Un fragment de comète (1.4.3)

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Tome 1 > chapitre 4 > partie 3

La place s'éclaira comme en plein jour. Les gens poussèrent des exclamations ravies en croyant à quelque tour de magie puis froncèrent les yeux pour se protéger de la lumière éblouissante.

— Il s’est passé quoi ? demanda Linsie, tremblante.

— La comète a explosé, répondit Anaelis d'une voix blanche.

— Comment c'est possible ?

— Je ne sais pas, les comètes n'explosent pas, elles passent sans se soucier de nous, parées de leur robe et leur longue traînée, murmura-t-il.

Il comprit alors et cela acheva de le dégriser. La taille de la comète sans cesse plus importante, sa traînée qui avait disparue.

— Elle a changé de trajectoire, reprit-il en parlant plus fort. Sa queue était toujours là, mais derrière elle, parce qu'on la voyait de face. Elle venait vers nous.

— Alors ses débris viendront à la place, intervint Istinie.

La foule entière regardait les fragments, immobile et muette, fascinée par le spectacle, exprimant une peur tentée d'émerveillement. À l'entrée dans l’atmosphère, leur embrasement les rendit sublimes, mais lorsqu'ils comprirent que l’un d’entre eux se dirigeait rapidement vers Sciscere, ils cédèrent à la panique. La fête cessa cessèrent brutalement. Les gens affolés coururent en tous sens, certains cherchaient leurs enfants ou se faisaient jeter à terre par la course d’autres personnes. Les comédiens rassemblèrent leurs affaires à la hâte. Les marionnettes de dragons et chevaliers gisaient à terre. Les musiciens reprenaient leurs instruments tandis que les voiles des danseuses tourbillonnaient à présent au sol. Les feux continuaient à brûler sans plus personne autour pour les admirer.

— Il faut se mettre à l’abri, tout de suite, ordonna Poène.

Anaelis réfléchit un instant, regarda le fragment de comète.

— Murailles. La Chame n’est pas loin, répondit-il.

— Plus d’un kilomètre, mais les postes intérieurs seront fermés.

— On se mettra derrière. La muraille de la Chame peut résister à une pluie d’étoiles, elle tiendra contre ça aussi, ce n'est pas différent.

Si la muraille résisterait face à ce qui arrivait, il n’en savait en réalité foutre rien, Sciscere pouvait tout aussi bien être entièrement balayée.

— Cachez-vous dans des caves ou derrière des murailles ! cria Theorode à l’attention des gens autour d’eux.

Tous les huit se mirent à courir. Leur entraînement leur permit de maintenir une allure très rapide durant plusieurs minutes. Au début il fut difficile de s’extraire de la foule paniquée et des endroits où les feux et braseros renversés par les gens dans leur fuite avaient enflammé des arbres. Ils finirent par déboucher sur des rues plus larges et restèrent sur les grandes avenues de la capitale afin de ne plus être bloqués dans des ruelles. Des cavaliers passaient à toute allure en tous sens. L’un d’eux percuta un homme sans même s'arrêter ensuite. Anaelis jeta un regard et continua en l'ignorant tandis que Théorode se dirigeait vers lui pour l'aider.

L’objectif et la survie priment, on ne peut pas sauver tout le monde, pensa Anaelis, détaché.

Quelques personnes, voyant ce groupe discipliné ayant manifestement un but, leur emboîtèrent le pas. Alors que la vaste muraille étagée de la Chame apparaissait enfin au loin, Linsie commença à peiner. Anaelis les laissa tous le dépasser pour se mettre derrière elle.

— Avancez, je vous rattraperai, dit Linsie, reprenant son souffle entre chaque mot.

— Ensemble, dit-il.

— Je vous ralentis...

— Silence. Cours.

Il la laissa réduire son allure et l'accompagna jusqu'au bout. Lorsqu'ils arrivèrent contre la muraille, Linsie se tenait un côté du ventre, rouge et hors d’haleine. La fragment de comète était si proche à présent qu'il était facile de voir de quel côté de la Chame il tomberait. Les nombreuses traînées de sa désintégration crépitaient dans l’atmosphère en un bruit effrayant, tel le crissement de dizaines de blocs de pierre se frottant les uns aux autres ou bien les coques de centaines de navires lors d'éperonnages furieux. Tous se regardaient, perdus et impuissants face à ce qui arrivait, attendant la sentence.

Anaelis avança sur la route, traversa le rempart et sortit à découvert. Il se retrouva seul. Avec un immense sourire, d'une certaine manière empli d'une grande paix, il ressentit tout : le bruit effroyable, la lumière éclatante, la chaleur pénétrante et le puissant tremblement résonnant dans son corps. Si la si belle cité qu’il avait admirée le matin-même devait être soufflée, si ses amis, ses affections et son avenir devaient disparaître, alors il serait au premier rang, admirant le déchaînement magnifique de ce qui le détruirait.

Le fragment de comète avait tellement perdu en taille, dispersé en une pluie de cristal qui viendrait sous peu recouvrir les environs, qu'il paraissait presque petit. Il avait aussi étrangement perdu en vitesse. Anaelis comprit qu’il tomberait d’ici quelques secondes dans le parc où Istinie et lui avaient passé la fin de l’après-midi. Il lui sembla voir un petit dôme lumineux apparaître au sommet d’une colline, il fronça les yeux pour mieux voir ce qui… Une main ferme lui saisit le bras et le tira en arrière, le ramenant sous la muraille avant de le faire trébucher pour le mettre dans une relative sécurité.

Le débris céleste toucha le sol. La vive lumière et le bruit de la déflagration les laissèrent aveuglés et assourdis. Les solides murs de la Chame tremblèrent longuement. Puis, petit à petit, la cécité s’estompa, la surdité reflua. Il put voir qui avait voulu le mettre en sécurité, mais il avait déjà reconnu le parfum d’Istinie, entouré de ses bras qu’il était.

— T’es trop con ! cria-t-elle.

Les autres les rejoignirent pour voir le résultat de la chute. Poène lança un regard assassin à Anaelis.

— C’était magnifique, dit ce dernier d'un air sérieux.

L'impact du fragment de comète avait couché les arbres sur une centaines de mètres. Les maisons les plus proches n'avaient plus de fenêtres et d'autres bâtisses plus même de toit. Le souffle provoqué avait attisé et dispersé les feux de fête, des dizaines d’arbres et de bâtiments commençaient à brûler au sein de la ville. Ils contemplèrent silencieusement la désolation alentour. Ainsi, surtout, le sommet de la colline où brillait une lumière vive.

— Je vais voir, dit Anaelis.

— Que ne suis-je surprise... maugréa Istinie.

Il s’était déjà élancé.

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