N’est-il jamais trop tard pour changer de chemin ?

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J’avais finalement réussi à construire quelque chose de ma vie si l’on peut dire. Instaurer un train-train, un rythme, des rituels.

Une succession de choses à faire, bien que toutes plus insipides les unes que les autres, m’avait permis de tenir. De contenir cette tempête dans ma tête.

Je bossais un peu dans l’informatique, dans le consulting. Aux yeux des collègues et des clients, je ne passais ni pour un caïd, ni pour un mauvais, j’étais plutôt transparent à vrai dire.

 Il me semble au moins.

 Je n’aimais pas ce boulot. J’avais bien pris du plaisir au début. Comme dans toute relation nouvelle tout est beau, mais au bout de quelques mois, le tour du propriétaire est fait et on a déjà envie d’autres horizons.

Les gens n’était ni désagréables avec moi, ni particulièrement sympathiques. Je m’en foutais d’ailleurs. Je faisais mon boulot point à la ligne.

Souvent je me demandais ce que je faisais là, assis à mon bureau, à faire un job que je n’aimais pas,  à part perdre mon temps…je ne sais pas, ça n’avait pas de sens. Le salaire était indécent, les taches souvent ingrates mais au moins j’avais un job et une raison – ou plutôt contrainte- de me lever le matin.

Levé à 6 h chaque matin, tasse de café noir savourée debout, dans la pénombre à contempler le ciel par la verrière du patio.

Salle de bain.

Voiture.

Train.

Ainsi était rythmée ma survie.

Et comme une vieille rengaine les trains étaient en retard ou supprimés. Alors j’attendais sur ce banc, mon sac à dos posé entre mes chevilles, parfois la musique dans les oreilles, les yeux vers le ciel encore étoilé en hiver, vers le soleil levant au printemps.

Que pouvait il y a avoir là-haut ? Il se devait d’y avoir quelque chose. On ne pouvait être condamné à ne plus rien découvrir d’autre que le potentiel de la cruauté humaine.

J’ai toujours essayé de me représenter l’infini de l’univers. C’est stupide. La seule idée d’essayer montre qu’on n’a rien compris au concept. Mais notre esprit a-t-il seulement des limites ?

Comme à chaque fois à cette heure, il n’y avait que peu de monde. Nous étions en hiver, le ciel n’était pas étoilé, il faisait froid et la journée s’annonçait maussade. En tout cas plus qu’elles me l’ont toujours été.

J’étais comme à mon habitude le premier, la gare était déserte, les quais à peine illuminés par les halos stroboscopiques et plongeants des réverbères.

Dans l’air la bruine créait un crépitement discret au contact des caténaires. J’aimais ce son. Je le trouvais quasi organique et rassurant. Ca donnait corps à la vie contenue dans ces câbles de métal. Ça rendait l’invisible audible.


Installé, le sac à dos calé aux pieds je profitais du spectacle de la faune des travailleurs qui arrivait doucement, parfois l’air enjoué et décidé, parfois avec l’air d’un animal qu’on mène à l’abattoir.

D’ailleurs c’est idiot, comment un animal peut-il savoir qu’on le mène l’abattoir ? Comment peut-il savoir quel sort macabre on  lui réserve ? Il peut aussi partir à l’abattoir avec entrain, l’air enjoué non ? Bref.


Dans l’ordre : Des smicards bien habillés, essayant de passer pour des cadres. Des cadres modernes et dynamiques tels qu’on se les caricature. Des types du bâtiment travelcup de café à la main prêts pour une nouvelle journée à se les geler dehors. Trois ou quatre dames de l’administration en fin de carrière, déblatérant sur la méchante collègue qui n’a pas voulu déplacer son RTT. Un groupe d’infirmières ou AMP qui parlent comme si elles étaient les chirurgiens de leurs hôpitaux respectifs. Un groupe d’étudiants contant leurs exploits alcooliques de la dernière beuverie. Et tous les joueurs de candy crush, le visage illuminé par leurs écrans porté à 6 ou 8 cm de leur nez, le regard hébété à regarder des sucreries exploser dans un flot de « tasty » prononcés par une voix de crooner américain.

Le commun des mortels en somme.

Soudain une petite musique d’annonce fendit cet agréable brouhaha matinal.  Les discussions cessèrent et une douce voix robotique se fit entendre.

« Votre train TER 256322 à destination de _l’abattoir me plaisai-je à penser_est annoncé avec un retard d’environ 1 heure »

Comme à l’habitude, le scandale ne se fit pas attendre. Certains partirent en courant vers leur voiture espérant éviter les embouteillages, d’autres se dirigèrent vers l’arrêt de bus le plus proche, enfin quelques personnes semblant indécises, comme perdues, finirent par suivre la première cohorte.

Décidemment, une bien belle journée qui s’annonçait….je décidai de rester là, sur mon banc, mon espace, à profiter d’une heure de calme. Je n’avais pas vraiment de contrainte horaire, que je sois là ou pas de toute façon…


De l’autre côté du quai un type s’activait sur son balai, trainant derrière lui son chariot poubelle. Il essayait de débarrasser scrupuleusement le quai de chaque mégot jonchant le sol. Il écoutait de la musique, de la bossa peut être ou de la musique cubaine au vu des petits déhanchés involontaires qui accompagnaient ses coups de balai. Par moment, emporté par sa musique, il faisait un tour sur lui-même, sans aller jusqu’à enlacer son balai comme il l’aurait surement fait pour une partenaire de danse.

Curieusement, dans le désert humain qu’était devenue la gare, il me sembla faire plus nuit et plus froid qu’à mon arrivée.

