Mngwa.

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Mes deux iŭga étaient en stase dans des cylindres régénérants, aussi, j’avais une bonne quinzaine de jours pour préparer mon voyage.

J’étais avec Bernard Bun Buyu sur une de ses terrasses, la plus haute, installés dans des sièges luxueux au milieu d’une oasis de fleurs blanches. Nous étions au sommet d’une tour de briques et d'émail bleu, qui surplombait des platanes de trois cents ans. La plus grande partie de son palais était recouverte de mosaïques et d'exquises faïences, qui s'étalaient sur tous les murs, au clapotis endormeur d'innombrables petites fontaines claires, au chant continuel des turlutis. Plus bas entre de hautes murailles émaillées, des atriums emplis d'églantines et de roses avaient des portes d'argent ciselé. Enfin tout ce Samarcande de lumière était baigné d'une atmosphère diaphane où des éphèbes et des nymphes jouaient à des jeux plus ou moins érotiques.

  • On peut dire mon cher Bernard que tu es le Sardanapale de Katakata.
  • En tout cas, j’espère ne pas finir comme lui. Regarde au-dessus de nous, j’ai une dizaine de drones qui nous survolent en permanence. J’ai même une vingtaine d’andros de combats qui montent la garde et c’est sans compter mes guetteurs devant les écrans de contrôles.
  • Je vois que la confiance règne.
  • Tu sais ce qu’on dit : Méfiance est mère de sureté.
  • Bernard, tant qu’on parle de méfiance… Une fois que j’aurai franchi les gorges du Barbier. Je risque quoi comme surprises ?
  • Les dangers habituels d’un quelconque désert. Tout de même, tu risques de rencontrer des mngwas.
  • Des mngwas, j’en ai vaguement entendu parler.
  • Teixó, le mngwa est doué d'une agilité, d'une puissance de mâchoires et d'une force prodigieuse. Il lutte à égalité, et souvent avec succès, contre une meute de canis*. Il terrasse le buffle. Les troupeaux de kurts* le redoutent. Le rugissement du mngwa, agite, perturbe, désespère tous les autres animaux, y compris le roojas. Katakata possède deux couples de mngwas pour rendre la justice. Ils servent de bourreaux. D’ailleurs, j'ai assisté avec plaisir à l’exécution d’un salopard, qui avait sauvagement assassiné un de mes mignons. À Katakata on n’est pas tendre avec les criminels sexuels. Ici, cela fait plusieurs années qu’on applique la loi selon Samaël. Le châtiment est plutôt divertissant, tu vas voir… Samaël est miséricordieux, alors il laisse une petite chance au condamné. On lui met un collier avec une clochette à mngwa. Puis on lui donne une dague avec une lame longue comme la largeur de ma paume et on le place devant l’arbre du jugement. C’est un grand arbre avec un fort branchage. Elles sont toutes numérotées. L’arbre est planté au milieu d’une petite arène entourée d’une haute palissade, alors on lâche un jeune mngwa apprivoisé. À chaque rencontre, le mngwa apprend à tuer en jouant, il est capable de s'aventurer comme un chat jusqu'à l'extrémité des grosses branches... Oui, car en général… Et même toujours, le condamné se dépêche de monter à l’arbre dès qu’il voit le félin. Là notre homme à califourchon sur une maitresse branche, voyant approcher le fauve, passa sur une autre branche, puis sur une autre. Le mngwa imitait sa manœuvre. J’abdique à te décrire les grimaces, les cris, les contorsions que faisait ce bâtard au moment où il pensait de tomber sous les crocs du mngwa. Celui-ci avait le choix, soit il pouvait l’assommer d'un coup de patte, ou bien l’étouffer entre ses griffes ; ou bien encore, il pouvait l’étrangler en le mordant à la nuque. En général, il fait dégringoler du haut de l'arbre sa victime pour mieux s’en repaitre au sol. Cette fois le bonhomme avait atteint l’extrémité d’une branche d’un petit diamètre. La onze, si je me souviens bien. Le fauve, lui avait la dalle, alors il a tenté le coup, il a avancé pouce par pouce vers son déjeuner, mais d’un coup la branche s'est rompue sous son double fardeau. Je pense qu’elle était à, à peu près trente pieds de hauteur. Sous le choc l’homme eut les deux jambes cassées ; il est resté sur le carreau. Le mngwa, dans sa chute, a tournoyé sur lui-même en essayant de se rattraper à quelque branchage, mais son poids l'a entrainé et il est tombé à cinq pas du condamné. On l'aurait cru mort. Au bout d'un instant, les gémissements du blessé l'on rappelé à lui. Le félin a pris le temps de se lécher une ou deux écorchures qu’il s’était fait en tombant, puis d’un coup, il a bondi sur le blessé et l'a mis en pièces !
