Chapitre 1 : Un monde en perdition
En cette fin de journée printanière, le soleil atteignait son crépuscule. Dans une petite maison d’un quartier chic parisien, Délia contemplait le monde depuis sa fenêtre. Dans cet univers où elle préparait son combat, elle voyait se dessiner un déclin marqué par une régression écologique. Derrière les hauts bâtiments, elle distinguait une épaisse fumée qui se dégageait en une lueur infinie. Elle se demandait combien de produits nocifs produisait cette usine et quelles conséquences cela pouvait avoir pour la planète. Au plus profond de son subconscient, elle entendait la Terre crier de souffrance.
Elle lâcha cette vue insoutenable pour revenir au premier plan, sa rue. Son regard se fixa sur un camion qui passait en trombe. Une épaisse émanation noire formait un nuage qui fouetta le visage d’une mère et de son enfant. Elle n’osa imaginer combien de substances chimiques ils ont pu respirer.
Ces visions désastreuses renforçaient ses convictions et son combat pour la protection de l’environnement. Cette jeune femme pleine de vie ne souhaitait qu’une adéquation avec la nature. D’un coup, un claquement de porte interrompit ses pensées.
— Salut, il y a quelqu’un ?
— Papa, je suis dans ma chambre, je descends.
Elle se précipita et dévala les escaliers deux par deux pour sauter dans ses bras. Elle l’enlaça très fort.
— Alors, ta journée, ma chérie ?
— Très bien, la routine : la fac, les devoirs, maintenant la cuisine. Et toi, comment s’est passée la tienne ? Comme tu voulais ? lança-t-elle sur un ton ironique.
— Très bien, juste une petite déconvenue, mais rien de grave.
— Bon, c’est pas tout, il est tard, je dois préparer la table.
— Ok, je vais prendre une petite douche. En fait, ton frère n’est toujours pas rentré ?
— Euh, non. Tu sais bien qu’il est amoureux en ce moment. À mon avis, il ne sera pas là pour le dîner !
Elle apprêta une belle table bien garnie, digne de son talent de cuisinière. Ils s’installèrent. Elle profita de ce repas pour faire une révélation à son père, sur un projet qu’elle mûrissait depuis des mois. Avec sa meilleure amie Malika, elles avaient pour objectif d’organiser un voyage au Québec. Leur but ne se résumait pas à un loisir. Elles œuvraient pour une cause environnementale, dans le but de développer leur militantisme.
Leur quête était orientée vers la rencontre du peuple autochtone, les Inuits, qui vivaient dans les réserves naturelles du nord du Québec. Son père connaissait l’engagement de sa fille sur la question écologique. Elle s’y intéressait depuis ses quinze ans.
Sa vocation pour ce peuple avait commencé par une correspondance scolaire avec Anoki, un habitant d’un village de la région du Nunavik. Pendant ces nombreux échanges datant de l’époque du lycée, elle s’imprégnait de leur culture, de leur façon de vivre et de leurs traditions. Pour donner suite à ces prémices, elle décida, avec Malika, d’organiser ce voyage. Elles comptaient apporter leur contribution par des actions humanitaires mais aussi par des opérations coup de poing.
Délia n’avait pas l’approbation de son père, qui était frileux à l’idée de voir sa fille partir si loin. Il ne tarda pas à lui faire savoir :
— Tu sais, ce n’est pas une bonne idée d’aller dans un village perdu à l’autre bout du monde. C’est dangereux.
— Papa, j’suis plus une enfant. J’ai vingt et un ans, je suis responsable. Ne t’inquiète pas, je ferai attention !
— Non, je n’ai pas envie de revivre ça ! dit-il d’un air pensif en regardant le ciel.
— Quoi ? Pourquoi « revivre ça » ? s’étonna-t-elle.
— Rien, rien… Je pensais à une histoire avec ta mère. Désolé, je mélange tout.
Elle le sentit perturbé par sa déclaration et s’empressa de le prendre dans ses bras. Entre deux bouchées, elle le rassura. De toute façon, il dut céder face à sa pugnacité et sa détermination. Il connaissait son caractère bien trempé et son désir de changer le monde. Elle s’apparentait à ces défenseurs qu’on comparait à des soldats nés pour protéger leur nation. Incomprise comme eux qui se battaient tous les jours. Elle construisait sa vie autour de ce combat. Toute son aura existait grâce à l’écologie. Son père, dans une impasse, abdiqua.
