Chapitre 4 : Les prémices des tractations

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Dès la lueur de l’aube, toute l’équipe se préparait à attaquer une nouvelle journée qui s’annonçait bien rude. La réunion avec Nato, qui pouvait tout résoudre, approchait avec conviction. Tous les membres arrivèrent à l’heure au rendez-vous et s’installèrent dans la grande salle aux hauts plafonds. Nato manquait à l’appel. Tout le monde pensait qu’il allait leur poser un lapin. Au bout de quelques secondes, ils aperçurent, au loin, une grande silhouette suivie d’une démarche latente. Il poussa la porte et s’excusa aussitôt pour son retard. Il s’installa à côté d’Anoki et prit directement la parole.

— Bonjour à tous, je vais être direct. Si j’suis venu aujourd’hui, c’est déjà par respect pour Anoki que je connais bien, mais surtout, en tant qu’autochtone, j’ai des valeurs qui m’obligent à accepter une invitation. Mais concernant la vente de mes terrains, je n’ai qu’une conviction : c’est de les vendre. Car, comme je l’ai déjà dit, je rencontre des difficultés financières et j’ai besoin de cet argent.

— Écoute, Nato, on n’est pas contre ta vente de terrains. Le problème, c’est que tu veux les vendre à un entrepreneur qui construira une usine polluante, au sein même de ton village. Tu ne peux pas attendre ? Le temps de trouver un autre acheteur avec un projet plus écologique ? soupira Délia.

— Ça fait deux ans que j’essaie de vendre, je ne peux pas attendre plus longtemps.

— Préserver ta région, ça ne t’intéresse pas ? demanda Malika.

— Si, bien sûr, mais aujourd’hui c’est pas ma priorité.

— Est-ce que tu es conscient de ce que contribuerais la construction d’une usine au sein du village, sur vos terres ? Les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique entraînent des dommages environnementaux sans appel. Sans compter les impacts en matière de bouleversements climatiques. C’est une catastrophe climatique que t’es en train de préparer, tu seras le premier responsable, expliqua longuement Malika.

— Je dois signer l’acte de vente la semaine prochaine. Je vais réfléchir à tout ça et je reviendrai vers vous par le biais d’Anoki.

Au fond de ses yeux, on lisait que les arguments l’avaient touché dans son propre cœur. Son visage se referma sur lui-même comme pour cacher ses émotions. D’un sursaut, il se leva pour partir, comme s’il fuyait ses responsabilités. Délia prit la parole pour l’assommer d’autres arguments avant de le voir s’éloigner.

— Maintenant, la balle est dans ton camp. Si tu vends, on sera obligés de passer au second plan. Là, on est dans l’action passive, mais si ça ne suffit pas, on passera à l’action coup de poing. On a déjà fait reculer de grands groupes, on a le savoir et les moyens pour organiser un blocus. On n’hésitera pas à les utiliser.

— Ce sont des menaces ? s’étonna Nato.

— Non, ce n’est pas dans mes habitudes. Prends-le comme un conseil d’ami, conclut-elle avec un sourire au coin.

Il sortit de la salle avec le regard songeur fixé sur elle. Sans dire un mot, il s’éloigna des radars. Délia laissait planer un vent d’inquiétude quant à la suite des événements. Son pessimisme sur un retour positif se devinait sur son visage. Elle demanda aussitôt à son équipe de se préparer à une imminente action coup de poing. Elle présageait une longue bataille sans merci.

Maintenant que la graine était semée, il fallait attendre le 31 juillet, la date fatidique de la signature. Comme la négociation se trouvait dans une impasse, Délia préférait anticiper. Elle proposa aux membres de mettre rapidement en place un plan d’action pour le jour de la vente. Pour donner une première marque de mécontentement et prouver leur détermination, ils décidèrent d’un commun accord d’occuper les terres de Nato le jour J. Pour ce faire, il fallait trouver au moins neuf cents personnes. Mais pas n’importe lesquelles, des activistes écologistes chevronnés qui n’avaient pas froid aux yeux. Bloquer un vaste terrain de centaines d’hectares demandait du courage, un grand sang-froid, une pugnacité à toute épreuve et surtout beaucoup de monde. Pour répondre à l’apathie de Nato et de l’entrepreneur, il fallait monter une grande opération qui s’annonçait compliquée. Convaincre autant de personnes dans ce petit village de deux mille six cents âmes relevait de l’impossible.