  • Pourquoi on lui donne une dague ? Et pourquoi les branches sont numérotées ? Demandai-je.
  • C’est simple la dague est juste suffisante pour énerver le mngwa, mais elle est assez longue pour se suicider. Les chiffres c’est pour les paris. Sur ce coup-là, j’ai pas parié. Tu penses, j’étais en deuil de mon mignon, un beau mec, gentil comme tout, avec une peau de pêche.
  • Rappelle-moi combien tu as de beaux gosses dans ton palais ?
  • Une petite cinquantaine, oui ! Mais c’est pas une raison. D’ailleurs tu es mal placé pour me faire la morale, c’est pas moi qui ait versé une petite fortune pour que je t’arrange tes iŭga ! Tu sais qu’elles vont devenir de véritables armes de guerre ?
  • C’est le but. Répondis-je irrité.
  • Tu sais que ce sont des femmes ?
  • Évidemment ! Mais ceux sont d’abord des iŭga. Je les considère au même titre que des chiennes bien dressées.
  • Mon pauvre, tu risques d’avoir des surprises.
  • Comment ça, des surprises ?
  • Ah, c’est vrai, tu ne lis pas le génécode*.
  • Non, ça c’est un truc pour les scientifiques.
  • Bon alors faut que j’éclaire un peu ta lanterne, ta petite Antje, eh bien c’est véritablement, je pensais à une contrfaçon, mais non c'est bien l’ANTJE !
  • Tu es certain ? On en avait déjà parlé, mais c'était trop beau pour être vrai. La première fois que tu m'en a parlé, c'était le résultat de ta première analyse et tu sais comme moi qu'à une certaine époque, il y avait un véritable marché pour les "Antjes". Mais si c'est l'originale, la vraie, l’unique... Il est important que cela reste entre nous.
  • Oui mon pote ! j’ai aussi analysé les cheveux que tu m’as donnés, de celle que tu appelles Ashka. Eh bien, autre surprise c’est une pure Valdhorienne shootée au Blob. La seule à peu près normale, et encore, faut le dire vite, c’est Chiendri. Avec ces trois femelles mon gars… Je sais pas où tu vas ? Mais j’aimerais pas être à ta place. Mes cinquante éphèbes c’est que du bonheur.
  • Bon si on revenait à nos moutons, pour les mngwas on les évite comment ?
