Réveil nocturne

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J'ai un nouveau réveil. Il a deux bras, deux jambes, et il crie assez fort pour me réveiller. Je l'aime tellement que je l'ai appelé B. Le seul problème, c'est qu'il n'est pas réglable. Il sonne à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Cette nuit, il me réveille à 3h58, au beau milieu d'un rêve dont je ne me souviens déjà plus. Je me lève sans même réfléchir, et je vais dans sa chambre. Plus je m'approche, plus l'alarme est intense. Le cri oppresse mes seins : quelques gouttes jaillissent. Après avoir allumé la veilleuse, je passe les bras par dessus le berceau et pioche mon bébé hurlant. Mains aux aisselles, je le soulève aussi délicatement que possible. C'est que bébé n'est pas léger : une dizaine de kilos au compteur. J'enlace ma bouillotte humaine. C'est fou ce qu'une si petite chose peut être chaude. J'approche mon visage de ses cheveux qui chatouillent mon visage. J'hume son odeur. Un parfum de réconfort, un parfum de détente, qui annihile tout stress. Un parfum qui enveloppe de ses bras tendres, qui caresse et qui transmet tout son amour. Être en mode automatique n'empêche pas l'effusion de sentiments. Cela empêche seulement de les comprendre, de les gérer. Tout se mélange. Une larme coule, nostalgie en avance d'un temps qu'on vit mais qui sera trop vite révolu.

Dans le grand fauteuil, je me repose. Tête contre le dossier, bébé contre le sein. J'attends. Je rêve. Je me rendors peut-être. Bébé produit un ronronnement continu, comme s’il voulait m’hypnotiser. Il respire fort, mon petit réfrigérateur. Il fait comme un bruit de ballon d’eau chaude. Il remue la tête au rythme de la succion. J'essaye d'attraper son regard mais les yeux sont mi-clos. Qu'importe la vue du moment qu'on a le lait. La tête bouge contre mon bras, transpire au creux de mon coude. Je sens le poids de sa tête contre mon sein, le ventre se gonfle et se dégonfle comme un ballon. Je devine les jambes qui s'animent dans la turbulette.

Je me prends à rouvrir les yeux, à rêver, à penser. Je devrais me concentrer sur cet instant. Enregistrer ces minutes pour plus tard. Je dois profiter de l'instant présent, même si je ne sais pas comment faire. Je sais que j'en aurai la nostalgie plus tard. J'y repenserai avec émotion, me rappelant que la nuit, je profitais en silence de ce temps en plus, de ces heures avec bébé volées à mon sommeil. Si ces réveils ne me fatiguaient pas autant, j'aimerais qu'ils durent toute la vie. Ce sont des instants privilégiés, des moments où le temps n'existe plus, ou la vie n'existe plus. Des moments où la seule chose qui est, c'est que je suis là avec B.

B. se décroche. La tête roule, la bouche reste entrouverte, un peu de lait coule. Les yeux se rouvrent puis se referment. Les petites mains tapotent le sein à la recherche du sommeil. Un instant fugace, les yeux s'ouvrent complètement. Il faut nourrir la bête, au risque de la réveiller complètement. Je soulève le coude pour redresser bébé, puis je le prends pour le changer de sein. La bouche s'ouvre en grand, j'aperçois les dents sorties, celles qui sont en formation. La bouche cherche le lait, bébé s'agite. Les mains tâtonnent, les yeux scrutent, le nez remue. Puis la cible est trouvée, les lèvres s'accrochent, la tétée reprend. Les doigts se calment, attrapent des cheveux, trouvent une oreille, s'y enfoncent et raclent. Je retire ces doigts, mon réveil grogne. La main s’agite, s’énerve, et repart à l’assaut de la petite oreille. Tant pis.

Au bout de 20 minutes, peut-être 30, le passage du vrombissement au ronflement m’indique que c’est gagné. C’est un signal important, il m’indique que le sommeil l’a emporté. Mon bébé est contre moi, endormi. Il ne reste plus qu’un dernier tour d’équilibriste pour le faire regagner son lit sans le réveiller. Je contracte le périnée, mobilise les abdominaux, pour me relever doucement. Toujours garder la bouche près du sein. C’est comme déplacer un verre d’eau rempli à ras bord : pour réussir la mission, il faut autant regarder l’objet transporté que la destination.

Le berceau est tout près. B. est mou comme un chiffon. Il pèse de tout son poids sur mes bras. Elever un enfant, ça muscle plus qu’on ne pourrait penser. C’est peut-être pour ça qu’on dit que c’est du sport de s’occuper d’un enfant. Je décroche B., l’éloigne peu à peu de mon corps jusqu’à arriver au-dessus du berceau. Là, je le descends délicatement. Son corps écrase mes mains contre le matelas. Les bras se libèrent petit à petit, comme des serpents se faufilant sur le drap. B. est resté calme cette fois-ci. Il a seulement tourné la tête et pris son pouce en bouche. Comme un ersatz de téton.

Il n’y a plus qu’à éteindre la veilleuse, et s’en aller furtivement. Fermer la porte, rejoindre ma chambre. Dans le lit, j’aimerais me plonger dans de nouveaux rêves joyeux. Le stress du réveil peine à faire revenir les songes. Je m'endormirai, cela est sûr. Mais pour combien de temps ?

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