Chapitre 5 – Ce que je n’arrivais pas à nommer

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Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que Christian est arrivé, je sens que quelque chose a changé à la maison. Ce n’est pas flagrant. Pas violent. Juste… un décalage. Comme un meuble déplacé d’un centimètre. Tu ne le vois pas tout de suite, mais tu te prends les orteils dedans.

Il s’installe doucement. Comme s’il avait toujours été là.

Maman est contente. Elle sourit plus. Elle dit que ça lui fait du bien d’avoir “un homme à la maison”, même si elle le dit en riant.

Et lui, Christian, il est… gentil. Trop gentil, peut-être. Il parle doucement, il observe beaucoup.

Le matin, il est déjà levé avant moi. Je le retrouve souvent dans la cuisine, un café à la main, torse nu, à feuilleter des journaux comme s’il comprenait tout du monde.

— Tu dors tard, Aurore, m’a-t-il lancé une fois, sans méchanceté.

— Je dors comme je peux, j’ai répondu en me servant de l’eau.

— T’as l’air souvent fatigué, non ?

— Je sais pas. C’est comme ça.

Il m’a regardé. Un regard un peu trop long. Pas désagréable. Mais pas neutre non plus.

Je n’ai rien dit.

Dans la journée, il traîne un peu partout. Il sort, il revient. Il s’allonge souvent sur le canapé, téléphone en main. Parfois, il me demande ce que j’écoute dans mes écouteurs. Ou ce que je lis.

Il m’appelle “petit philosophe” avec un sourire.

Ça ne m’énerve pas. Mais je n’aime pas trop non plus.

Un soir, j’étais dans ma chambre. La porte n’était pas fermée.

Il est passé. Il s’est arrêté.

— Tu fais quoi ?

— Je lis, j’ai dit.

— Tu veux pas sortir un peu ? Il fait beau.

— Non.

— Ok. Je te laisse…

Il est resté encore deux secondes de trop, puis il est parti.

Et moi, j’ai relu la même phrase dix fois sans la comprendre.

Le lendemain, il m’a proposé d’aller acheter des glaces.

J’ai dit oui.

On a marché dans le quartier. Il parlait beaucoup. Il racontait son boulot qu’il avait arrêté, ses voyages, ses “expériences”.

Je l’écoutais à moitié. Je regardais surtout les gens autour. J’essayais de me demander ce qu’ils voyaient : un garçon avec un homme plus âgé, ça ne choque personne.

Mais moi, je sentais bien que quelque chose ne tournait pas rond.

Pas encore dangereux. Juste… un peu trop près.

Quand on est rentrés, il a posé la main sur mon épaule.

Comme un geste amical.

Mais sa main a glissé un peu.

Juste un peu.

Et je n’ai pas su quoi faire.

Je n’ai rien dit.

Je suis juste monté dans ma chambre.

Et ce soir-là, en me couchant, j’ai compris :

Ce n’était pas moi qui étais bizarre.

Quelque chose avait changé dans l’air.

Et je ne savais pas encore si c’était grave.

Mais je savais que je ne pourrais pas faire semblant très longtemps.

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