Au loin, tout au bout du quai, une faible lueur, un scintillement semblait danser en rythme dans l’obscurité. Il me semblait que cela approchait doucement, telle une apparition fantomatique.

Qu’est-ce que cela pouvait bien être ?

 Je ne distinguais pas de forme précise mais je trouvais cela poétique. Cela me rappela les rêves semi éveillés que je faisais étant enfant. De petites bulles de couleur plus ou moins brillantes venaient souvent virevolter autour de moi. Dans le demi-sommeil, allongé dans mon lit, j’essayais de les attraper. Tout me semblait réelle j’adorais cela…ça fait partie de la magie que l’on perd en grandissant.

Je ne sais pas combien de secondes, de minutes j’avais passé encore, coupé du monde dans ma tête, mais alors que je me retournai vers la lueur j’entendis « Bonjour ».

La voix était chantante, la fille à qui elle appartenait semblait sortie de nulle part, ou plutôt si d’un espace-temps différent, un espace où seul l’été existe. Elle était brune, la peau légèrement halée je crois. Elle portait une robe voile blanche décorée de petits papillons bleus, on aurait dit qu’elle s’était trompée de saison, de lieu, d’âge, de planète.

Autour de son cou brillait mon étoile dansante, une petite fée d’argent juchée sur un rocher  de quartz. Sa bouche finement dessinée était  rouge. Elle n’était pas maquillée, c’était le rouge naturel de ses lèvres. Elle portait des chaussures bien trop grosses pour marcher sur une plage en tout cas, des espèces de rangers ouvertes et retombantes, qui mettaient en valeur la délicatesse de ses mollets, de ses cuisses.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté, à contempler cette douce apparition…je devais être encore dans mes pensées quand un second « Bonjour » me fut adressé.

-« bonjour » fis-je froid comme toujours… bien que je ne l’eu pas souhaité à ce moment.

- pourriez-vous m’indiquer l’heure ? 

En parlant elle avait posé à terre son sac à dos, un paquetage militaire, décoré de badges girly et enfantins, petits ours de couleur, papillons brillants. Elle en tira une cigarette qu’elle vint poser à la commissure de ses lèvres délicates.

- il est 6h44, dis-je.     

A la lueur de la flamme de son briquet, je pu apercevoir, ses yeux. De grands yeux, d’un bleu glacé, pas froid, d’une clarté tranchant avec la noirceur de ses cheveux et le pourpre de ses lévres.

Elle avait l’air d’une baba cool ou d’un mannequin tout juste sortie d’une after branchée….perdue au milieu de nulle part.

Elle se pencha de nouveau vers son sac à dos, et dans le cliquetis discret de ses bracelets dorés, y remit le briquet.

Dans l’interstice de sa chaussure, une petite chaine  à sa cheville.

Dans l’entrebâillement de sa robe, une lingerie fine et bleue azur.

Elle se releva, me regarda comme si elle allait me dire quelque chose mais se tut. Quand la première volute de fumée traversa son visage elle se décida à parler.

- je suis super en avance, je crois. Esquissant un sourire.

-Surement moins que moi, mon train est annoncé avec 1 heure de retard.

-perdu, me dit-elle, mon train à moi est demain.

Elle aspira une grande bouffée de tabac, et la recracha, vers la droite dans un petit mouvement labial.

Je restais tout coi, ou tout con, devant l’incongruité de sa réponse. Elle semblait vraiment sortir d’une fantaisie littéraire, d’un monde merveilleux de naïveté.

Une extra-terrestre.

- ah, fis-je bêtement.

Elle tira de nouveau sur sa cigarette et toussa un peu, comme si c’était sa toute première. Elle la regarda alors et la jeta sur les rails. Une minuscule nuée incandescente se dispersa dans le ciel, avant d’atterrir dans les graviers. Laissant en contre bas une petite lueur orangée que je ne pouvais quitter des yeux.

Je trouvais cela beau.

Il y a beaucoup de choses que je trouve belles.

Les aigrettes d’un pissenlit montant en virevoltant dans le ciel.

Les larmes sur une joue.

La foudre zébrant le ciel.

Et là, à cet instant poétique dans le silence froid de ce quai, un mégot de cigarette en train de mourir doucement dans l’obscurité.

- Bon, et bien bonne journée, me dit-elle en souriant.

Elle empoignât son disproportionné fardeau et d’un coup de rein le fit basculer sur son épaule.

- Bonne journée, répondis-je

Elle me tourna le dos et reparti, penchée sur la droite pour contrecarrer le poids de son sac, par où elle était venu.

Dans ma tête j’entendais la petite musique du générique de la 4eme dimension…je pense que j’ai souri à ce moment tandis que la silhouette fantomatique de la fille semblait être aspiré dans la pénombre.

Je fus pris par un mal être à ce moment, sans pouvoir identifier d’où cela venait. Un gout d’inachevé. Un manque.

Puis, comme à chaque fois un sentiment d’intense solitude.

Je ne sais pas exactement combien de temps les minutes avaient été suspendues. Quelques secondes ? Une heure ?  Mais de nouveau,  deux lumières spectrales vinrent poindre au loin. Mon train arrivait. Avec avance sur son retard…

C’est une des facultés de la SNCF, d’être constante. Constante, cohérente dans l’incohérence.

Des fois on vous dit que votre train est à quai alors que manifestement il n’y est pas.

D’autres fois vous êtes dans le train est l’on vous dit qu’il est supprimé.

Et des fois on vous annonce un retard d’une heure qui ne dure pas plus de 20.

Finalement je m’en fous.

Je l’en remercie même finalement.

*

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