Délia, cette femme forte et fragile à la fois, ne supportait pas l’injustice. Sa silhouette élancée en disait long. Ses traits fins et expressifs révélaient à la fois sa force intérieure et sa sensibilité. Ses yeux, d’un vert naturel, reflétaient la détermination et une certaine mélancolie, témoins des épreuves passées. Ses cheveux bruns, relevés avec finesse, encadraient son visage avec légèreté. Son allure dégageait une authenticité naturelle, elle était l’ombre de son combat pour la nature.
Elle étudiait le quotidien des Autochtones avec assiduité. Elle connaissait leurs persécutions, leurs difficultés à s’insérer et surtout l’inégalité sociale qu’ils avaient subie pendant des siècles. Elle souhaitait apporter une aide logistique et matérielle. Même une cagnotte en ligne avait vu le jour pour prouver son engagement. Face à ses propos, son père fut convaincu. Il avait toujours apprécié l’implication de sa fille dans cette bataille.
Leur discussion fut interrompue par l’arrivée impromptue de Noé, le petit frère, qui entra d’un pas franc dans le salon.
— Désolé pour le retard. En mai, la nuit tombe tard, je n’ai pas vu le temps passer. J’vois que vous avez déjà bien avancé dans le repas.
— On n’allait pas manger froid pour tes beaux yeux ! répliqua Délia.
Il ne releva pas et s’attabla de sa haute silhouette longiligne. Noé, dix-neuf ans, loin d’être mature, était dans le délire jeune geek. Délia, très jeune, avait exercé des responsabilités. Depuis le décès de sa mère, elle avait pris tôt les rênes du foyer. Elle avait dû grandir vite pour s’occuper de la maison et de son petit frère qu’elle couvait trop. Son père gérait seul le foyer, il n’avait jamais refait sa vie. Il s’absentait souvent à cause de son activité professionnelle. Le grand paradoxe, il possédait plusieurs usines. Il partait tôt et rentrait très tard. Ils vivaient dans un luxe flagrant, avec une femme de ménage et une cuisinière qui s’occupaient de la maison la journée. Mais la vision de Délia semblait loin de cette image matérialiste, elle préférait se débrouiller seule.
Son père était assis à sa droite, Noé en face. À sa gauche, des couverts dressés devant une chaise vide complétaient le décor. Une assiette, une cuillère, une fourchette, un couteau, un verre, tout donnait l’impression d’un temps arrêté. Cette place était celle de sa mère, qui s’y installait dans un rituel immuable.
Depuis son décès, Délia tenait à conserver son emplacement, dans l’espoir d’un possible retour. Elle perpétuait son existence pour lui démontrer qu’elle n’était pas oubliée. Souvent, elle se plongeait dans ses pensées, les yeux rivés au loin. Parfois, dans des moments nostalgiques, elle fixait cet endroit rempli de bons et mauvais souvenirs. Son âme naviguait dans de chaleureux instants pour se remémorer la bonne époque. Malgré son absence, elle ressentait une chaleur se dégager autour d’elle. Garder cette coutume pour rappeler leur complicité la réconfortait.
Ce soir-là, elle ne mangea pas grand-chose. Son tic qui l’obligeait à passer sa main droite dans sa chevelure, tel un brossage, la trahissait. Sa posture indiquait un degré élevé d’inquiétude.
— Délia, ça va ? À quoi penses-tu, ma chérie ?
— Ça va, papa. Je pensais juste à maman, répondit-elle après un long silence.
— J’avoue, ma chérie, que c’est encore dur pour nous tous, mais nous devons être forts et affronter la vie.
— Non, ce n’est pas la vie. J’sais qu’on est prisonniers de notre propre évolution, mais moi je veux changer ça, faire évoluer les mentalités. Je me bats pour mes convictions, mais surtout pour maman. Ça va faire dix ans qu’elle nous a quittés, je ne digère pas qu’elle soit partie par une simple crise d’asthme. Mourir ainsi, de nos jours, ce n’est pas tolérable. L’asthme, c’est en grande partie la faute des polluants, qui tuent encore mille personnes par an en France.
Son visage rougeâtre reflétait sa colère. Son père se leva et l’enroula dans ses bras. Homme humble, il ne cherchait jamais la confrontation. Malgré leur mésentente sur la vision de l’environnement, il restait un père courageux, prêt à tout pour protéger sa famille. Il n’hésita pas à extérioriser la fierté qu’il lui vouait. Des larmes coulèrent le long de ses joues, un mélange de haine et d’amour traversait tout son corps. Cette impression déstabilisante lui fit perdre toute notion. Noé, gêné, se leva et commença à débarrasser la table.
Pendant que Délia montait dans sa chambre, son téléphone sonna. C’était Malika. Elle l’avait appelée pour confirmer le rendez-vous du lendemain. Elles devaient se rencontrer à l’association B2M (Braver un Monde Meilleur) pour mettre en place leur projet. Le président, un ami de Délia, leur avait prêté une salle pour cette réunion.
