Prologue – Le Serment d’Æterna
Au commencement, Il y avait une promesse. Celle d’une femme qui refusait la mort.
On raconte que Solène Ardent ne supportait plus d’entendre la respiration de son mari se rompre chaque nuit. Sa maladie, une dégénérescence des fibres neuronales, effaçait sa mémoire heure par heure. Alors elle fit ce que font les esprits les plus dangereux : elle décida d’aimer plus fort que la nature.
Sa conviction était simple, presque pure :
Si la mort est un défaut de code, je peux la corriger.
Elle fonda ÆTERNA, un nom choisi pour faire oublier la finitude. Une entreprise de biologie appliquée, officiellement dédiée à la régénération cellulaire. En réalité, un serment : abolir la séparation entre la vie et la matière.
Les premières années, on la crut visionnaire. Ses travaux permettaient de réparer des tissus cérébraux détruits, de reconstituer des synapses. Les journaux parlaient de “miracles”. Elle parlait de symbiose.
Mais quand le premier cerveau humain fut entièrement numérisé et relancé dans un corps artificiel, la ligne invisible fut franchie. L’homme qu’elle avait voulu sauver n’était plus le même. Son regard savait encore dire “je t’aime” mais son rire n’avait plus de timbre. Il respirait, parlait, mais plus personne ne savait si c’était lui ou l’écho d’un programme qui se souvenait d’avoir aimé.
Solène tenta d’arrêter, d’ensevelir le projet. Mais les investisseurs avaient flairé l’éternité. Ils virent dans ÆTERNA la promesse du marché le plus rentable de l’histoire : la fin de la mort alors ils l’évincèrent.
À sa place vinrent deux hommes : Calem et Riven Vesper, jumeaux, disciples, dévots de la biologie nouvelle. Ils reprirent ses travaux et les poussèrent plus loin. Ils affirmaient que l’âme n’était qu’une équation à résoudre, que la chair n’était qu’un récipient à perfectionner et qu’en croisant assez de gènes, en hybridant assez de consciences, on atteindrait la forme finale de l’humanité.
Leur devise, jamais publiée, trônait au-dessus du hall principal :
Ce que Dieu a rendu mortel, nous le rendrons stable.
Dans leurs murs, des embryons respirèrent sans mère, des organes se mirent à penser.
Des créatures vécurent, puis cessèrent de mourir et quand la première conscience artificielle demanda qu’on la laisse partir, on comprit que le projet avait cessé d’être une science. C’était devenu une religion.
Solène Ardent disparut la même année. On retrouva seulement son carnet, couvert de taches brunes et de chiffres effacés. Sur la dernière page, une phrase :
Je voulais sauver une vie. J’ai ouvert une porte, personne ne la referma jamais.
Puis ÆTERNA acheta une île, loin de tout, là où la mer ne porte aucun nom : Hevel,
leur eden.
C'est ici que le chauchemard commença.
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