Chapitre 2 – Le garçon discret
On dit souvent que l’adolescence est le moment où l’on se cherche.
Moi, c’est à cette période que j’ai commencé à m’effacer.
Mais ce glissement avait commencé bien avant.
Depuis l’enfance.
J’ai grandi sans père.
Pas de voix grave pour poser les limites, pas de modèle auquel m’accrocher.
Juste des absences et des silences.
Et un vide que personne ne semblait voir.
Chez moi, on ne parlait pas de ce qu’on ressentait.
J’étais un enfant calme, obéissant.
On me trouvait sage.
Mais ce qu’on appelait sagesse, c’était déjà du repli.
À la maternelle, j’étais déjà fasciné par certaines présences masculines.
Pas par désir, mais par instinct. Par besoin.
Je cherchais à plaire. À être vu. À être choisi.
Et parfois, dans cette confusion enfantine, des frontières se sont brouillées.
Je n’avais pas les mots.
Juste un souvenir étrange : celui de gestes que je ne comprenais pas, mais que je ne refusais pas non plus.
Parce que c’était le prix de l’attention.
Et à cet âge-là, on accepte tout ce qui ressemble de loin à de l’amour.
Puis l’adolescence est arrivée avec d’autres silences.
Les autres garçons parlaient de filles, riaient fort, s’affirmaient.
Moi, je regardais leurs voix. Leurs gestes. Leurs corps.
Et je sentais que quelque chose en moi ne correspondait pas.
Alors j’ai commencé à jouer un rôle.
À rire des mêmes blagues.
À répondre ce qu’on attendait.
Je suis devenu un caméléon social.
Mais plus je m’adaptais, plus je disparaissais.
Chez nous, Dieu occupait beaucoup de place.
On parlait de pureté, de péché, de salut.
Et moi, je priais pour changer.
Je priais pour devenir “normal”.
Mais les prières ne changeaient rien.
Elles enfouissaient juste un peu plus la honte.
J’aurais aimé, à cet âge, qu’un adulte me voie.
Qu’il me dise :
“Tu n’as pas à te cacher. Tu as le droit d’être toi.”
Mais personne ne l’a dit.
Alors j’ai appris à me taire.
Et je crois qu’à ce moment-là, j’ai commencé à me perdre pour de bon.
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