— Ça tient toujours, le rendez-vous ? demanda Malika.
— Oui, bien sûr : quatorze heures à la salle.
— Parfait.
— Tu n’as pas l’air dans ton assiette. Il t’arrive quoi, Délia ?
— Rien de grave, je n’ai pas trop le moral, c’est tout.
— Je n’aime pas quand tu es dans cet état.
— C’est juste que je pense à ma mère. Un coup de blues, je t’assure.
— Je comprends. Ça fait bientôt dix ans qu’elle nous a quittés, c’est pas facile. T’es une battante. Allez, va te reposer et viens en forme demain.
— Merci Malika.
Fatiguée, elle ne tarda pas à aller se coucher. Elle imaginait le planning éprouvant qui l’attendait.
Le lendemain, Délia se leva avec la niaque qu’on lui connaissait. Elle se pressa en direction de son rendez-vous. Elle arriva au local, comme d’habitude la première. Dès qu’elle s’engouffra dans la salle, Malika apparut, suivie d’une démarche élégante et d’un style bohème chic. Cela lui donnait une allure naturelle. Chaque pas semblait sans effort, empreint d’une souplesse témoignant de sa confiance intérieure. Elle portait souvent des robes longues aux motifs floraux. Ses cheveux bruns en bataille tombaient autour de son visage. Son air décontracté lui donnait une impression de liberté, en harmonie avec la nature.
Elles n’avaient que trois heures devant elles pour dérouler leur réunion, le lieu devait être récupéré par d’autres intervenants. Délia entreprit rapidement le début des débats.
Le premier chapitre de leur projet s’ouvrait. Elles s’apprêtaient à connaître le peuple inuit. Anoki les appelait souvent pour les informer. Lors de leur dernière conversation, il avait expliqué qu’une grande menace pesait sur son peuple. Cette inquiétude venait d’un entrepreneur autochtone qui préparait un projet en partenariat avec un industriel québécois : ouvrir une usine de gaz dans la réserve. Le produit incriminé visait le gaz liquéfié. Ce gaz naturel, transformé à l’état liquide par des températures avoisinant –160 °C, était pratique pour le stockage et l’acheminement dans les pays consommateurs. Le GNL connaissait un succès fulgurant, source d’énergie performante et économique. Mais un tel projet, inconcevable pour le peuple autochtone, n’y trouvait pas sa place.
Leur vie reposait sur ce que la terre offrait. Leur coutume s’accordait à la nature et rappelait l’importance de la préserver.
Leur réunion fut interrompue par des cris sourds venant de l’entrée. Délia se leva dans un vent de panique pour voir ce qui se passait. Elle aperçut une horde de policiers qui s’emparaient du hall. Certains bloquaient des membres de l’association pendant que d’autres se précipitaient dans les salles. Délia referma la porte d’un geste et l’appuya contre son dos. Elle expliqua qu’une perquisition de police était en cours. Sans perdre un instant, elles rejoignirent le groupe. Délia se dirigea vers le président et lui demanda l’origine de cette agitation. Il n’en savait pas plus, mais pensait à la dernière manifestation qui s’était déroulée à Paris. Une opération coup de poing a eu lieu devant l'assemblée générale annuelle d'un grand groupe pétrolier. Ce qui a engendré des dégradations sur du mobilier et des agressions verbales sur des actionnaires. Il y voyait une réponse du ministre de l’Intérieur, cela ne faisait aucun doute.
En quelques minutes, les policiers mirent tout sens dessus dessous, sûrement à la recherche d’indices pour nuire juridiquement à l’association B2M et la dissoudre. Cette technique, bien connue, avait déjà été utilisée à plusieurs reprises. Les militants firent preuve d’une grande sagesse lors de ce contrôle pourtant violent. Ils répondirent par un long silence imperturbable. Cette force du mutisme avait le mérite d’être imprévisible et permettait de cacher ses points faibles. Ce pouvoir de contrôler l’apparence que l’on souhaitait donner à l’adversité leur procurait un avantage.
Après cette mésaventure, les deux compères avaient pris du retard. Elles décidèrent de se retrouver dans le bistrot d’en face pour terminer leur réunion. Elles continuèrent à travailler durant des heures.
Au crépuscule de cette journée stressante, Délia rentra chez elle, exténuée. Son travail, loin d’être achevé, l’obligea à se pencher sur son mémoire universitaire pour le terminer à temps. En cette période de fin d’année, la dernière ligne droite pour valider son master frappait à sa porte. L’obtention de son diplôme de communication représentait une étape essentielle : servir son combat par le savoir.

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