Chapitre 8 : Partir pour mieux revenir

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Délia passa tout le trajet à parler à Anoki pour le tenir éveillé. En parallèle, ses pensées allaient vers son père. Elle se demandait s’il se portait bien. L’inquiétude la rongeait. Il fallait garder la tête froide et prioriser.

Enfin à destination, elle se gara en catastrophe et téléphona au médecin. Soudain, la porte de la vaste maison s’ouvrit. Un homme de grande taille et de forte corpulence se précipita vers eux. Délia avait déjà ouvert la porte côté passager, Anoki avait perdu beaucoup de sang, il devenait pâle, il commençait à partir. Le médecin l’empoigna d’un tour de main, le posa sur son dos et courut vers l’entrée. Délia suivit de près. Ils entrèrent dans une salle qui ressemblait à un bloc opératoire de fortune, mais doté du matériel nécessaire.

— Vous êtes chirurgien ? demanda Délia, pour se rassurer.

— Oui, c’est mon métier. Aidez-moi au lieu de poser des questions. Parlez-lui, il ne doit pas perdre connaissance. Il a perdu beaucoup trop de sang, il faut agir vite.

Délia cessa de questionner et coopéra tout de suite. Elle serra la main d’Anoki, lui parla d’une voix douce à l’oreille, le suppliant de tenir bon. Pendant ce temps, le médecin activa la cadence pour extraire la balle. Une fois prêt, il lui ordonna de sortir et d’attendre de l’autre côté. Elle s’installa sur une petite chaise inconfortable dans un couloir froid et sombre. Elle récita des prières en silence. Les minutes paraissaient interminables. Malgré la fatigue, elle résistait face au temps. Elle a à peine eu le temps de mettre sa tête en arrière contre le mur, que la porte s’ouvrit. Le médecin avança d’un pas nonchalant, le visage neutre.

— Il revient de très loin. C’est un grand battant, il va s’en tirer. Il a juste besoin d’au moins quarante-huit heures de repos.

— Merci, merci beaucoup ! Je peux le voir ? implora-t-elle, le visage soulagé.

— Oui, mais pas de bruit.

Elle se précipita dans la chambre. Elle marqua un temps, puis s’agenouilla à son chevet. Il avait l’air apaisé. Elle lui parlait pendant des heures pour adoucir son sommeil, jusqu’à l’épuisement.

Soudain, elle ouvrit les yeux. Elle s’était endormie. Elle fut surprise, Anoki était déjà réveillé. Il accueillait son réveil avec un grand sourire.

— Alors, tu étais censée veiller sur moi, non ? Et c’est toi qui dors

— Oui, la fatigue a eu raison de moi. Tu m’as fait très peur… Je suis tellement heureuse de te retrouver !

— Ça fait combien de temps que je suis là ?

— On est arrivés en fin d’après-midi… Ça doit faire sept heures. Dis-moi plutôt comment tu te sens.

— Un peu dans les vapes, mais ça va. Dis-moi, ton père… Il faut qu’on le retrouve !

— Oui, mais je ne sais pas par où commencer. On a perdu sa trace, et toi, tu es bloqué ici au moins deux jours, d’après le médecin.
— Mouais… Écoute, prends ce numéro. Appelle-le et va le voir. C’est une personne de confiance, il va t’aider. Il s’appelle Davy.
— Je ne vais pas t’abandonner. Je reste avec toi, on fait les choses ensemble.
— Ne t’en fais pas pour moi. Va chercher ton père. Le temps presse. Je saurai te rejoindre dès que je serai sur pied. Et quand tu verras Davy, donne-lui le numéro de la plaque d’immatriculation qu’on a relevé.

Elle acquiesça et le serra fort dans ses bras. Il lui chuchota à l’oreille :

— La vie ne vaut que par ce que l’on est, pas par ce que l’on fait. On a tendance à apprécier les personnes pour ce qu’elles font, jamais pour ce qu’elles sont. Je sais ce que tu vaux et qui tu es. Pars le cœur léger.

Elle rebroussa chemin, soutenant son regard chargé d’émotion. Elle promit de revenir au plus vite. Avant de partir, elle aperçut, au loin, le médecin qui revenait vers lui. Rassurée, elle put s’en aller.

Dans la voiture, elle s’empressa d’appeler Davy. Il lui demanda de le rejoindre en un lieu précis. L’adresse la conduisait dans une ruelle mal éclairée et froide. Elle suivit l’itinéraire du GPS, scrutant la rue qui semblait une impasse. Au bout, un petit parking à l’abandon, sa destination finale. Un silence planait dans cette nuit fraîche, l’attente paraissait interminable. Une ombre s’approcha. Malgré son fort caractère, elle paniqua. Son regard resta fixe jusqu’à ce qu’elle aperçût un homme qui avançait peu à peu vers elle. Arrivé à la vitre, il sortit une carte et la colla contre la glace : on pouvait lire « Police ». Rassurée, elle baissa la fenêtre pour se présenter. Il l’invita à sortir et à le suivre à pied, jusqu’à sa voiture aux vitres teintées, un peu plus loin. Il déclina son identité, il faisait partie de l’encadrement du Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS). Sans perdre de temps, Délia lui tendit le papier avec la plaque d’immatriculation. Il lui fallut quelques minutes pour effectuer des recherches sur son ordinateur.