Heureusement, Anoki possédait un grand carnet d’adresses et un bon réseau. Ses connaissances s’étendaient aussi aux villages voisins. Son plus proche ami travaillait à la radio locale en tant qu’animateur. Il proposa de le contacter pour se faire inviter à son émission, dans le but de faire connaître leur combat. Ils profiteraient ainsi d’un passage aux heures de grande écoute pour toucher le plus d’habitants. La manœuvre consistait à attirer un nombre suffisant d’activistes pour participer à la grande manifestation et mettre en place une action d’envergure. Anoki ne perdit pas de temps, il dégaina son téléphone pour appeler son ami.

— Tadi, ça fait longtemps ! Quoi de neuf, mon pote ?

— Tranquille, ça va ! J’suis encore au boulot.

— Ça ne m’étonne pas, tu es toujours au travail. Je ne vais pas te déranger longtemps. J’ai besoin que tu nous invites, deux activistes arrivés de France et moi, pour présenter une manifestation que nous organisons le 31 juillet. Notre objectif, c’est de rassembler un maximum de monde pour notre opération coup de poing. L’idéal serait de trouver au moins neuf cents personnes.

— Anoki, tu es toujours embarqué dans des plans fous… Tu nous mijotes quoi encore ?

— Je n’ai pas le temps de t’expliquer, je le ferai le moment venu. Mais c’est très important qu’on puisse passer sur tes ondes, aux heures de grande écoute.

— Monsieur le révolutionnaire, tu as bien de la chance ! J’ai justement eu un désistement d’un invité pour après-demain, mardi ! Je me prenais la tête pour le remplacer, tu tombes bien.

— Eh bien ne cherche plus, je serai là avec mon équipe, on sera trois.

— Je te programme pour mardi, de 20 heures à 22 heures.

— Merci beaucoup, Tadi, je te revaudrai ça. Tchao, bye.

Heureux de voir les choses aller dans le bon sens, les filles ne manquèrent pas de féliciter l’implication remarquable d’Anoki. Pas le temps pour les compliments, leurs efforts se focalisaient sur l’organisation et la logistique. Ils n’avaient que deux jours avant leur passage à la radio locale. Pendant ce laps de temps, toute l’équipe se préparait à un discours digne d’activistes révolutionnaires. Ils devaient être poignants et percutants pour rallier le plus de monde possible à leur cause.

En plein préparatifs, les filles trouvèrent quand même le temps d’explorer la région avec Anoki comme guide. Elles profitèrent de ces petits moments de répit pour visiter des espaces naturels et sauvages à vélo, pêcher, faire du canoë-kayak et goûter aux bons petits plats dans de petits restaurants locaux. Elles appelèrent aussi leurs familles pour les rassurer et raconter la belle aventure qu’elles vivaient. Le temps passait tellement vite que les devoirs et obligations mirent fin à leurs loisirs.

Le 26 juillet sonna, la date fatidique de l’invitation à l’émission de radio. L’équipe se préparait aux messages qu’elle souhaitait véhiculer, surtout à la manière dont elle allait présenter ses revendications, ce qui n’était pas simple à cerner. Monter une opération coup de poing se faisait toujours dans la plus grande discrétion. Dans la stratégie élaborée, les participants devaient être convoqués individuellement par messages privés. La réunion se voulait secrète. Toutes les directives et modalités y figuraient : la date de la manifestation, les procédés de l’opération, ainsi que les rôles de chacun. Ne rien laisser au hasard était leur fil conducteur. Pour attirer le plus de participants et les convaincre, il fallait expliquer les objectifs avec stratégie, sans trop en dire et en dévoilant le moins possible les secrets de l’opération.

La fin de journée arriva à grands pas, les dernières mises au point étant enfin ficelées. Toute l’équipe se dirigea vers le studio de radio. Les filles ressentaient un trac bien palpable, elles appréhendaient le passage dans un média écouté par des milliers de personnes. Heureusement, leurs convictions dépassaient ce sentiment négatif.

