Chapitre 6 : La déclaration

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Au lever, Délia sentit un insupportable mal de tête. Ses tempes pulsaient comme si des tambours invisibles martelaient son crâne. Sa vision était floutée, son souffle coupé. Elle voulait se lever, mais ses jambes cédèrent aussitôt. Son corps lui échappait. Elle s’allongea à nouveau, haletante, sur une surface dure. Le carrelage, d’une froideur extrême, lui renvoya une impression désagréable, presque déroutante.

Ses yeux captèrent un faisceau, une faible lumière filtrant par une petite lucarne au coin du plafond, minuscule, inaccessible. L’éclat fade baignait la pièce d’une clarté artificielle, rappelant une salle de réveil d’hôpital après une puissante anesthésie. Elle ressentait une lourdeur dans ses jambes qui remontait jusqu’au cou. Des vertiges entourés sa tête avec de grandes perte de repères.

Un long moment est passé avant de retrouver une vision claire. Alors seulement, elle put explorer son environnement. Elle se trouvait dans une salle circulaire entièrement vitrée, du sol au plafond. Une bulle transparente, parfaite, où chaque reflet semblait l’épier. Le sol immaculé brillait sous la lumière froide. Au centre, isolé comme un trône, un fauteuil en cuir noir, impeccablement aligné face à un écran mural encastré. Le silence linéaire n’était troublé que par un bruit sourd électrique.

Elle rampa jusqu’au fauteuil et s’assit, le cœur en palpitation.

Soudain, l’écran s’alluma sans faire de bruit. Le visage d’un homme d’un certain âge apparut. Cheveux gris, costume clair, regard perçant, un faux sourire qui n’atteignait pas ses yeux.

— Bonjour, dit-il avec une courtoisie forcée. J’espère que vous avez bien dormi ?

— Où suis-je ? demanda-t-elle spontanément.

Il esquissa un sourire.

— Je me présente. Steve Roy, directeur du laboratoire Neuromed. Je dirige un programme non gouvernemental visant à implanter des puces dans le cerveau humain. Et devine quoi ? Tu es notre prototype préféré.

Délia sentit la panique grimper dans sa gorge.

— Quoi ? De quoi parlez-vous ? C’est un rêve… je ne suis pas réveillée, hein ?

— Non, Délia, ce n’est pas un rêve. Tu es bien éveillée. J’ai l’honneur de t’apprendre que tu es la première femme au monde implantée d’une puce électronique, la première à être reliée à l’intelligence artificielle.

— Ce n’est pas possible ! Je suis de Paris, je n’ai jamais eu d’opération de ma vie !

L’homme haussa légèrement les épaules.

— Si. Mais tu ne t’en souviens pas. Cela remonte à ta naissance, il y a vingt et un ans.

Son estomac se noua.

— Pourquoi moi ?

— Parce que tu m’appartiens, répondit-il froidement. Tu as été créée en couveuse dans cet objectif expérimental. Tu es le fruit d’un projet. Et crois-moi, nous ne faisons que commencer.

Sous le choc, Délia resta figée, incapable de distinguer le vrai du délire. Elle l’écouta pourtant détailler son programme. Il consistait à faire communiquer un cerveau humain à un ordinateur. L’ambition de ces expériences et des recherches objectivaient l’aide de la médecine. D’après ses dires, les personnes paralysées atteintes de lésions de la moelle épinière ou qui portaient des maladies neurologiques, pouvaient guérir. « Ouvrir des perspectives illimitées ». Ses mots semblaient promettre des miracles. Mais derrière chaque phrase, elle sentait la vérité se craquer.

Puis son ton changea :

— Ta capture a un but précis. Nous allons modifier les paramètres de ta puce. L’opération est programmée.

— Pourquoi modifier les paramètres ? Dans quel but ?

L’écran s’éteignit dans la seconde, laissant la salle dans un silence total.

Délia paniqua. Elle cria, frappa les parois vitrées de toutes ses forces. Les vitres, épaisses, absorbèrent ses coups sans faillir. Elle s’épuisait, le souffle court, son front perlant de sueur. Finalement, elle s’effondra au sol, à bout de forces, son esprit dérivant vers son père, son frère, Malika. Que faisaient-ils ? La cherchaient-ils ?

