expliquer qu’elle est celle visée par les tenants des deux premières Lois. En effet, celle du Plus Riche permet aux Plus Forts et aux Plus Belles de s’arroger tous les droits possibles sans jamais s’inquiéter des conséquences de quelque erreur, passagère ou non. Il est important de bien comprendre que le Plus Riche peut tout se permettre, tout s’offrir, tout imposer. Bref, tout faire en ce bas monde sans craindre le moindre reproche ou, plus simplement, sans redouter de goûter un jour au goût subtile d’un bitume ou, encore, de se retrouver totalement couvert de plumes de poulet collées grâce à une épaisse couche de goudron qu’une bande de joyeux lurons se serait chargée d’appliquer à chaud sur une peau tendre et rose. Comme ce fut mon cas en fin de premier semestre dans cette belle et bienveillante Université d’Oxford. Comme nous rîmes alors ! Eux de me voir ainsi accoutré et moi, riant à belles dents pour ne pas décevoir celle qui, une arme braquée sur ma tempe, craignait à tort de me sentir courroucé ou simplement humilié !
Il est temps d’expliquer que l’exceptionnelle qualité de mes facultés intellectuelles ne pesaient rien en regard des comptes bancaires des richissimes enfants de ministres, d’aristocrates divers et antiques, de milliardaires, voire plus modestement millionnaires et autres rejetons de capitaines d’industrie. Non ! Un 20/20 en mathématiques quantiques ne vaut rien face à la haine souriante d’un imbécile fortuné qui sait d’avance qu’il obtiendra tous ses diplômes sans se donner une fois la peine d’assister aux cours d’une année scolaire qui, s’il y participait, nuiraient considérablement aux voyages aux antipodes programmés de longue date avec quelque Plus Belle soucieuse de goûter avant tout le monde aux plaisirs capiteux d’une vie paradisiaque.
Maintes fois, je fus moqué de la modestie de ma mise. Maintes fois je dus rentrer à pied dans mon pauvre studio à l’autre bout de la ville parce qu’un ami prévenant avait pris soin de me dérober ma carte de transports urbains, souhaitant à n’en pas douter la présenter à ses compères qui, les malheureux, allaient jusqu’à ignorer qu’il existait en ce monde des moyens de transports souterrains, surchauffés l’été, glaciaux l’hiver, toujours surchargés d’une plèbe qu’ils n’avaient jamais côtoyée non plus.
Quand j’eus économisé assez d’argent pour m’offrir ma première bicyclette, ils n’eurent rien de plus pressé que de m’en soulager, soucieux peut-être de me soustraire à tous les infinis dangers de la conduite sur route. Un peu plus tard encore, arrivant avec fierté sur le parking de l’Université,  je garais ma première voiture, une très vieille guimbarde qui, malheureusement, pris spontanément feu dans l’heure suivante. Un peu surpris, je finissais par conclure que je ne devais pas envisager plus longtemps de me déplacer autrement que par mes propres moyens. Au moins le temps de conclure mes sept premières années d’études en physique nucléaire.
Que ces années furent belles, elles aussi ! Et jusqu’à leur dernière seconde…
Et pleines de surprises aussi.
J’en veux pour preuve cette belle cérémonie ancestrale qui consiste en la remise des diplômes.
Bien sûr, un épais cordon policier m’entourait pour me protéger en ce jour mémorable. De la sorte, personne ne put perturber cet évènement que le Prince de Galles lui-même avait décidé d’honorer de sa présence tant mes résultats stupéfiaient le monde de l’Enseignement.
Pourtant, quand vint le moment d’envoyer nos toques noires en l’air comme le veut la coutume, une forte détonation se fit entendre, figeant tout le monde, sauf les policiers qui se ruèrent d’un seul et magnifique mouvement sur moi et sur le Prince, profitant de l’occasion pour me casser six côtes, à la demande générale des élèves qui scandaient mon nom avec vigueur. Et jamais on ne retrouva ma toque. Surprenant, n’est-ce pas ?
Un nouveau bilan s’imposait pour moi au terme de ces belles années.
Cette fois-ci, la réponse m’arriva très vite. Cette réponse, joliment exposée dans un petit cercueil à mon nom, arrivée sans réelle explication dans ma boîte à lettres, m’incitait fort judicieusement à ne pas entrer dans le monde restreint des surdoués de l’atome, qu’il fût militaire ou civil…
Après un milliardième de seconde de réflexion, je me suis dit que c’était un excellent conseil que j’allais suivre sans plus tarder.
Je quittais donc Oxford et son merveilleux séjour pour ne plus jamais y revenir.
De nuit, pour ne gêner personne et sous une fausse identité.
Pendant le chemin qui menait de l’école à la gare, puis dans le train qui me déposa près du port où j’embarquai pour quitter l’Angleterre, je me fis la réflexion qu’aucune profession dans ce monde ne pourrait jamais me convenir.
Sauf une.

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