L’animateur avait préparé le terrain quelques jours avant, en annonçant à ses auditeurs la venue des membres de l’association B2M. Il leur avait parlé de leur revendication écologique et du projet de construction d’une usine de gaz liquéfié prévu dans leur région. Il avait aussi présenté les membres de l’association.

L’émission se déroula sans encombre. Tous les participants remplirent leurs rôles. L’essentiel fut dit et l’émission attira une audience record. Les échanges avec les auditeurs furent très productifs, des centaines de questions furent posées. On sentait un grand engouement. Plusieurs centaines d’auditeurs appelèrent pour s’informer sur le projet. Les répercussions résonnaient jusque dans la profondeur des ondes. Dès la fin de l’émission, le standard explosa. Des centaines d’appels arrivaient de partout pour proposer leurs candidatures. Les membres se réjouissaient de l’intérêt que suscitait leur intervention. Ils devaient maintenant filtrer ces nombreux contacts afin de sélectionner les activistes les plus rigoureux.

Au lendemain de l’émission, un inventaire détaillé se dressait devant eux. Le verdict fut sans appel, plus de mille cinq cents appels avaient été reçus. Après filtrage, les membres sélectionnèrent, comme prévu, neuf cents candidats. Tous reçurent un mail dans lequel figuraient des procédures strictes et rigoureuses à suivre avec minutie. Ce courriel contenait une indication importante sur la date et l’endroit du point de rencontre. Ce rendez-vous secret avait pour but de mettre sur pied le grand projet et de discuter des modalités de l’opération. Il eut lieu dans une forêt bien connue de la région, à une heure matinale. L’objectif premier se focalisait sur les activistes à former, qui pour la plupart n’avaient jamais participé à une manifestation. Cela nécessitait un comportement adéquat pour bien réagir aux provocations des adversaires. Il fallait suivre un code de conduite très strict et le respecter dans la durée. Délia et Anoki, deux grands experts en la matière, se tenaient à disposition pour assurer les formations.

Munie d’un micro, d’une enceinte puissante et d’une posture de générale devant ses soldats, Délia commença son discours. Dans cette profonde forêt sans âme, à plus de vingt kilomètres du village, naissait l’offensive silencieuse et magistrale. Elle expliqua le contenu et le but des opérations à venir. Elle termina son discours par une devise : « Une forêt qui pousse ne fait jamais de bruit ». Elle justifiait en quelque sorte les valeurs de l’association, basées sur la discrétion, l’union et la force. Anoki clôtura les débats par des mises en garde et quelques règles de sécurité à respecter. Les activistes se dispersèrent avec les missions de chacun bien ancrées dans leurs têtes.

Le ton était donné et le rendez-vous final fixé : le 31 juillet, à 6 heures du matin, devant la passerelle du propriétaire. Tous les accessoires et les vivres nécessaires seraient livrés sur place. Le but de l’action était d’occuper les terrains par des campements relayés vingt-quatre heure sur vingt-quatre. Il fallait mettre la pression au maximum pour le faire renoncer à la signature de la vente. La marque de fabrique de l’association se résumait à l’effet de surprise, avec son lot d’aléas et d’inconvénients. Une autre devise de Délia, qu’elle répétait souvent, résonnait : « Je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Ces quelques mots guidaient la pugnacité et la détermination des membres de l’association.

Anoki attendait avec impatience de recevoir les confirmations de la présence effective de chaque participant. Ce résultat conditionnait directement la réussite ou l’échec de l’action. Après deux jours d’attente et un petit comptage mathématique, le résultat tomba. Anoki réunit toute l’équipe et les sages dans la grande salle pour annoncer ce verdict tant attendu, à trois jours de la manifestation. Le chiffre fatidique incarnait neuf cents activistes qui avaient confirmé leur présence, soit cent pour cent des candidatures retenues. Une grande joie se lisait sur tous les visages, un soulagement traversait tous les cœurs.

Les sages félicitèrent le travail remarquable accompli jusque-là par tous les membres et les encouragèrent à continuer ainsi. Ils apportaient aussi une grande aide spirituelle et une protection prolifique. Depuis la nuit des temps, ils avaient toujours veillé au bon fonctionnement des villages. Ils n’avaient que leurs savoirs et leurs conseils à donner. Ils étaient le gage de la bonne exécution, mais celle-ci dépendait de ceux qui avaient du bon sens.

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