Un bruit de souffle, comme une décompression d’air, la ramena à la réalité. La paroi vitrée s’ouvrit. Un homme de grande taille entra. La porte hermétique se referma derrière lui dans un bruit sourd et grave.

— Bonjour, lança-t-il sèchement en la fixant droit dans les yeux.

Elle soutint son regard, le cœur battant. Mais lorsqu’elle vit un objet dans sa main, elle recula. Trop tard. Il pointa l’arme et tira. Une douleur fulgurante lui traversa la joue gauche. Tout devint noir. Elle n’était plus qu’un corps inerte, plongé dans l’ombre. Pourtant, elle pouvait encore entendre, des pas, des voix étouffées, puis le silence.

Quand elle reprit conscience, elle se trouva sur un brancard exigu, les bras et les jambes enserrés par des sangles épaisses. Elle tira de toutes ses forces, rien, sans résultat. Les liens, rigides, mordaient sa peau.

— Ça ne sert à rien de lutter, dit une voix moqueuse, ces attaches sont en titane. Même ta force exceptionnelle n’y pourra rien.

— Quelle force ? cria-t-elle, exaspérée, ne comprenant rien.

Un homme apparut dans son champ de vision.

— Tu l’as déjà senti. Dans les moments de stress, ta force se décuple. La puce envoie des signaux électriques à ton cortex. Tu as des super-pouvoirs. C’est pour ça que tu es dangereuse.

Il s’éloigna sans autre explication.

Quelques minutes plus tard, une alarme assourdissante retentit. Les lumières d’urgence virèrent au rouge. La porte s’ouvrit à la volée. Steve Roy entra, accompagné d’un jeune homme aux cheveux en bataille, lunettes rondes, visiblement paniqué. Il pressa de se mettre devant un ordinateur, ses doigts s’affolaient sur le clavier.

Délia sentit une atroce douleur lui compresser le crâne, comme si son cerveau allait éclater dans la seconde.

— Qu’est-ce qui se passe ? gronda Steve Roy.

— Un pirate a infiltré le système, répondit l’informaticien. Il prend le contrôle de la puce !

La sueur perlait sur son front. Il tapa frénétiquement, et accéléra comme si sa vie en dépendait, puis se figea, livide.

— Je ne peux plus rien faire. Il a le contrôle total. Tout le processus est en train de se transformer.

Délia comprit alors qu’on essayait de la sauver. L’informaticien, terrorisé, ordonna l’évacuation de la salle. Les hommes se coururent dehors. Elle, allongée, ferma les yeux. Son corps trembla, secoué de spasmes. Puis soudain, tout s’arrêta. Plus de douleur. Un apaisement immense. Une énergie neuve, brûlante, envahit son âme.

Elle ouvrit les yeux. Ses pupilles, sombres et profondes, reflétaient une puissance nouvelle. Les liens en titane se tendirent, grincèrent, puis cédèrent dans un claquement sec.

Elle se redressa d’un bond. Ses poings se serrèrent. Sa poitrine vibrait d’une énergie incontrôlable. Elle prit son élan et fonça sur la paroi vitrée. L’impact explosa dans un vacarme assourdissant. Les éclats volèrent jusqu’au plafond comme une pluie d’étoiles tranchantes.

Quatre gardes surgirent aussitôt. Délia les balaya avec une force inhumaine. Le premier, massif, s’effondra comme un chiffon. Les autres reculèrent, terrifiés. Elle fila dans les couloirs, son souffle brûlant ses poumons.

Les néons défilaient au-dessus d’elle, les couloirs se succédaient, tous verrouillés par reconnaissance faciale. Sa course résonnait dans le labyrinthe stérile.

Enfin, elle aperçut un escalier. Un souffle d’air frais caressa son visage. Elle dévala les marches, le cœur battant. En bas, une porte sécurisée l’attendait.

Elle recula, prit de l’élan, et défonça l’obstacle d’un coup d’épaule. La porte s’arracha de ses gonds, volant comme une simple feuille.

Dehors, la lumière du jour l’accueillit, éclatante. Le vent gifla son visage, chargé d’odeurs de terre et de liberté.

Elle n’eut qu’une pensée : fuir le plus loin possible.

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