— Écoute, la plaque du véhicule où se trouvait ton père renvoie à une personne morale : un grand laboratoire au Québec.
— Le laboratoire Neuromed, je suppose ?
— Oui, c’est exact. Tu connais ?
— Hélas, oui. J’ai été enlevée par les hommes de ce laboratoire. C’est compliqué à expliquer, mais ils m’en veulent. J’ai réussi à m’enfuir. Je pense qu’ils ont enlevé mon père pour m’atteindre, c’est certain.
— Je comprends mieux. Ils ne vont pas tarder à te contacter ou à te retrouver.

Elle expliqua le motif de sa capture et détailla le projet du laboratoire. La discussion dura des heures tant l’affaire était complexe. Davy envisagea d’envoyer une équipe au laboratoire pour vérifier si son père s’y trouvait. Elle déclina, car une descente de police pourrait le mettre en danger. Pour elle, si des hommes avaient pu enlever son père en plein aéroport, devant des policiers et des douaniers, c’est qu’il y avait certainement de la corruption en haut lieu. Il fallait s’y prendre avec intelligence. Davy suggéra d’attendre la prise de contact des ravisseurs. Elle ne tarda pas à arriver. Après quelques heures d’attente, le téléphone de Délia sonna. Une voix masculine modifiée, lui demanda de patienter quelques secondes. La voix de son père retentit.

— Papa, papa ! Comment tu vas ?

— Ça va, ma chérie. Ne t’en fais pas pour moi, et surtout n’écoute pas ce qu’ils vont te dire. Refuse tout !

— Allô, papa ? Tu es encore là ? Allô ! Allô !

Son père n’eut pas le temps de finir sa phrase, le téléphone a dû lui être arraché. Au bout d’un simple instant, un homme reprit la conversation. D’une voix grave et menaçante, il ordonna à Délia de venir à un rendez-vous fixé le jour même à 21 h, à une adresse précise. Elle devait venir seule et ne prévenir personne, sous peine de représailles physiques contre son père.

Après avoir raccroché, elle regarda Davy d’un air de guerrière, la soif de vengeance au ventre. Elle le devança : elle devait absolument se rendre à ce rendez-vous seule, la vie de son père en dépendait. C’était elle qu’ils voulaient, et pour sauver son père, elle était prête au sacrifice. Davy tenta de l’en empêcher. De toute façon, les ravisseurs allaient la capturer, puis les éliminer tous les deux. La police devait intervenir. Mais il vit se dresser devant lui la détermination sans faille de Délia.

— Écoute, Davy, la vie de mon père est en jeu. Ils veulent la puce qui est en moi. Je n’ai pas d’autre choix que d’y aller. Je vais me débrouiller et je sauverai mon père.

— Je comprends ta détermination et ton courage, mais tu es seule, désarmée. Tu vas droit dans la gueule du loup. Une fois qu’ils auront ce qu’ils veulent, ils vous tueront sans pitié.

— Ne t’en fais pas pour moi, la sagesse vaincra. Dans la vie, on rencontre tous des obstacles. Il y a ceux qui attendent passivement qu’ils se dissipent, et ceux qui les affrontent du mieux qu’ils peuvent. Je fais partie de la deuxième catégorie.

Elle savait qu’elle s’exposait à un risque majeur, mais ne voyait pas d’autre choix. Elle prit son courage à deux mains et se mit en route vers l’adresse donnée. Davy, incrédule, tenta une nouvelle fois de la convaincre, en vain. Elle sortit de la voiture et disparut dans la lueur de l’impasse. Il assista impuissant à la scène.

Elle n’avait pas atteint sa voiture que son téléphone sonna. Malika, à l’autre bout du fil, s’inquiétait de ne pas avoir de nouvelles. Elle la rassura et demanda des informations sur l’équipe et l’avancée de l’occupation. Les manifestants tenaient bon, et le démarrage de la construction de l’usine avait été retardé. Une petite victoire que Délia ne manqua pas de saluer. Elle enchaîna en rendant compte de sa situation, mais une chose la tracassait.

« Tu sais, Malika, je reçois depuis quelques jours des textos d’un inconnu. C’est étrange, ces messages me mettent en garde, me conseillent sur mes faits et gestes, comme si quelqu’un me traquait et voyait mon futur. »
« Comment ça ? Que disent ces messages, exactement ? »
« À chaque fois que je dois faire quelque chose, aller à un rendez-vous par exemple, je reçois un message avec des conseils et des mises en garde. Comme pour le rencard que j’ai dans deux heures. À peine pris, j’ai reçu un SMS me disant de ne surtout pas y aller, que c’est dangereux pour mon père et pour moi. C’est dingue ! »
« Oui, c’est étrange. Je ne sais pas qui se cache derrière cet ange gardien, mais je pense que tu devrais l’écouter. »
« Peut-être. Mais je ne sais pas quoi penser, j’ignore qui est derrière ces messages. Quand je réponds au sms je n’ai pas de réponse, et quand j’appelle, je tombe sur un répondeur. »
« Fais le bon choix, et surtout fais attention. J’ai confiance en toi. Tiens-moi au courant très vite, on s’inquiète beaucoup ici. »
« Ne t’en fais pas. J’serai bientôt parmi vous. Gros bisous à tous. »

Dans sa tête, c’était le chamboulement total. Trop d’événements se bousculaient. Délia avait toujours été forte d'ans l’épreuve, sa pugnacité n’était plus à prouver. Mais ces moments étaient durs, même pour elle. Elle s’affala sur le siège et regarda les étoiles. Son esprit combattait son subconscient. Elle devait prendre une décision très vite, l’heure de la rencontre approchait à grands pas.

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