  • Dans le désert tu risques pas grand-chose, ni d’ailleurs à la sortie des gorges du Barbier. Le mngwa cherche avant tout un lieu où les proies abondent, quand il trouve son bonheur, il s'installe à proximité, soit dans les cultures, si elles sont hautes, soit au milieu des broussailles ou des rochers, soit parmi les rotangs ou les bambous qui bordent les quelques cours d'eau de la région. Il sort de son repère pour chercher sa proie, il rentre pour la digérer, mais comme il est fort, souvent il y ramène une carcasse. Ce qui rend le mngwa si dangereux, c'est l’aisance avec laquelle il saute les fossés, les clôtures. Tiens, tu veux un exemple : La Civitas de Katakata avait fait bâtir sur les rives du Kooglykata, non loin de l'embouchure de ce fleuve dans le golfe de Moofiac, une haute tour à signaux fait de rondins destinée à annoncer les navires en vue. Elle ressemblait à un énorme mirador... Cette tour n'avait pas de porte. L'entrée consistait en une large trappe dans un plancher à vingt-cinq pieds au-dessus du sol. On y pénétrait au moyen d'une échelle de corde. À la nuit tombante, on remontait l'échelle et on fermait l'ouverture à l'aide de panneaux. Il y a deux ans de cela, la direction de cette tour fut confiée à un ancien timonier de mégadromon qui taquinait un peu trop la bouteille. Il se faisait assister par ses trois fils, et un harem de vieille morues. Tout ce beau monde nichait là-haut.... Un soir, on retira l'échelle, mais on oublia de fermer les panneaux. Le lendemain, les signaux restèrent muets. Comme ce n’était pas la première fois, cela mit en rogne la capitainerie du port de Katakata, et on transmit l’ordre au magister de la tour la plus voisine d’aller tirer les oreilles du poivrot et de sa clique, on escalada la tour.... Un horrible spectacle s'offrit aux yeux du magister et de ses hommes. Une douzaine de personnes, hommes, femmes, enfants, avaient été surprises pendant leur sommeil et dévorées par des mngwas qui étaient parvenus à s'introduire dans la tour en franchissant cette hauteur, dont je t’ai parlé ! ... Le mngwa est-il sanguinaire par nature ou par nécessité ? La question est assez difficile. Ces Messieurs les zoologistes de Domina ont fait des traités magnifiques à ce sujet.... Ceux d'entre eux qui ont écrit les pages les plus éloquentes n'avaient sans doute jamais vu, je crois, un mngwa en liberté. Cela me rappelle l'expression du docteur Mangin, mon professeur de médecine d’urgence : « Doctus cum libro... » Les uns prétendent que le mngwa est possédé d'un besoin de répandre le sang. Les autres disent qu’il y a exagérations dans tout ce qui a été écrit touchant ses instincts cruels et sa férocité.... Selon moi, la vérité se trouve entre ces deux opinions extrêmes... Je dirais que l’on ne peut pas parler de cruauté quand il s’agit d’un prédateur, elle a toujours un but : celui de se nourrir et de détruire de son ennemi. Or jusqu’à il y a peu tous les hommes étaient ses ennemis, puisqu'ils le pourchassaient. Chez le mngwa, les instincts de la race féline s’étalent avec vigueur, car il possède la minutieuse prudence, la finesse et l'irritabilité perfide du chat. En admettant qu'il soit porté à satisfaire sa férocité que lorsque la faim le tenaille et attendu qu'il est très méfiant, attendu qu'il sait parfaitement qu'on le traque dès qu’on l’aperçoit, par ces motifs, il a le choix lorsqu’il voit ou qu’il sent des humains, soit de fuir pour sa propre conservation ou soit d’attaquer l'homme s’il pense avoir une chance. Le mngwa n'est pas seulement carnivore, il est carnassier. Est-ce la saveur ou bien l'odeur du sang qui lui plaît ? Nous l'ignorons ; mais nous avons remarqué qu'il se jette de préférence sur les morceaux de viande les plus sanguinolents. Il est plus glouton que le canis, il mange davantage, il digère plus vite, de sorte qu'il ressent plus fréquemment les atteintes de la faim. Bon cela dit, beaucoup de mon discours est à mettre au passé, surtout depuis que Samaël règne en maitre sur cette partie du monde, car il interdit de les chasser. Il semble vouloir les concentrer autour de ses villes. Il a comme qui dirait fait un pacte avec ces fauves, tu me diras entre monstres…
  • Et tu nous inclus dedans ?

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