254 - vers ma Marie
Je n’ai plus peur dans le Manoir des Suburbs. Debout devant la machine à écrire, je me penche pour lire : « CCLIII - le Mélange de leurs Entrailles ». Ça a l’air à jour. Il faudra que je regarde aussi dans la Bible de Paloma dans mon bureau en M72. Je me retourne pour sourire à Énola, elle est si belle ici loin de tout. À la maison elle n’arrêtait pas de dormir. Ici, elle a un rapport intime avec l’eau de la Cascade de Jouvence. C’est encore là que je l’ai trouvée en arrivant. On s’installe en terrasse pour boire le thé. C’est à elle de parler en première :
- Il s’en passe des choses. Ça fait longtemps que je suis partie ?
- Aucune idée, aucun calendrier. Faut regarder dans la Bible à côté.
- Et Brigitte dans tout ça ? Qu’est ce qu’elle en pense ?
- Libérée, délivrée, c’est décidé, elle s’en va. Enfin, elle reste dans sa gare, avec Izzy, à Laguna, City. J’ai vu Brigitte hier, en tête à tête, enfin en fesses à ventre surtout. On restes connectées, ensemble, et pas que par nos seins ou nos ventre. Avec ma nouvelle anatomie c’est beaucoup plus efficace pour partager nos fluides intimes. Je te montre ?
On pose nos tasses et je m’assois sur ses genoux. Énola reste plus grande que nous toutes. Je caresse sa joue douce et chaude et je plonge sa main dans sa chevelure dense de fausse blonde pour lui masser les racines de sa nuque. Ses yeux se révulsent et elle expire, je lui vole un baiser en mordant ses lèvres et d’une main ferme je presse son sein gauche. Une douce odeur de phéromones nous embaume. C’est ma dernière tournée d’adieu sur les trois déesses de mon existence et je termine par Énola en prenant mon temps et le sien dans le néant des Suburbs. Je bois goulûment à ses mamelles pour prendre les forces que je vais lui rendre en la chevauchant dans la sueur jusqu’à la nuit. En rentrant j’aimerais choisir une destination où personne ne m’attend, où me retrouver seule avec moi-même pour une fois. Mais c’est à Sainte-Claire que je vais parce que je sais qu’elle est là, coincée dans sa Cathédrale à faire les cent pas et murmurer en latin telle une autiste bipolaire à faire sa chorégraphie obsessionnelle autour de l’autel. Je m’approche pour la sortir de là et je l’arrête net en prononçant son nom :
- Paloma. Tu as besoin d’être sauvée. Par moi, Jenna. Prends ma main.
Et on sort. Libres. Dans la nuit. En amies. Tout simplement. L’éternité, c’est pas plus compliqué que ça. Je la ramène chez elle, chez Gloria où notre rouquine préférée nous voit arriver, inquiète. Je regarde Paloma, je lui souris et je remets sa main à ma gloire passée, Gloria qui la récupère avec un regard chaleureux de reconnaissance. Je rentre aussi vers ma Marie.
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